Le 25ème sommet du CCG Le dernier sommet annuel du Conseil de Coopération du Golfe a dévoilé, une fois de plus, les différends entre ses six pays membres ainsi que leur capacité d'introduire les réformes nécessaires. Pour ce qui est du sujet qui a d'emblée envenimé l'atmosphère, à savoir, l'éventuelle signature de l'accord de libre-échange entre Bahrein et les USA, le Conseil n'a pas tranché, se contentant de "prendre acte". Avant même la clôture de ce sommet tenu à Manama (Bahrein), les analystes politiques ont déjà commencé à dresser le bilan. Les remarques ont été cette année beaucoup plus nombreuses que dans toutes les 24 autres précédentes. Force est de souligner d'abord qu'un seul chef d'Etat parmi les fondateurs de cet édifice qui a vu le jour en 1981, était présent. Il s'agit du Sultan Qabous ben Saïd d'Oman. Par contre, l'émir de l'Etat du Koweït, Cheikh Jaber al-Ahmad al-Sabah ainsi que le roi d'Arabie Saoudite, Fahd ben Abdelaziz, se sont absentés. Par ailleurs, ce sommet a été aussi marqué par la disparition de deux autres fondateurs, Cheikh Zayed ben sultan al-Nahyane des Emirats Arabes Unis et du Bahrein, le père de l'actuel roi. Nombreux sont ceux qui s'attendaient à ce que ce 25ème sommet soit caractérisé par l'arrivée des jeunes chefs, capables de traiter avec courage et réalisme de l'avenir de leur région. Mais, contrairement à ces souhaits, cette messe de Manama n'a rien donné en matière de réalisations ni sur le plan des accords communs. Elle a, en revanche, continué sur la même voie archaïque. Il était clair que ces nouveaux dirigeants n'arrivaient pas à prononcer un discours cohérent pouvant intéresser la Communauté internationale. Moins encore, à initier un dialogue interne responsable, aboutissant à la concrétisation d'accords significatifs entre les Etats membres du CCG et, de là, mettre fin aux tiraillements qui perdurent et immobilisent ce bloc aussi bien politiquement qu'économiquement. De plus, ce sommet s'est achevé sans trancher le différend saoudo-bahreini sur un accord de libre-échange avec les Etats-Unis que le communiqué final a remplacé par un pays "tiers". Quoi qu'il en soit, malgré les propos conciliants, émanant du ministre bahreini des Affaires étrangères, ce différend a pesé lourd sur les travaux ; d'autant que les observateurs estiment qu'il aura des conséquences négatives dans un proche avenir entre le petit et le grand frère de la même famille. Surtout lorsqu'on sait que Riyad est le principal bailleur de fonds de Manama et son principal allié au sein du CCG. Prémices de "rébellion" Le différend entre les deux proches voisins du CCG à propos de l'accord de libre-échange avec les Etats-Unis est un cas classique référant un climat qui règne depuis environ deux décennies dans tout le monde arabe. De plus, il met en exergue l'importance de la relation avec l'extérieur au détriment de celle avec l'environnement régional quels que soient soit le poids et l'influence de ce dernier. C'est dans ce contexte qu'il faut situer la tentative de "rébellion" de Manama. En effet, les Bahreinis, comme l'a indiqué à La Gazette du Maroc leur chef de diplomatie, Mohamed ben Moubarak Al-Khalifa, voient depuis l'invasion du Koweït, que la seule garantie politique, économique et sécuritaire de leur régime, ne peut être assurée que par la plus grande puissance mondiale. Notamment, après que le système défensif mis en place par le CCG et baptisé "Bouclier du désert" (Dirh al-Jazirah), a montré sa défaillance face à l'armée de Saddam Hussein. Les Bahreinis estiment que la garantie de l'avenir ainsi que la prospérité ne peuvent provenir que d'un partenariat politico-économique avec un grand de ce monde. D'autant que les visions "hégémoniques" de certains voisins ne pourraient engendrer que la dépendance et les conflits. Dans ce cadre, ils rappellent leur conflit frontalier avec le Qatar, pour lequel seul le Tribunal international de La Haye a tranché. Si les Bahreinis ont élargi l'éventail de leur relation privilégiée avec les Américains -ces derniers qui possèdent l'une de leurs plus importantes bases navales de la région dans ce pays- politique et du sécuritaire à l'économique, cela dit il y a eu une série de changements, lents certes, mais continus dans les Etats du Golfe. Entre autres, Bahrein, tout comme l'émirat de Dubaï, sont contraints de chercher un nouveau rôle économique, plus particulièrement avec l'approche de la fin de leurs réserves pétrolières. Le choix de Manama d'ouvrir ses portes commerciales au Centre économique international provient de sa déception des partenaires régionaux, et de l'incapacité des infrastructures communes. La peuve, l'accord concernant l'union douanière a pris 23 ans avant d'être ratifié. Malgré ce fait, il n'est guère entré en vigueur. En revanche, force est de comprendre la rude réaction saoudienne à l'égard de la "rébellion bahreinie". L'Arabie Saoudite a, ces dernières années, connu une métamorphose sur le plan de ses structures économiques où il y a eu l'émergence d'un secteur productif, industriel et des services, lié à un secteur agricole et de transformation. Ce vaste secteur est aujourd'hui en train de "revendiquer ses droits" consistant à profiter des marchés du CCG et de sortir du cadre du marché saoudien, devenu plus étroit par rapport aux nouvelles capacités de production. De ce fait, les observateurs considèrent que le différend entre Riyad et Manama dépasse le simple incident diplomatique. D'autant plus que l'affaire ne se limite pas au respect du petit frère envers le grand. La riposte saoudienne L'actuel différend attire, une fois de plus, l'attention sur la nature conjoncturelle qui avait accompagné la création du CCG. Ce dernier n'a pas réussi, durant deux décennies et demie, à consolider une vision unifiée des intérêts communs. Aujourd'hui, après que deux autres Etats du Golfe, les Emirats Arabes Unis et le Sultanat d'Oman, ont fait savoir qu'ils s'apprêtaient, eux aussi, dans les prochaines semaines, à signer des accords de libre-échange avec Washington, rien ne sera plus comme avant entre les pays du CCG. Les différents responsables saoudiens contactés par La Gazette du Maroc au lendemain de la clôture du sommet de Manama s'accordent à dire que le royaume aura recours à nouveau à l'imposition des barrières douanières sur les importations par les pays membres du CCG des produits américains. Un de ces responsables a même révélé que "la sortie de certains pays des rangs a été encouragée par Washington". Cette dernière qui, en dépit de son alliance avec Riyad, cherche toujours à faire pression sur l'Arabie Saoudite afin qu'elle cède sur l'essentiel : accepter et favoriser la signature d'un traité de paix avec l'Etat hébreu. Ce que les dirigeants saoudiens refusent jusqu'ici de faire. Si le ministre de la Défense, le prince Sultan ben Abdelaziz, qui a conduit la délégation de son pays à la place du prince héritier, Abdallah, a déclaré lors de son retour à Riyad que "nous nous contentons de ce qui est sorti du sommet", cela ne veut pas dire que les Saoudiens sont d'accord que ce dernier "a pris acte" de la prochaine signature d'accords de libre-échange et d'accords-cadres de coopération économique entre des Etats-membres et des pays "tiers". A Riyad, on n'apprécie guère que certains partenaires régionaux choisissent le moment difficile par lequel passe l'Arabie Saoudite, notamment sur le plan sécuritaire, pour jouer en solo. D'autant qu'ils misent sur l'économie saoudienne qui, cette année, est sur le point de sortir du goulot d'étranglement. Les dirigeants saoudiens n'ont apparemment pas l'intention de se laisser faire ni de céder aux "caprices" des petits. Le rappel de son ambassadeur en Libye, accusant ce pays d'implication dans un projet d'attentat contre le prince héritier, et la demande à l'ambassadeur libyen de quitter le royaume, n'est qu'un début d'une démonstration de force. Surtout que cette décision a été annoncée au lendemain de la clôture du sommet du CCG. Un message à qui de droit, notamment lorsqu'on apprend que Riyad prépare une grande ouverture en direction de la Syrie, de la Jordanie et de la Turquie.