En préparation du VIIe Congrès Le VIIème Congrès de l'USFP sera-t-il le moment de l'affirmation de la mutation social-démocratique de ce parti qui lui permettrait de s'ouvrir sans se renier et de regagner plus de pugnacité et d'impact ? L'évaluation de sa participation au gouvernement et de son organisation interne est au centre de la volonté affichée de pousser à la roue la transition démocratique du pays. A l'ordre du jour, l'échéance de la tenue du VIIe congrès de l'USFP au printemps 2005 est présentée comme étant symboliquement celle d'une ouverture du premier parti de la gauche marocaine pour consolider à la fois son identité, sa force de proposition et ses capacités de mobilisation et d'audience. Si on prend soin d'indiquer que ce sera un "congrès ordinaire" c'est surtout pour souligner que l'ère des congrès des divisions et tumultes internes est dépassée. Le dernier en date avait en effet vu s'exacerber les dissensions avec le secrétaire général de la CDT, Noubir Amaoui et ses partisans qui firent scission. L'apparent clivage autour de la participation au gouvernement d'alternance dirigé par Abderrahmane Youssoufi était-il vraiment décisif ? Ou masquait-il seulement les rivalités que le flou organisationnel n'avait cessé de favoriser ? En cherchant à se démarquer des péripéties de ce passé encore proche, l'actuelle direction, avec à sa tête Mohamed Elyazghi, met avec insistance au premier plan les questions de fond et de méthode. Cet "aggiornamento" qui avait été déjà proclamé dans la plate-forme adoptée en novembre 2003, à la suite des remous occasionnés par la démission de Youssoufi, est plus que jamais désigné comme prioritaire. Rarement en effet un congrès de l'USFP aura été précédé d'une si minutieuse définition des choix et des priorités. Il faut lire à travers une telle application la mémoire de longues décennies d'épreuves et de contradictions internes et la volonté de trouver la voie la plus adéquate pour l'étape actuelle sans se renier ni se scléroser. Identité social-démocrate La tâche n'est pas aussi aisée que peut le laisser entendre le ton apaisant de Mohamed Elyazghi lors des derniers travaux des instances du parti ou des rencontres avec les médias. En effet il y a encore fort à faire pour redonner au parti l'énergie et la pugnacité en mesure de conférer toute la consistance voulue au projet social-démocrate aux couleurs marocaines. Il est déjà salutaire que cette question de l'identité idéologique soit à nouveau remise au diapason. On sait quel désarroi et quelle perte de repères ont découlé du déclin du travail d'élaboration et de diffusion des idées et des positionnements de la mouvance socialiste. On a même vu s'imposer de plus en plus les attitudes cyniques et celles qualifiées de "nihilistes", qui ont déclaré mortes toutes les idéologies alors même que sous les formes les plus régressives celles-ci n'ont cessé de gagner du terrain. La question posée par l'évolution actuelle est plutôt celle du dépassement des idéologies à système fermé, détentrices de vérité absolue et secrétant des formes totalitaires de rapports aux autres et d'exercice du pouvoir. Le clivage est entre les positionnements dans une perspective "démocratique moderniste" et ceux qui en sont la négation, quelles que soient les doctrines professées. La mouvance socialiste est confrontée à cette problématique, de façon plus aiguë dans les pays, comme le Maroc, où dans la foulée des nationalismes et du tiers-mondisme, la mystique révolutionnaire a longtemps prévalu. Les racines de ce phénomène puisaient alors à la fois dans le terreau national et dans le contexte mondial. Le projet démocratique serait-il moins mobilisateur et plus "mou" que celui porté par la "açabya" (ou esprit de corps) révolutionnaire ? En réalité ce projet implique une remise en cause profonde de la société elle-même et pas seulement des régimes politiques autoritaires. Il s'agit d'une autre sorte de révolution, aux implications culturelles, sociétales, humaines plus en rupture avec toutes les formes d'autoritarisme et conférant plus de libertés et d'autonomie aux individus et à l'expression des groupes et courants. Ce n'est pas un hasard si au tournant de cette nouvelle perspective historique, les mouvements les plus conservateurs veulent par la violence et par une idéologie de la fermeture totale s'opposer à une mutation qui ne cesse de devenir plus inéluctable. Culture du débat Ce sont les termes du débat qui se trouvent ainsi déplacés par rapport à "la problématique de la libération" des années 60 et 70. On voit que l'enjeu ici n'est pas de pure forme, si tant est que l'USFP et la gauche veuillent encore véritablement exister et avoir un rôle essentiel pour le devenir du pays et de la société. De la clarification de l'optique où il veut se situer dépendra pour ce parti sa capacité à défendre une ligne politique cohérente et autonome, ainsi que ses choix en matière d'alliances et de participation à la gestion du pays. L'appel à l'organisation de forums de réflexion et de débats dans les différentes régions en marge de la préparation du VIIe congrès de l'USFP est une innovation qui devrait être prise au sérieux. Quand on sait à quelles confrontations stériles et à quelles impasses organisationnelles (et même personnelles pour nombre d'anciens militants) a pu conduire l'absence de culture du débat, il n'est pas trop tôt pour s'y engager. Encore faudra-t-il veiller à ne pas tomber dans le formalisme de façade et à ne pas craindre les différences d'approche et de points de vue. L'essentiel est de cultiver désormais davantage le sens des réalités et des responsabilités chez tous les participants au débat pour en finir avec les vieux atavismes faits de surenchères, de populisme et d'irrationnel. Le principe d'ouverture ainsi proclamé met le doigt sur les risques de confinement des bases du parti. Celles-ci sont instamment conviées à s'ouvrir à de nouvelles recrues et de nouveaux milieux sociaux et culturels. Les organisations du parti ne devraient pas ressembler à des clubs où l'ancienneté prévaut. Or c'est précisément en remettant au premier plan l'élaboration des idées et programmes et le débat autour d'eux que l'on peut insuffler vie aux organisations. Déjà la constitution des commissions préparatoires du congrès est apparue comme plus ouverte. Ses membres ont été choisis par la commission administrative et elles n'ont pas été automatiquement présidées par les membres du bureau politique. Ainsi le processus de préparation ne paraît pas verrouillé dès le départ et accrédite davantage le mot d'ordre d'ouverture. Acquis et blocages Celle-ci donnera plus de consistance à l'effort d'évaluation par les bases et les congressistes de l'expérience des sept années de participation au gouvernement. Il s'agit, selon Mohamed Elyazghi, de prendre la mesure des acquis et des avancées ainsi que celle des insuffisances et des blocages entravant le cours de "la transition démocratique". Cette évaluation constituera, sans doute, un moment important puisqu'elle clarifiera les repères que se donne le parti et les conditions et limites de sa participation au gouvernement. L'expérience est déjà suffisante pour s'adonner à un exercice qui pour certains n'apparaissait même plus nécessaire. Ceci conditionnera la formulation des nouvelles réformes à promouvoir tant sur le plan constitutionnel que politique, notamment à propos du statut du premier ministre et de la deuxième chambre du Parlement ainsi que des prérogatives des institutions régionales et de la latitude de nomination aux hautes fonctions de l'Etat. La question des réformes devra ainsi polariser le débat politique et les alliances, notamment dans le cadre de la Koutla. Ces alliances devront aussi être soumises à examen afin de tirer la leçon des dissensions et cafouillages qui les ont lamentablement ternies au cours des dernières élections communales de 2003. La Koutla, passablement en léthargie depuis ces mésaventures, ne pourrait sans doute être revivifiée que sur la base d'accords clairs sur les élections et sur les réformes à négocier avec le pouvoir. Ce qui promet d'être laborieux, compte tenu des méfiances et calculs récurrents qui n'ont cessé de ressurgir entre les partis de cette coalition (Istiqlal et USFP notamment). Encore faudrait-il que ces partis reprennent goût à l'initiative politique et fassent preuve de plus d'autonomie et d'audace. L'évaluation programmée pour le VIIe congrès de l'USFP aura aussi une dimension interne. On peut s'attendre à une mise en examen critique des apports et des comportements des ministres et des parlementaires USFP. De même c'est sans concession que les capacités d'organisation, de mobilisation et d'impact des structures de base du parti seront appréciées. Sur ce plan, le congrès devra être réellement innovant, analyser les causes véritables des carences survenues et aborder concrètement la question de la mutation social-démocratique du parti, y compris dans son mode d'organisation et de fonctionnement. La "méthodologie moderne" préconisée pour la préparation du congrès se veut un avant-goût de cette mutation pratique. On verra à l'œuvre le degré de créativité dans les contextes réels et la capacité de motivation et de mobilisation du projet démocratique (après la retombée des fièvres et passions national-populistes et du radicalisme protestataire). Pourra-t-on aborder dans cette optique la question du rôle et de la représentation des organisations de masse (jeunesse, femmes, etc) et des rapports avec les syndicats (quelle évaluation fera-t-on de la coupure avec la CDT et des problèmes que vit encore la FDT ?). Autant de questions cruciales que "le congrès ordinaire" veut aborder sans la fatalité des âpres dissensions du passé. Au moment où les audiences publiques de l'Instance équité et réconciliation rappellent les épreuves vécues par des milliers de militants de l'USFP depuis les années 60, ce parti saura-t-il être au diapason du rôle qu'il veut avoir dans la mutation démocratique naissante ? A la recherche de ce qui sera son printemps en 2005, ce pari n'est pas pour lui des plus faciles à tenir.