Nadia Yassine poursuivie En s'en prenant à la monarchie, Nadia Yassine n'avance plus masquée. Le contexte, ici et ailleurs, donne à ses " visions " tous leurs sens: 2006, l'année du grand soir. Les chroniqueurs l'auraient prévoyé, les faits l'ont confirmé. Le procureur du Roi près le tribunal de première instance de Rabat a décidé, jeudi 9 juin, de poursuivre Nadia Yassine en justice. La décision concerne également le directeur de l'hebdomadaire " Al Ousbouya Al Jadida", Abdelaziz Gougas en tant qu'"acteur principal " dans " l'atteinte à la monarchie ". Tout a commencé un 3 juin lorsque la fille de Cheikh Yassine, le guide suprême d'Al Adl Wal Ihsane, a déclaré à Al Ousbouya Al Jadida que " La monarchie ne convient pas au Maroc " et que le régime est " sur le point de tomber ". Convoquée par la police judiciaire, l'égérie des islamistes a réaffirmé ses propos et tenu à " les inscrire dans un effort académique ". Poursuivie pour "participation " à " l'atteinte à l'institution monarchique et au respect dû à Sa Majesté ", Nadia Yassine sera jugée le 28 juin courant. Selon les articles 67 et 68 du code de la presse, elle risque –Gougas aussi- une peine de 3 à 5 ans et une amende variant entre 10 et 100 mille dirhams. Loin du travers des tribunaux, et du dénouement judiciaire, la question de cette sortie, tout autant fracassante que révélatrice, va plus loin qu'un " coup de tête " de la tonitruante passionaria islamiste. D'abord, ce n'est pas la première fois que " la voix de son père "dévoile tout le mal qu'elle pense du système monarchique. Dans une déclaration, il y a deux années, au quotidien français le Figaro, Nadia n'a pas fait de ses penchants républicains un secret des Dieux. Reproduits par la presse nationale, ses propos ont été " formellement démentis" par Mme Yassine qui, pour se dédouaner, crie au " détournement de propos ", et donc, de confusion. Un pas en arrière, apparemment d'ordre tactique, plus qu'une conviction. Cette dernière, n'en démorde pas. Rebelote : " la monarchie ne convient pas au Maroc ", sonne actuellement comme une invitation à la révolte. Et pour cause. A y voir de plus près, Nadia Yassine ne fait que dire, en termes profanes, ce que toute la jamaâ, son père en premier lieu, pense des institutions sécuritaires du Maroc. Prophéties En prenant leur " surmoi " pour reprendre un terme psychanalytique à témoin, les fidèles d'Al Adl se partagent, sur leur site et dans leurs " cercles d'invocation", des visions surnaturelles. On en retient surtout, " l'avènement très proche du grand événement ". Le " Grand soir " sur le calendrier islamiste, version Yassine, est à la fois une œuvre divine et l'aboutissement d'un travail de préparation et de Kawma (soulèvement). Partout, on sent la " fin du règne " et "la ratatouille makhzénienne " est sur le point de chute. Apparemment envoûtés par l'esprit mystico-politique, les adeptes croient dur comme fer à la fin des mondes, et le "jour j aura lieu en 2006 ". Encore faut-il s'y préparer. Là-dessus, Al Adl Wal Ihsane a son texte sacré : Al Minhaj ou le parchemin dont l'auteur n'est autre que Cheikh Yassine. On y lit : “le soulèvement islamiste ne peut être que l'œuvre des soldats de Dieu. Ceux-là mêmes auxquels on doit inculquer et enseigner l'envie de devenir des martyrs. En les organisant, et en veillant sur leur enracinement dans le peuple, en signe de sympathie avec lui, mais également en vue de l'enseigner, l'exhorter afin de former la vague islamiste déferlante que nous devons mener et guider pour arriver au soulèvement islamiste ". L'ampleur du danger est, on ne le voit que trop, sans commune mesure. Si on prend ces convictions sur fond de prémonitions pour des diversions qu'on sert à une " communauté de mystiques" en rupture de ban, on se trompe lourdement. Cliquez, et vous vous détrompez. Arsalane, le double Fathallah Arsalane, qu'on donnerait pour monsieur politique, donc pragmatique de la Jamaâ, lui non plus ne s'écarte pas de la ligne " divinement inspirée ". Au cours d'un forum en direct sur la toile, deux jours après la convocation de Nadia Yassine, le porte-parole attitré de la Jamaâ n'a pas raté l'occasion pour reprendre, fidèlement à son compte, " les visions de la fin ". A une question sur " ce qui en est de la véracité de la bonne nouvelle de 2006 ", Fathallah n'y va pas par quatre chemins : " plusieurs visions -prophéties- font état d'évènements et du changement qui auront lieu en 2006. Nous à la Jamaâ on y croit, car c'est une partie de notre foi musulmane. Il n'en faut pas moins y travailler ". L'événement serait même " un saut qualitatif ". Est-ce là tout le sens de la déclaration de Nadia Yassine ? Et plus peut-être. Lui-même entendu par la police, Fathallah Arsalane a, tout d'abord, soutenu les propos de Nadia Yassine. Dans une déclaration au quotidien ALM, le porte-parole officiel s'en prend " à ceux qui en veulent à la Jamaâ ". Depuis, il ne sait plus à quel saint se vouer. " Nadia Yassine, a-t-il commencé par dire, a abordé moultes questions ayant trait à la situation politique, au rôle de la monarchie, au régime monarchique et à la commanderie des croyants ". Et de conclure, ensuite : " les régimes arabes, comme vous le savez, ne tolèrent pas qu'on y parle ". Partition en trois temps: dans une déclaration à notre confrère "Maroc-Hebdo", Arsalne fait dans la nuance: " je pense que notre pays a des défis beaucoup plus importants que les déclarations personnelles de Nadia Yassine qui n'engagent qu'elle ". Que faut-il en conclure: Fracture ? Tactique de rétractation comme Al Jamaâ en sait faire ? Une chose est sûre : dans l'antichambre de l'après Cheikh Yassine, tous les coups sont permis. La Jamaâ, cependant, a toujours refusé " de reconnaître " la commanderie des croyants aux Monarques. Parfois explicitement, parfois implicitement. Nadia, en tenant la dragée haute, serait-elle en train de " circuiter " un rapprochement quelconque en vue de revenir à la case départ ? Certains observateurs y décèlent même une " guerre sans merci que Nadia mène à la solde de son époux, Abdallah Chibani ". Nouvellement annexé au directoire d'Al Adl, " il paraît qu'il est en embuscade, et c'est son épouse, bénie par le père, qui lui sert d'éclaireur ", croit savoir un étudiant de la Jamaâ. Toujours est-il que les propos incriminés de Nadia Yassine doivent "être avalisés par le père ". Là-dessus, les signes ne manquent pas. Longtemps, Abdeslam Yassine s'est emmuré dans une ascèse, apparemment dûe à une maladie, jusqu'à ce dimanche 5 juin. Profitant de la journée de l'environnement, Yassine a invité toute sa famille à une "sortie dans les bois de Maâmora". " Une randonnée " dont le sens politique ne se cache pas, d'autant plus que le Cheikh paraît " très proche de sa fille ". Simple coïncidence ? Loin s'en faut. D'ailleurs, en terme de synchronie, la sortie de Nadia Yassine ne semble en rien fortuite. De retour des USA où elle était invitée en tant " qu'académicienne ", l'égérie sait, plus que quiconque, la nature des entretiens qu'elle a eus avec les Américains. Le contexte, par contre, en donne une idée : les think thank, les cercles de réflexions et de décisions influents aux USA prônent, depuis septembre 2001, un rapprochement "immédiat " avec les mouvements islamistes " modérés " non affiliés à la mouvance d'Al Qaïda. Passage obligé d'une " démocratisation", aussi forcée soit-elle, cette normalisation est la nouvelle " panacée " prescrite par Washington (voir la main de Midas dans LGM). D'ailleurs, elle trouve " toujours " preneur du côté de certains "intelligentsia " de chez nous. Les coïncidences, en politique, sont plus qu'une "vision" : une stratégie. D'où, tout le sens des propos de N. Y.