Après les privatisations L'Etat est-il condamné à privatiser l'essentiel de son patrimoine pour répondre aux impératifs de la politique budgétaire ? Rien n'est moins sûr. La gestion déléguée pour la production des services collectifs prendra le relais de la privatisation au-delà de 2007. Une question est devenue récurrente. Qu'adviendra-t-il du budget de l'Etat à l'horizon de 2007, après la vague de privatisations ? Le Maroc a axé sa politique budgétaire de ces dernières années sur les recettes exceptionnelles. Pourra-t-il en même temps moderniser le tissu industriel de ses 127 offices, établissements, caisses et autres régies ? Pour Saher Najat, chef de division de la privatisation au ministère des Finances, “il n'est pas exact de dire que l'Etat marocain a cédé les fleurons de ses entreprises publiques au secteur privé. Beaucoup d'entreprises de gros calibre sont sur la liste. C'est notamment le cas de la Comanav, de la Somathés ou de Drapor. Au total, il y a une dizaine d'entreprises inscrites sur la liste des privatisables en 2005”, explique Abdelaziz Talbi, directeur des entreprises publiques et de la privatisation au même ministère. L'estimation de ces sociétés à privatiser au courant de l'année 2005 n'est pas encore faite. Cependant des cabinets d'audit international sont désignés soit pour l'audit, soit pour l'évaluation. Cet exercice d'évaluation n'est cependant pas la première des priorités du ministère des Finances. Le budget 2005 n'aura besoin ni de la Comanav, ni de la Somathés, ni des autres entreprises en lice. Les 12,4 milliards dh que le Trésor vient d'empocher au titre de la cession des 16% de Maroc Telecom dépassent légèrement les prévisions de recette de privatisations inscrites à la loi de finances 2005. C'est dire que le ministre des Finances se fera le loisir de reporter l'enregistrement des recettes relatives aux 10 entreprises à céder. C'est dire alors qu'il n'y a pas d'inquiétude à avoir pour 2006, année qui pourra, elle aussi, bénéficier de recettes exceptionnelles. Il faut cependant remarquer que ces entreprises en lice ne devraient rapporter que de faibles sommes. Bien que l'évaluation ne soit pas encore faite, les prévisions les plus optimistes tablent sur 5 milliards dh. L'entreprise qui devrait rapporter le plus au budget est la Comanav qui produit une valeur ajoutée de 200 millions dh, mais dont les fonds propres ne se limitent qu'à 136 millions dh (chiffres de 2003). Il reste que l'Etat ne possède directement que 50,01% de la Comanav. Quant à la Somathés, sa petite taille fait qu'elle ne pouvait figurer de manière individuelle dans le rapport sur les établissements publics remis au Parlement. Il est cependant important d'ajouter à cette liste le reliquat des 20% de la Régie des tabacs. La DEPP avait réussi à conclure un contrat avec option d'achat (put and call) avec le Franco-espagnol Altadis. En effet, l'Etat a l'option d'aller en bourse pour la cession. Et si les conditions de la place ne sont pas intéressantes, il aura l'option de vendre à Altadis au même prix que la cession des 80% intervenue en 2003. C'est dire qu'au pire des cas, l'Etat encaissera 2,3 milliards dh. Après ces quelques recettes à amasser ici et là ce sera le désert à traverser en tout cas en matière de privatisations à proprement parler. On reste donc dans des perspectives très limitées. Et ce, d'autant plus que la privatisation de sucreries qui était prévue depuis 2003 s'est montrée infructueuse. Les Sucrafor, Suta, Sunabel et autre Surac n'ont pas semblé intéresser les investisseurs. Ces derniers attendent probablement l'ouverture complète du secteur du sucre pour avoir davantage de visibilité. Alors que l'Etat espère trouver, entre temps, un opérateur aux reins solides qui serait disposé à les reprendre, à les restructurer et à les préparer à cette ouverture. C'est donc similaire à l'histoire de l'œuf et de la poule. Bien entendu, le patrimoine de l'Etat ne se limite pas à cette liste restreinte. Il faut compter 73 sociétés d'Etat, détenues à 100%, 110 filiales détenues à plus de 51% et enfin 223 sociétés mixtes. Il y a donc à faire concernant les dizaines de petites participations qui ne sont pas stratégiques. Les procédures de cession prévues pour ces dernières sont suffisamment simples pour permettre de récupérer quelques millions de dh au passage, qui ne permettront toutefois pas de combler le déficit dans l'état actuel des choses. Comment faire aujourd'hui pour continuer à maintenir l'équilibre d'un budget dont les recettes de privatisation ont été jusqu'ici la principale béquille ? Comment faire pour assurer le fonctionnement des établissements de santé ou d'éducation ? Ne risque-t-on pas de faire patienter les fonctionnaires pour leurs salaires dans les années à venir ? Ce sont là autant de questions auxquelles il convient de répondre de manière urgente. Mais les ébauches de solutions ne manquent pas. Les concessions prennent le relais La réponse, l'unique réponse issue d'une étude sérieuse, reste la gestion déléguée, du moins si l'on en croit le chef de la division de la privatisation au ministère des Finances. Apparemment, c'est cette tendance qui se dessine actuellement. Un projet de loi sur la concession de services publics est déjà conçu par la DEPP. Il permettra de développer le partenariat public-privé. Si la loi est adoptée, elle donnera plus de visibilité à tout investisseur désireux de s'engager en matière de concession. Il s'agit d'une loi-cadre dont les décrets d'application permettront de prendre en compte les aspects sectoriels. En matière de gestion déléguée, chaque secteur aura désormais son cahier des charges type. C'est pour l'heure, la stratégie devant pallier la baisse des recettes de privatisations. Dans cette optique l'Etat aura à concéder des secteurs qu'il il ne pourra pas toujours gérer. Toutefois, on ne peut s'empêcher de se demander si les concessions pourraient suffisamment rapporter à l'Etat. En tout cas, le ministère des Finances semble serein à ce propos. Il dresse déjà une très longue liste de services concessibles. C'est le cas particulièrement des ports, des aéroports, des autoroutes… Si la gestion de tels services ne peut être entièrement déléguée, rien n'empêchera d'en céder une partie pour une gestion par le privé. Il pourra ainsi s'occuper des secteurs stratégiques qui ne peuvent rester que sous sa responsabilité. Il s'agit dans ce cas des établissements hospitaliers ou encore des universités ou des grandes écoles publiques. Aujourd'hui, une dichotomie est établie entre le stratégique et le non-stratégique. Les secteurs jugés stratégiques resteront entre les mains de l'Etat. Alors que les autres doivent être cédés au privé. Il s'agit en réalité d'entreprises opérant dans le secteur concurrentiel. L'objectif ultime est donc d'adopter une politique proche de celle de la Grande-Bretagne. L'Angleterre est le pays où tout est concédé. Même la gestion des égouts est concédée. Force est de constater que pour l'heure les concessions commencent à prendre de l'ampleur. Dans chacune des réformes en cours, la gestion déléguée revient. L'exemple de l'électricité est patent. Une concession à hauteur de 50 % en électricité a été cédée à Jorf Lasfar Energy Compagny, un consortium américano-suisse. Jorf Lasfar n'est qu'un coup d'essai, puisque le secteur de l'énergie électrique est appelé à s'ouvrir et à être concédé. Il sera scindé en trois volets que se partageront producteurs, transporteurs et distributeurs. Chaque acteur devra verser une dîme à l'Etat, ce qui s'ajoutera aux ressources budgétaires. Par ailleurs, pour ce qui est de la réforme portuaire, l'Office d'exploitation des ports ne sera plus l'unique entité en jeu. La société anonyme devant la remplacer après la réforme portuaire, fera face à plusieurs concurrents privés. Certains services portuaires (transbordements, quais à conteneurs, etc.) seront confiés à ces entreprises moyennant des redevances périodiques ou bien un ticket d'entrée. La concession touche également les terres agricoles appartenant aux domaines privés de l'Etat. L'appel concernant ce patrimoine géré jusqu'ici par la Société de développement agricole (SODEA) et la Société de gestion des terres agricoles (SOGETA) arrive à échéance avant la fin du premier semestre 2005. On est donc engagé dans une véritable logique de partenariat public-privé. Demain ce sera sans doute le tour du transport ferroviaire. Mais, auparavant, l'étape de la transformation de l'ONCF en société anonyme devra être parachevée. Sans doute, la privatisation de cette dernière et l'ouverture à la concurrence via la concession des rails est nécessaire. Les Offices régionaux de mises en valeur agricole (ORMVA) qui s'occupent, entre autres, de l'irrigation ne font pas partie de établissements qui pourront passer entre les mains de l'Etat. Le secteur agricole bénéficie d'un statut singulier, certes. Mais, rien n'indique qu'ils ne pourront pas faire face à la concurrence du privé. Ils ne seront pas éternellement épargnés par la vague de concessions. Quoi qu'il en soit, le train de la libéralisation, de l'ouverture des secteurs stratégiques, mais aussi et surtout du développement du partenariat public-privé, est définitivement sur les rails. Il apparaît que si l'Etat ne garde pas entièrement le monopole de certains secteurs, il continuera de veiller sur le caractère stratégique de ses services publics, ne serait-ce que partiellement. Là où le privé n'a pas droit au gâteau Les enjeux sont trop importants pour que l'Etat s'aventure à concéder certains secteurs. Le PDG de la Royal Air Maroc (RAM), Mohamed Berrada, ne pense pas que la privatisation puisse être la panacée. “La RAM doit rester dans le secteur public. C'est une entreprise stratégique dont l'Etat a beaucoup à gagner en la gardant sous son giron. Avec la disparition d'Air Afrique, beaucoup de pays africains subissent le diktat des compagnies étrangères”. Quant à l'industrialisation des phosphates, celle-ci reste sous la responsabilité de l'Etat. L'autre argument majeur avancé est de ne jamais perdre de vue qu'il ne s'agit pas pour l'Etat de renoncer définitivement à l'intervention dans certains secteurs, puisqu'un secteur cédé au privé, devenu entre temps stratégique, peut nécessiter l'intervention de l'Etat. En définitive, l'Etat ne veut pas seulement se débarrasser d'un certain nombre d'entreprises qui lui coûtent cher et qui peuvent être prises en charge par le secteur privé. Partout où des opérations de privatisation ont été engagées, les retombées positives ont été au rendez-vous. C'est cette option qui est en cours depuis 1993 et dont les effets économiques et financiers ont été essentiels dans la création et le développement de pans entiers de nouvelles activités au Maroc. A regarder de près, la privatisation ne se réduit pas seulement à une question de budget mais plutôt à une stratégie économique d'ensemble à long terme.