En attendant la libération des otages Alors que les responsables du Quai d'Orsay affirmaient, jeudi soir, que les deux journalistes, Georges Malbrunot et Christian Chesnot, seront libérés avant la prière du vendredi, des sources proches des dignitaires des tribus sunnites de Ramadi et de Samerra'a ont laissé entendre que l'affaire est beaucoup plus complexe qu'on le croyait. Le cours des évènements leur a apparemment donné raison. Alors que les représentants du Conseil français du culte musulman (CFCM) - qui sont restés à Paris - montraient qu'ils étaient “messieurs savent tout”, donnant des leçons à gauche et à droite et affirmant que leur délégation rentrera demain avec les deux otages, un messager irakien est arrivé soudainement à Amman où il a été reçu à l'aube du vendredi dernier au Palais royal. Ce dernier a fait savoir à son interlocuteur jordanien qui n'est autre que le frère du roi Abdallah II, que les plans portant sur la libération des deux Français séquestrés vont encore tarder quelques temps et qu'il y a plus d'une raison derrière le changement intervenu, en dernier moment, sur l'agenda des ravisseurs. De plus, ce messager, un hachémite “de souche”, a indiqué que toutes les informations et les rumeurs qui ont circulé ces dernières heures concernant les divergences au sein de ceux qui détiennent ces otages, ne correspondent pas à la réalité. Craintes et méfiances Lorsque le Cheikh Abdel Salam al- Kubeïssi, membre du Comité des Oulémas musulmans (l'organisation la plus représentative des sunnites irakiens), a affirmé que les deux journalistes étaient “hors de danger et que leur libération n'est plus qu'une question de temps”, il disait effectivement la vérité. Mais, cela ne veut aucunement dire que ces otages ont été livrés à d'autres mains qui, à leur tour, se chargeront de les ramener dans la capitale jordanienne dans les plus brefs délais. Dans ce contexte, on apprend que lors d'une rencontre qui s'est déroulée, en toute discrétion, dans la mosquée d'Abou Hanifah à Baghdad entre des représentants de la Choura de Ramadi et un groupe d'imams baghdadis, les premiers ont demandé de transmettre le message, à qui de droit, en vertu duquel le problème majeur avec la France ne se limite pas à l'affaire du voile, mais à bien d'autres erreurs commises récemment par ses dirigeants. Ce qui retardera de fait la libération attendue. Ces représentants ont, en même temps, fait savoir que toutes les médiations, à part celle en provenance de l'Egypte, ont été prises en considération. Allusions faites à la Jordanie, au Qatar- où le cheikh Youssef al-Kardaoui a joué un rôle important-, et aux Emirats Arabes Unis qui abritent, depuis de longues années, un nombre de dignitaires religieux sunnites irakiens. Pour ce qui est des erreurs commises, ces représentants ont laissé entendre que des fuites de la part des Français concernant le fonds des négociations, ont été enregistrées. Mais le pire, c'est que les Américains ont été au courant, et en détail, d'une partie des tractations. Ce qui a incité les ravisseurs à faire soudainement marche arrière et à couper court avec la partie qui négociait. Autre erreur, la persistance de l'Elysée à recevoir le président intérimaire irakien , Ghazi al-Yaouar, malgré les multiples signaux adressés dans ce sens, il y a plus de trois semaines à l'ambassadeur de France à Baghdad. Ce dernier qui, d'après ces représentants, a sous-estimé le contenu des messages, d'autant qu'il a continué de préparer la visite d'Al-Yaouar. Celui-ci ne représente pas sa propre communauté sunnite même s'il est issu de la plus grande tribu de la Jazira, Al-Choummar. Pour ce qui est du troisième volet, Paris a découvert sur le tard la gravité de l'erreur commise en invitant le président irakien alors que deux de ses ressortissants étaient entre les mains d'un groupuscule qui menaçait de les exécuter. En effet, la France a reporté la visite que devait effectuer Al-Yaouar, les 6 et 7 septembre. Et pour sauver la face, le ministère des Affaires étrangères a indiqué que “cette décision a été prise d'un commun accord entre Paris et Baghdad”. Une justification qui n'a guère convaincu ceux qui suivent de près l'affaire des otages. Cette situation, à la fois flou et complexe, ne peut que raviver le climat de craintes et de méfiance entre l'establishment français et le pouvoir irakien en place. Pour preuve, les diatribes du Premier ministre, Iyad Allaoui, qui ont mis le Président français, Jacques Chirac, dans tous ses états. En effet, le chef de l'Exécutif irakien a vu dans cet enlèvement une sorte de “leçon administrée” à la France. La preuve, selon Allaoui, que Paris a eu tort de ne pas participer à la guerre contre l'Irak et de se croire, conséquemment, à l'abri du chaos qui y règne. Il a également saisi cette occasion, dramatique pour les autorités françaises, pour prédire que des attentats auront lieu à Paris, à Nice et ailleurs. Changement d'approche Au Quai d'Orsay, les diplomates les plus chevronnés qui connaissent le mieux l'Irak et le Proche-Orient arabe, avouent sans trop se prononcer certes, l'existence des erreurs commises en général ; et plus particulièrement, l'ouverture mal calculée à l'égard du pouvoir mis en place par les Américains. Ces diplomates laissent entendre qu'ils ne comprennent pas comment on peut faire confiance à un homme comme Iyad Allaoui, l'agent des services américains. Ce dernier, qui n'a pas hésité lors de sa première rencontre avec le nouvel ambassadeur français en Irak, de tenir un discours provocateur manquant de politesse. Et à la France d'avaler cette arrogance et de chercher à tourner la page avec celui qui a affiché dès la première heure de son arrivée au pouvoir ses mauvaises intentions. Dans ce même ordre de mise au point, nous avons entendu également des remarques du genre, pourquoi, par exemple, Paris n'a pas eu recours à la Syrie, qui a beaucoup d'influence auprès des tribus sunnites de part et d'autre de ses frontières. On s'interroge même sur les véritables raisons qui ont poussé la France à initier et soutenir la Résolution votée par le Conseil de sécurité des Nations Unies, réclamant le départ de “toutes les forces étrangères qui restent”. En d'autres termes les troupes syriennes. Ceux qui ont fait ces remarques parmi les officiels français les plus avertis, ont fait savoir qu'essayer de punir Damas parce qu'elle a accordé à la dernière minute les quatre contrats d'exploration de gaz et du pétrole aux Canadiens et non aux compagnies françaises, ne devaient pas dans tous les cas de figure s'allier aux Américains qui ont d'autres objectifs , d'autres projets et d'autres intérêts dans la région. Toutefois, ces officiels estiment qu'il n'est jamais trop tard de changer d'approche et de se retourner vers la Syrie pour arrondir les angles de divergence, et de relancer les relations bilatérales sur de nouvelles bases. En attendant d'ajuster les tirs et de tirer les leçons des erreurs commises, la France toute entière attend avec prudence et peut-être confiance, comme l'a dit le Premier ministre Raffarin, la libération de ses deux enfants.