Evènements de Laâyoune Les derniers évènements de Laâyoune ne peuvent être isolés du contexte général où la probabilité de l'autonomie de la région du Sahara met à nu les contradictions liées au vieux système favorisant des notables peu crédibles. Seule l'affirmation d'une nouvelle orientation en faveur des larges catégories frustrées par ce système, permettra de juguler les dérapages séparatistes… Longtemps la gestion de la question du Sahara fut dominée, sur le plan interne, par une approche verticale et autoritaire. Depuis l'avènement du nouveau règne, cette approche est l'objet d'une remise en cause plus ou moins conséquente. Les troubles vécus à Laâyoune fin mai dernier et relayés par l'agitation des étudiants sahraouis à Rabat viennent rappeler que les demi-mesures ne peuvent plus suffire et qu'une politique réellement nouvelle, tant attendue, doit pouvoir s'affirmer. On souligne que le climat de liberté d'expression qui s'est instauré depuis 5 ans a pu être mis à profit par des séparatistes sous influence pour mener à découvert des activités hostiles à la souveraineté marocaine. Ces activités ont été tolérées au grand dam des tenants d'une attitude plus sévère qui y ont vu un signe de "relâchement" dangereux, favorisant les instigations du Polisario et de ses protecteurs algériens. L'horizon de l'autonomie Les partisans d'une attitude plus souple, moins répressive ont fait valoir la nécessité de rompre avec les méthodes du passé et de tenir davantage compte des réalités locales dans la région saharienne. Ils considèrent qu'en desserrant l'étau et en ouvrant le champ d'expression, on peut mieux préparer la transition vers l'autonomie et isoler les séparatistes. Par-delà les maladresses ou les signes de cafouillage qui ont été perceptibles lors des évènements derniers, il faut cependant rappeler les données nouvelles qui leur ont servi de fond. L'élément essentiel qui conditionne depuis plusieurs mois l'évolution de l'ensemble de la question du Sahara est l'adoption par le Maroc de MohammedVI de l'option de l'autonomie sous souveraineté marocaine. Cette perspective qui, aux yeux des partenaires occidentaux, était devenue la plus plausible et la seule base de compromis possible a commencé à mettre à mal la position de l'Algérie et du Polisario. Cela était devenu d'autant plus manifeste que dans son dernier rapport au Conseil de sécurité, le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan a davantage mis l'accent sur la nécessité d'une solution politique négociée. C'est ce nouveau contexte qui va d'une part conduire à un raidissement de l'attitude de l'Algérie sapant la tenue du sommet de l'OUA à Tripoli et d'autre part aviver les contradictions internes au Sahara même. La conjoncture de ces deux facteurs est au cœur du malaise et des tensions qui doivent être abordés avec cohérence et doigté afin de prévenir aussi bien les dérapages que les débordements possibles. Ce n'est pas un hasard si l'arrivée à Rabat des notables sahraouis, en principe pour examiner avec le gouvernement les implications futures du nouveau contexte, s'est accompagnée d'une montée de la tension à Laâyoune. De toute évidence, l'image de la plupart de ces notables semble plutôt dégradée et prête à contestation. On leur reproche d'avoir bénéficié de positions indues et de privilèges exorbitants. Ils apparaissent comme les bénéficiaires d'une politique basée sur une élite favorisée et docile plutôt que sur des couches plus larges qui se sont senties exclues et marginalisées. Le système des nouveaux notables a été ainsi voué à l'échec avec ses multiples passe-droits, trafics et positions dominantes qui ont prévalu depuis des décennies. Vieux système des notables L'ancien système des Chioukhs de tribus, représentatif des structures et des valeurs sociales traditionnelles a été battu en brèche par la sédentarisation et l'introduction des nouveaux circuits économiques et de pouvoir. Il n'avait pas été remplacé par des élites nouvelles jouissant d'une réelle crédibilité aux yeux de la majorité des populations. Il y eut là un grave déficit démocratique comme ce fut le cas d'ailleurs dans tout le pays à l'époque. La perspective de l'autonomie confère à cette question une acuité plus grande car elle conditionne l'avenir. Celui-ci est entrevu comme pouvant consacrer définitivement les privilèges et les inégalités résultant de ce système jusqu'ici vécu comme provisoire dans l'attente de la solution globale. En apparaissant sur le devant de la scène lors de leur dernier séjour à Rabat comme les seuls interlocuteurs, les notables et élus actuels se plaçaient aux yeux de tous comme les futurs dirigeants de l'autonomie. Cela suffit à chauffer les contestations et les mécontentements latents à leur égard. Comment ne pas relever ici que les notables et élus sous divers sigles de partis politiques ou d'organisations diverses n'aient guère contribué à encadrer et impliquer les jeunes générations ? Le fossé est manifeste avec ces dernières et cela a permis à la propagande du Polisario et de ses soutiens de profiter des frustrations et des mécontentements pour tenter de s'implanter davantage. En levant nombre de tabous, en libérant la parole sur les graves atteintes aux droits de l'homme et en reconnaissant la diversité des aspirations longtemps refoulées et niées, le nouveau contexte politique au Maroc a affranchi toutes les catégories et étendu le champ des contestations et des revendications. Il fallait bien alors s'attendre à ce que les contradictions les plus criantes soient exprimées et donnent lieu à des tensions. Ce nouveau contexte impliquait une démarche plus audacieuse et plus cohérente. En premier lieu, ces libertés auraient dû s'accompagner de mesures plus contraignantes pour les privilèges excessifs jusque-là accordés à une minorité peu représentative. Un effort important devait par contre être déployé vers les couches les plus défavorisées et vers les jeunes générations qui aspirent à des possibilités de promotion sociale et politique plus ouvertes. Attentes des jeunes Comme le remarque le journaliste et vice-président de l'Association du Sahara marocain, Mohamed Ahmed Bahi, "les jeunes, étudiants ou autres, qui entendent aujourd'hui qu'on envisage de négocier même avec le Polisario la question de l'autonomie, se demandent s'il ne faut pas d'abord en discuter avec eux et leur ouvrir de meilleures perspectives". Selon lui, on risque de ne pas maîtriser l'évolution envisagée si on ne s'oriente pas plus énergiquement vers l'implication des catégories jusqu'ici défavorisées et notamment les jeunes. Le danger de voir la propagande et les manœuvres du Polisario, attisées par l'Algérie, se concentrer sur ces catégories est aujourd'hui plus manifeste. On souligne, à cet égard, que parmi les manifestants du quartier Maâtallah à Laâyoune il n'y avait pas de personnes revenues des camps de Tindouf. " Les jeunes manifestants ignorent la situation et le vécu de ces camps, ils ignorent tout de la réalité intérieure du Polisario, ils fantasment là-dessus pour donner un tour plus radical à leur protestation", souligne cet observateur qui, lui, avait vécu dans ces camps et y connut la répression. Afin de contrer la propagande et les manœuvres du Polisario, la vieille méthode ne suffit plus. Il faudrait désormais aussi mieux faire connaître la réalité du Polisario et des camps de Tindouf. Les différentes tendances doivent être mieux cernées pour montrer qu'existent des sensibilités autres que celle inféodée à l'Algérie et prônant l'indépendance et qui est, d'ailleurs, formée par des privilégiés du système polisarien. Cependant pour qu'une perspective soit ouverte à ces autres tendances, il faut qu'une orientation nouvelle prévale au Sahara. Au niveau de la représentation ce ne sont pas les nouveaux riches qui doivent être a priori adoubés et reconduits. De nouvelles élites politiques, plus crédibles et capables de stimuler une implication positive des jeunes sur les terrains politique et associatif, doivent être promues. Il s'agit d'ores et déjà de préparer le terrain de futures consultations électorales, pleinement démocratiques et pouvant créer un réel espoir de changement. Tant que la perspective paraîtra bloquée à ces nouvelles élites potentielles, on peut craindre qu'elles ne soient la cible des manipulations des adversaires séparatistes. Orientation créative C'est ainsi que le cadre de la région autonome doit, dès à présent, faire l'objet d'une orientation courageuse et créative. Il s'agit de surmonter les hésitations, les demi-mesures et surtout les mesures contradictoires pour développer avec une large participation des populations et notamment des jeunes potentialités le modèle d'organisation et les actions prioritaires qui correspondraient le mieux aux attentes majoritaires. L'autonomie ne peut rester un simple slogan ou un vœu lointain, elle doit se préparer dès à présent, en tenant compte des spécificités et des rythmes d'évolution sociale et culturelle de la région. L'expression et les contributions ne peuvent qu'être plurielles et tenir compte de la diversité réelle de la région. Dans un cadre plus démocratique et plus ouvert, la tendance séparatiste pro-algérienne sera réduite à ses propres limites et serait mieux remise en question. Depuis 5 ans, nombre de décisions qui se voulaient novatrices n'ont pas donné tous les résultats escomptés. Le conseil consultatif sahraoui, le comité de suivi des affaires sahariennes, le fonds au profit des personnes revenues de Tindouf, les programmes pour la promotion de l'emploi des jeunes et pour le relogement des habitants des quartiers insalubres : autant d'organismes et d'actions qui devraient être réactivés avec une substance plus consistante. Des structures de dialogue et de concertation plus ouvertes aux nouvelles catégories à promouvoir sont plus qu'indispensables. C'est ainsi que des débats non formels et des cadres de proposition et de participation effectives peuvent enfin voir le jour et être réellement en prise sur les réalités. Rien n'est pire que le silence, la marginalisation, l'inertie où les frustrations peuvent s'exacerber, où les provocations se multiplient et dégénèrent rapidement, et où n'importe qui peut s'ériger en héros persécuté. Faut-il rappeler que ceux qui allaient être récupérés par Alger pour former le Polisario étaient, au cours des années 1960, des étudiants frustrés à Rabat ?