Un débat enflammé Le colloque sur l'Afrique intitulé : " L'Afrique et les espoirs perdus " a été l'occasion de revenir sur quelques-unes des grandes questions qui sous-tendent le débat sur l'essor peu probable d'un continent livré aux guerres ethniques, à la famine, aux épidémies, aux conflits tribaux et autres maladies-catastrophes comme le sida qui en menace plus de 24 millions de personnes. A travers plusieurs points de vue, les Africains et les spécialistes de la question africaine se sont défendus de se laisser prendre par le désespoir et ont appelé à la continuité du rêve malgré les obstacles, les horreurs et l'horizon obstrué. Au-delà du cri de désespoir qui pourrait marquer la fin d'un rêve, les nombreux intervenants du colloque tenu à Assilah du 10 au 12 août 2004 sous l'intitulé quelque peu pessimiste : "L'Afrique et les espoirs perdus" ont tenu à préciser qu'il y a toujours une place pour le rêve au sein d'une famille africaine qui se doit de reposer la question de son développement, de sa démocratisation, de son essor économique et social sans se laisser berner par les discours défaitistes souvent le cru de forces malveillantes qui veulent tuer l'espoir et l'ambition chez les Africains. Les paroles passionnées et très justes du ministre sénégalais des Affaires étrangères, Cheikh Tidjiane Gadio mettent fin à la discorde et au désordre des pensées : "nous ne sommes pas des afro-pessimistes, mais des afro-inconditionnels" avant d'enchaîner sur l'amour que les Africains portent à leur continent malgré tous les maux dont ils souffre et toutes les injustices dont il a fait les frais : "Nous aimons l'Afrique dans sa stature majestueuse du temps de l'Egypte pharaonique, d'authentiques africains du continent ont bâti des pyramides à la gloire de l'éternité... nous aimons l'Afrique qui a souffert de l'agression européenne et qui, après avoir connu l'apogée au moyen âge alors que l'Europe vivait encore certaines formes de barbarie historiquement attestées, était devenue vulnérable de par son déclin. Nous aimons l'Afrique qui a survécu à l'esclavage, un vrai crime contre l'humanité dont les livres de comptabilité attendent d'être complétés. Nous admirons l'Afrique qui a survécu au colonialisme et à ses méfaits. Nous admirons l'Afrique post-coloniale, malgré les errements dans la recherche effrénée de l'Unité fédérale et de la renaissance multiforme". Dans cette déclaration gorgée d'émotion et de spontanéité, le jeune ministre sénégalais qui a marqué l'assistance par son humour, sa force du propos et son authentique amour africain, a résumé cinq siècles de perdition et de tentatives de reconstructions constamment avortées par les discordes internes, les méfaits des guerres, les interventions étrangères qui sapent le moral des Africains. Sur ce long chapitre des ratages, il fallait rappeler les 186 coups d'Etat qui ont jalonné cinquante ans d'indépendance, les passages ravageurs de personnages comme Samuel Doe et sa destruction du Liberia, les ravages d'un Bokassa ou d'autres malades qui ont achevé l'œuvre laissée par les colons, les pilleurs et les sanguinaires. D'autres interventions du représentant du Burkina Faso à celle de Henri Lopès, ancien Premier ministre du Congo et actuel ambassadeur de son pays à Paris en passant par les déclarations d'Ahmed Maher, l'ex-ministre des Affaires étrangères égyptien et Oumar Dicko, ministre des Maliens à l'extérieur et de l'intégration qui tous ont souligné les maux africains du moment. Dans ce contexte de guerre, de coups d'Etat de dirigeants corrompus, de vol et d'absence totale de réelles volontés de changements, comment est-ce possible de penser l'unité africaine, la prospérité d'un continent exsangue qui souffre plus de son manque de crédibilité que du manque des richesses qui sont une manne naturelle exploitée par d'autres et jamais par les fils africains de Senghor, Lumumba, Mohammed V et d'autres ? Sans apporter de réelles réponses, on a souligné que "les 40 ans de l'OUA au plan politique et de programmes du FMI et de la Banque mondiale au plan économique dans les années 80 et 90 ont abouti à plusieurs espoirs perdus ou rendez-vous manqués avec la stabilité, la paix, la croissance, le développement, la lutte contre la corruption et l'endettement, et d'autres aspects de la bonne gouvernance en général" et dans la foulée il nous a fallu à tous, les grands "espérants", les grands optimistes de l'Afrique qui pourraient un jour changer de visage, voir la réalité en face. Et cette réalité se décline en chiffres effarants sur la pauvreté qui touche plus de 40% des 6000 millions d'habitants de l'Afrique au Sud au Sahara qui vivent en dessous du seuil de la pauvreté avec 1$ par jour et par personne, la scolarisation dont le taux moyen brut n'atteint actuellement que 67% contre 94 % en Asie du Sud, qu'il y a 50 ans était aussi pauvre et aussi malmenée que l'Afrique mais qui a réussi un bond extraordinaire grâce au travail, à la bonne gouvernance et un processus de démocratisation issu des préoccupations de chaque nation. Sans oublier l'état de la famine et de la malnutrition. La FAO estime que 800 millions d'êtres humains ne mangent pas à leur faim. Ce total comprend 200 millions d'Africains. 31 millions d'enfants moins de 5 ans, selon le Partenariat pour la réduction de la faim en Afrique, sont mal nourris. Et les statistiques s'amoncellent tout aussi alarmantes ne présageant rien de bon pour les années à venir. Pourtant dans ce colloque, le mot d'ordre a été de tenir le cap, d'œuvrer ensemble pour que l'Afrique puisse relever la tête, se positionner comme un marché fort, une zone stable et une région où la démocratie, la paix et le respect des droits de l'Homme soient les maîtres mots.