Egypte En dépit de la campagne de Charme, de " Public-relations " menée, tambours battants ces dernières semaines, par le président Hosni Moubarak en personne, les Egyptiens déprimés, ne veulent croire ni à ses approches, ni à ses promesses. Une seule chose semble les satisfaire : le départ de ce régime usé et défisitaire . Même Oussama Al-Baz, conseiller politique du raïs, reconnaît en privé que l' " Egypte a aujourd'hui besoin d'un changement radical et non de réformes pour atténuer les critiques des Américains ". Cela dit, les tergiversations effectuées depuis environ quatre mois n'ont pas réussi à calmer les esprits de la rue égyptienne ; moins encore à absorber un mécontentement qui se transforme en tension permanente. Les manifestations non-stop des associations de la société civile regroupée sous le " logo " du mouvement “kifaya“ et l'arrestation, par dizaines, des leaders et des cadres de l'organisation des frères musulmans, prouvent que le pouvoir est en train de perdre un contrôle qui perdure depuis plus de deux décennies. Contacté par la Gazette du Maroc, le numéro 1 de cette organisation a indiqué que les dernières opérations de marketing visant à "relooker" le régime de Moubarak ont été un fiasco total. Ce dernier a déçu la population qui attendait, après son feuilleton télévisé de trois jours, la surprise tant souhaitée. A savoir : désigner son vice-président, modifier la Constitution afin d'ouvrir une bataille présidentielle équitable et, le plus important, annuler l'état d'urgence. Rien de tout cela n'a été annoncé. Le chef de l'Etat égyptien a, en revanche, laissé la porte ouverte à toutes les spéculations ; notamment, lorsqu'il n'a pas confirmé son intention de se présenter pour briguer son cinquième mandat. Néanmoins, à la fin de la 3è et dernière partie de ce feuilleton –qui malgré les critiques a été bien préparé- Moubarak a laissé entendre qu'il ne serait pas contre au cas où il gagnera l'épreuve avec une modeste majorité de 60 %. Une expression qui a suscité à la fois la déception chez les analystes politiques et, un tollé chez la majorité d'un peuple arrivé au bout du rouleau, voulant un changement à tout prix. D'où la gravité de la situation. Limites du marketing politique De source proche du parti national au pouvoir, on apprend que Jamal Moubarak (fils du président et véritable dirigeant de cette formation politique) a convaincu son père d'adopter la méthode américaine sur le plan du marketing politique jusqu'à la veille des élections présidentielles prévues l'automne prochain. La campagne a été ainsi confiée à une société newyorkaise de communication dont le nom a été préservé jusque-là. A part le raïs, les membres de sa famille, son compagnon de route, Sawfwat al-Charif (ancien ministre de l'Information), le général Omar Soleiman, et les proches collaborateurs à la présidence, aucun des membres de l'actuel gouvernement d'Ahmed Nazif, n'a été au courant de cette orientation. Ce qui prouve que l'entourage de Moubarak qui désormais l'influence dans toutes ses décisions est devenu incontournable. Surtout que celui-ci ne mène aucune opération politique de terrain sans consulter l'ambassadeur des Etats-Unis au Caire. Son nom de code parmi les milieux politiques et financiers est "Al-Oumda". A cinq mois de l'échéance, le président égyptien tente de se repositionner en force à travers les contacts directs. Ceux-ci ont commencé par une interview fleuve de sept heures, calquée sur le modèle du marketing politique américain. Dans ce cadre, les concepteurs de ce programme ont, dans l'entrée en matière, rappelé le rôle du raïs en tant que héro national qui a participé à la guerre du 10 Ramadan 1973 qui a permis la récupération du Sinaï. Egalement, qu'il a occupé les hauts postes de responsabilité dont, entre autres, chef des forces de l'air sans jamais être "pistonné" par quiconque. Et de finir par souligner qu'il est issu d'un milieu modeste. En d'autres termes, il est le "fils du peuple". Malgré ce retour aux sources dans le but d'améliorer la réputation d'un entaché establishment par la corruption de son administration et de sa classe politique, Moubarak a trouvé d'immenses difficultés pour convaincre une population devenue de plus en plus exigeante. D'autant qu'il s'est avéré qu'elle rejette, d'une part, toute idée d'un nouveau mandat pour celui qui a maintenant 73 ans, et de l'autre, le principe de succession ramenant son fils aux commandes de l'Egypte. Toutefois, objectivement parlant, il faut cependant reconnaître qu'il serait difficile, voire prématuré, de juger de l'efficacité de cette campagne de relations publiques politisées. Aussi l'impact sur l'électorat égyptien. Ce qui rend les choses plus complexes, l'absence d'institutions de sondage, fiables et neutres pour mesurer les répercussions sur l'opinion publique. En Israël, où les services suivent de près l'évolution de la scène égyptienne, -car ils considèrent toujours ce pays malgré les accords de paix signés- comme un facteur de risque permanent, on s'accorde à affirmer que d'ici la date fatidique électorale, Moubarak perdra beaucoup de son influence. Ils utilisent dans les rapports confidentiels, à plusieurs reprises, l'expression "fin de règne" pour qualifier le régime actuel. Pour ce qui est de la campagne de marketing politique utilisée, ils estiment qu'elle est inutile car le pouvoir s'est déjà trop essouflé alors que les forces contestataires prennent de plus en plus de poids au fil des jours. Ces dernières étant soutenues directement et indirectement par Washington sous les slogans de l'instauration des réformes aussi bien spolitique qu'économiques. Les autres facteurs Face à cette campagne visant à améliorer l'image du président Moubarak et de son système, une contre campagne est déjà lancée. D'ores et déjà, des rumeurs circulent sur un éventuel financement étranger de la bataille électorale. On accuse Jamal Moubarak de mobiliser les multinationales qui ont décroché de gros contrats ces dernières années pour apporter leur participation financière et impliquer leurs réseaux à l'intérieur du pays. Autre facteur qui sème fortement le doute sur la scène égyptienne, les informations confirmant que les deux centres de décision de l'establishment, à savoir, l'armée et ses moukhabarates, d'un côté, et de l'autre, le ministère des Affaires étrangères, sont en concertation permanente pour se mettre d'accord sur le " badil ", le remplaçant. Ceux qui ont été récemment interrogés par la Gazette du Maroc sur ce point ont tous ou presque cité le nom du général Omar Soleïmane. Ce dernier a apparemment aussi la bénédiction des Américains malgré tous les efforts déployés par Moubarak fils auprès de ces relais à Washington pour lui barrer la route. Dans ce même ordre d'énumération des facteurs négatifs, les observateurs n'excluent pas le rebondissement de nouveaux attentats qui mettront en péril la stabilité aussi bien politique qu'économique du pays. Ce qui se répercutera sûrement sur la mainmise totale en vigueur jusqu'à présent sur les centres de décision déjà déstabilisés. La preuve, les réactions mal calculées de la part des autorités sécuritaires qui arrêtent par dizaines, chaque jour, les manifestants anti-Moubarak. Les dernières en date qui ont attiré l'attention des chancelleries occidentales au Caire, celles qui se sont produites dans quinze grandes villes, dont, entre autres, Alexandrie, Port Saïd, Suez et Dimiate. Des messages forts au régime qui devraient, en principe, constituer des clignotants rouges. Le plus significatif, c'est que ces manifestants osent. Les slogans deviennent de plus en plus menaçants. Certains d'entre eux rappellent à Moubarak que celui qui " interdira aujourd'hui par la répression les manifestations pacifiques aura demain le même sort que Sadate ". A cela s'ajoutent d'autres slogans humiliants tels que : " Moubarak corrompu ". Dans ce cadre, les analystes politiques s'attendent à ce que les confrontations entre les associations de la société civile et les autorités prennent plus d'ampleurs au fur et à mesure que l'on se rapproche des élections présidentielles. On apprend d'une source diplomatique européenne dans la capitale égyptienne que l'administration Bush a mis en garde le gouvernement local en place contre tout dérapage qui pourrait engendrer l'effusion du sang. En même temps, l'ambassadeur américain à Washington, rencontre régulièrement les leaders de la société civile et même des partis de l'opposition. De plus, sa réaction a été positive à l'égard de l'annonce par Khaled Mohieddine, une figure historique de la gauche égyptienne, de sa candidature à la présidentielle. En dépit de ce constat inquiétant pour Moubarak, le dernier carré de celui-ci continue à vouloir se montrer serein, masquant tous les signes de faiblesse, allant même jusqu'à évoquer des surprises que prépare le raïs à ses adversaires dans les prochaines semaines. Un "cadeau" dont personne n'y croit. En tout état de cause, le pouvoir ne peut plus rien donner. " Il est en faillite depuis belle lurette aussi bien sur le plan politico-économique que moral, commente Aymen Nour, aujourd'hui symbole du mouvement" Kifaya ", emprisonné sans preuve durant des mois. Dans cette foulée, la situation économique risque de se dégrader de plus en plus, alors que la saison touristique est déjà menacée après l'attentat d'Al-Azhar. Face à cela, le gouvernement multiplie la publication des communiqués et des bilans visant à rassurer les milieux financiers et une jeunesse qui, semble-t-il, n'est aucunement prête à reculer cette fois. Un chef d'Etat loin de son peuple et de ses problèmes, encerclé par des clans qui filtrent les informations, pourra-t-il entrevoir les dangers qui se profilent à l'horizon ? Un raïs qui ne se déplace que dans des voitures triplement blindées et vitres doublement teintées, est-il capable, de voir de près les souffrances d'un peuple de plus de 70 millions de personnes dont plus de 40 % vivent au-dessous du seuil de pauvreté ? Les analystes les plus avertis en doutent…