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L'affaire des prisonniers koweïtiens encore à la Une
Publié dans La Gazette du Maroc le 02 - 05 - 2002


Les relations irako-koweïtiennes
Lors de l'invasion du Koweït par le régime irakien, en 1990, et durant les sept mois d'occupation qui ont précédé la libération du Koweït par l'intervention militaire de la communauté internationale, l'armée irakienne avait fait plus de 6.000 prisonniers parmi la population et l'armée koweïtiennes. Mais, grâce aux efforts du Croissant rouge international, entre autres, 6.000 prisonniers ont été libérés. Néanmoins, dix après la libération du Koweït, ce dernier revendique toujours le retour de quelque 605 prisonniers qui demeurent à ce jour incarcérés dans les prisons irakiennes. Ce faisant, l'affaire des prisonniers koweïtiens semble attiser de plus en plus la tension entre le Koweït et l'Irak.
Selon les autorités koweïtiennes, la majorité des prisonniers étaient des civils, qui ont été incarcérés par les forces de la police irakienne avant leur transfert dans des prisons du pays. Dans ce sens, et d'après le rapport du comité national des affaires des prisonniers et portés-disparus, 90 % des 605 prisonniers koweïtiens en Irak, soit 0,1% de la population koweïtienne, sont de nationalité koweïtienne et des deux sexes. En outre, la plupart des personnes incarcérées sont des civils, notamment des étudiants. En outre, même les militaires ont été emprisonnés hors de leurs heures de service.
D'ailleurs, le comité dispose de preuves et de témoignages qui condamnent sans appel l'implication de l'armée irakienne dans la détention des prisonniers koweïtiens. En outre, les autorités koweïtiennes ont réussi à constituer des dossiers personnels sur chaque prisonnier, contenant toutes les données permettant de les identifier (nom, âge, profession, témoins…) et même des photos des détenus et des documents irakiens officiels qui attestent de la responsabilité du régime de Baghdad.
Le comité national des affaires des prisonniers et porté-disparus accuse les autorités irakiennes de vouloir entraver la résolution pacifique du conflit portant sur les prisonniers. Car, d'après le président de ce comité, l'Irak boycotte, depuis décembre 1998, les réunions du comité tripartite formé sous l'égide des Nations unies et qui comprend, outre l'Irak et le Koweït, le Croissant rouge international. En effet, d'après le responsable de cette organisation, l'Irak refuse de coopérer : “ rien, ni personne ne peut justifier sa non-coopération dans l'affaire des personnes portées disparues ”, paragraphe 38 document A/56/340, datant du 13 septembre 2001. Par conséquent, l'absence de l'Irak aux réunions officielles atteste largement de sa volonté de prolonger le conflit. Ainsi, sur quelque 37 réunions, l'Irak n'a été présent qu'une dizaine de fois.
Les autorités koweïtiennes sont convaincues que l'Irak tente, par tous les moyens possibles, de fuir ses responsabilités en adoptant une politique de désinformation mensongère. D'ailleurs,
le comité spécial formé par le conseil de
sécurité des Nations unies avait souligné le désengagement de l'Irak vis-à-vis de l'affaire des prisonniers en affirmant, le 30 janvier 1999, que : “l'équipe n'est pas convaincue des explications fournies par l'Irak, prétextant qu'il soit incapable de présenter des informations sur les dossiers que lui avait présentés le Croissant rouge international.” (paragraphe 47 du document N° S/1999/356, annexe 3). Par ailleurs, le comité koweïtien chargé des affaires des prisonniers dispose de plusieurs documents qui attestent de l'inconstance des propos irakiens. La dernière en date concerne l'assertion du régime de Saddam selon laquelle le Koweït détiendrait quelque 2.000 prisonniers irakiens.
A cet égard, on ne manquera pas de souligner les efforts colossaux qu'avait déployés le Centre des recherches et des études koweïtiens, présidé par l'éminent professeur Youssef Abdellah Al Ghnaïm, qui nous a fait savoir, d'un ton serein qui en dit long sur sa sagesse, que“ l'objectif du centre est d'apporter les preuves scientifiques de la légitimité de la cause koweïtienne, mais aussi et surtout, de témoigner de l'histoire koweïtienne ”.
D'ailleurs, la bibliothèque du Centre et le nombre impressionnant des recherches portant sur le conflit irako-koweitien attestent du sens de l'histoire qui caractérise les intellectuels koweïtiens. Ainsi, loin de se lancer dans des surenchères futiles et sans intérêt, ils préfèrent recoller les morceaux de leur histoire, afin de sauvegarder la “ mémoire collective ” du pays au profit des générations futures.
La responsabilité irakienne
Le Comité national koweïtien des affaires des prisonniers et portés-disparus détient des preuves irréfutables de l'implication effective des autorités irakiennes dans les opérations d'incarcération durant l'invasion de son pays. A cet égard, il dispose de plusieurs témoins ayant assisté aux opérations d'emprisonnement. De plus, le Comité détient des documents officiels irakiens faisant état des ordres d'incarcération. D'ailleurs, les Nations unies confirment les arguments du Koweit.
En effet, le rapport du 26 février 1999, dans son paragraphe 77, “ accuse explicitement les autorités irakiennes comme étant responsables d'avoir emprisonné des Koweïtiens, selon les témoignages détaillés de quelques personnes présentes sur les lieux ”. En outre, plusieurs personnes affirment avoir aperçu les prisonniers koweïtiens lors de leur dernier transfert vers des geôles irakiennes. Plus encore, le comité en question a réussi à reconstituer des croquis faisant état des lieux et centres irakiens de détention. Ainsi, pour ce qui est des endroits où avaient été aperçus les prisonniers koweïtiens pour la dernière fois, les villes de Basra, Bagdad et Qadissiya reviennent le plus souvent dans les témoignages.
La disparition forcée constitue l'une
des plus importantes violations des
droits fondamentaux de l'Homme. Non seulement du fait des effets négatifs directs sur les victimes, mais aussi et surtout sur leur famille et leurs proches. A cet égard, la communauté internationale est unanime à l'égard de ce crime qui porte atteinte à la dignité humaine. Citons à ce propos, la décision de l'assemblée générale des Nations unies, qui stipule que : “chaque acte qui induit à une disparition forcée constitue une violation de la dignité humaine et des droits de l'Homme, mais aussi des règles internationales”, paragraphe 1 de la décision N°A/RES/55/103 datant du 4 décembre 2000.
En ce qui concerne les prisonniers koweïtiens, le rapport du secrétaire général des Nations unies est formel : “ l'Irak doit donner des informations sur le sort des citoyens koweïtiens qui ont été emprisonnés depuis 11 ans ”, paragraphe 33 du document N°S/2002/1196 du 13 décembre 2001”. Même Amnesty International s'est alignée sur la position koweïtienne, en affirmant que : “l'Irak a emprisonné plus de 6.000 koweïtiens et étrangers. Et malgré la pression exercée par la communauté internationale,
l'Irak ne semble pas prêt d'assumer ses responsabilités dans cette affaire”. Paragraphe 1 du rapport du 14-05-97. Entre-temps, le régime de Saddam Hussein n'a pas affiché une volonté politique sincère de désamorcer cette bombe à retardement qui empoisonne les relations entre les deux Etats.
Les fondements juridiques
L'Irak est confronté à un engagement international indéfectible pour la libération des prisonniers et la récupération des portés-disparus. Les engagements qui pèsent sur le dos du régime irakien puisent leurs fondements dans le droit international, notamment la convention de Genève, des décisions du conseil de sécurité et des engagements irakiens formulés lors du comité tripartite constitué à l'initiative du Croissant rouge international. Sans compter le fait que la disparition forcée est considérée comme “un crime contre l'humanité”, selon le statut fondamental du tribunal pénal international. À titre d'exemple, il serait utile de rappeler ici la décision du conseil de sécurité N°1284 datant du 17 décembre 1999 selon laquelle : “ l'Irak est exhorté à coopérer avec le comité tripartite chargé de l'affaire des prisonniers koweïtiens ”.
Selon le rapport “Verde” du Conseil européen, datant du 19 septembre 1984 : “toute personne qui s'expose à des actes de terreur souffrira de crises psychologiques probables”. Dans ce sens, un grand spécialiste a affirmé, dans un rapport spécial adressé à la Croix rouge internationale sur les portés disparus en ex-Yougoslavie datant de 1997, que : “les conditions de vie des prisonniers disparus durant la guerre sont inhumaines”.
Au Koweït, c'est le comité national qui se charge de gérer les affaires des prisonniers et portés- disparus (NCMPA). Cette organisation a été créée par la circulaire du Prince, le 15 août 1992, sous la direction du conseil des ministres. Depuis sa création, le comité a connu beaucoup de difficultés, surtout sur le plan social, en raison de la longue absence des 6.000 prisonniers. D'ailleurs, cette organisation est habilitée à représenter l'Etat du Koweït lors des réunions diplomatiques visant à la localisation des lieux de détention des prisonniers.
Ceci étant dit, il faut signaler que la disparition des prisonniers koweïtiens a généré des problèmes pour les familles et proches des disparus, notamment sur les plans financier et socio-psychologique. Pour pallier ces difficultés, le comité des prisonniers a mis en place une série de programmes sociaux, à l'image des visites aux membres des familles des prisonniers, visant à subvenir à leurs besoins. A cet égard, les enfants des prisonniers font l'objet d'un intérêt particulier, surtout ceux qui n'ont jamais vu leurs parents. En 1996, le comité national chargé des affaires des prisonniers et portés-disparus a créé une Caisse de bienfaisance pour soutenir les familles des détenus. À ce propos, le comité en question avait organisé différentes activités au profit des enfants, comme des voyages organisés et des activités de divertissement.
Il est vrai qu'on peut se laisser convaincre par les déclarations des autorités irakiennes qui affirment vouloir faire table rase de cette affaire avec le Koweït, en vue d'instaurer un climat de paix et de stabilité entre les deux pays. Mais, on finit très vite par se ressaisir en entendant le discours des autorités koweïtiennes qui arguent que les déclarations du régime irakien ne sont que des professions de foi, rien de plus. En tout cas, une chose est sûre : l'affaire des prisonniers koweïtiens est un véritable drame pour la société koweïtienne qui semble, plus que jamais, déterminée à mener, jusqu'au bout, son combat humanitaire pour la libération totale de tous ces prisonniers et disparus.


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