Nouvelle stratégie de Ben Laden BDepuis plusieurs semaines les bruits de bottes font résonner la traque dans le désert du Sahel. On l'avait déjà écrit il y a quelques mois, cette barrière naturelle entre l'Afrique du Nord et l'Afrique subsaharienne est devenue, depuis la chute du régime taliban en Afghanistan, une nouvelle terre du jihad qui abrite plusieurs camps d'entraînements. C'est dans cette optique que le mois de juin aura été le plus mouvementé des réseaux affiliés à Al Qaïda. Selon plusieurs sources concordantes émanant des services secrets et des services de renseignements, des attaques contre des objectifs occidentaux en Afrique du Nord ont été mises sur pied. L'attentat d'Alger a été reconnu comme une attaque terroriste d'Al Qaïda, alors que d'autres opérations ont été avortées notamment en Tunisie et au Maroc. Nous sommes à quelques jours de l'expiration de la trêve décrétée en Europe par Al-Qaïda après les attentats de Madrid. Le 15 juillet est la date butoir, celle qui fait aujourd'hui peur au monde. Les Américains et les Européens multiplient les contacts et de nombreuses arrestations en Europe, particulièrementt à Londres, semblent se succéder pour couper la tête de l'hydre. Quoi qu'il en soit, d'ici le 15 juillet les risques d'attentats sur le sol européen ou contre des intérêts européens dans le monde sont pris au sérieux, cette fois pour éviter les erreurs de Madrid. C'est le Groupe salafiste pour la prédication et le combat algérien (GSPC) d'Amara Saïfi, connu sous le nom de Abderrazak "le Para", qui était en charge de ces attentats. L'opération commençait au Tchad selon une source proche d'un service de contre-espionnage européen. Plusieurs activistes qui s'acheminaient chacun vers sa destination ont été arrêtés il y a deux semaines. Et ce sont les services de sécurité libyens, à la frontière avec le Tchad, qui ont réussi l'exploit. L'Europe visée en Afrique du Nord, le GSPC est "clairement en train de préparer des attaques terroristes sur le sol africain qui doivent viser des intérêts européens, y compris français et américains, qu'ils soient économiques, diplomatiques ou touristiques". C'est ce que plusieurs services de renseignements ont fait circuler entre eux. Les bureaux d'intelligence n'excluent pas une recrudescence des attaques dans les prochains jours en réponse à plusieurs coups de filets dans le monde qui ont décapité de nombreux groupes terroristes comme en Arabie Saoudite, en Jordanie ou encore tout près de nous, en Algérie. De leurs côtés, les services libyens ont découvert " que le GSPC avait établi une base d'opérations dans le massif montagneux et désertique du Tibesti, au nord du Tchad ". Pour eux, "le GSPC enrôle à tour de bras des volontaires tchadiens, soudanais, libyens, maliens ou mauritaniens ". D'autres sources n'excluent pas le ralliement de plusieurs Marocains enrôlés dans des pays arabes limitrophes comme l'Egypte ou encore la Tunisie. Selon les spécialistes, les activistes qui forment ces groupes armés sont tous "entraînés au maniement des explosifs grâce à des équipements très sophistiqués". La première constatation qui se précise est que plusieurs de ces groupes ont eu une formation en Europe et dont les responsables sont presque tous des anciens d'Afghanistan. Quelques-uns ont rejoint le Sahel après novembre/décembre 2001 et la chute des Taliban, d'autres avaient déjà investi les lieux avant le départ d'Oussama Ben Laden en Afghanistan, à sa sortie du Soudan en 1996. Pour les experts militaires, la tactique de Ben Laden " était la bonne puisqu'il voulait assurer une terre de repli supplémentaire ". Mais il ne faut pas croire que cette zone qui s'étend de la frontière avec le Soudan jusqu'au Maroc en passant par le Tchad, la Libye, l'Algérie, le Niger, le Mali et la Mauritanie, est restée inactive pendant des années. Au contraire, plusieurs groupes, pour la plupart algériens, avaient pris les commandes de la région et avaient installé des zones tampons entre différents pays pour accueillir les fuyards, entraîner les recrues et cacher de nombreux recherchés qui se sont faufilés entre les mailles des filets des polices antiterroristes. Le Sahel, nouvel Afghanistan L'Amérique et l'Europe ne donnaient pas beaucoup de crédit aux thèses qui paraissaient farfelues à l'époque sur d'éventuelles manœuvres d'Al Qaïda au Sahel. Ce n'est qu'en 2003 que le monde s'est rendu compte que le danger était bel et bien présent. C'est le groupe salafiste algérien , fondé en 1998 par d'anciens membres des Groupes islamiques armés (GIA), qui avait dévoilé au monde l'existence de ce danger tapi dans le désert en revendiquant la responsabilité de l'enlèvement de 32 touristes européens, pour la plupart des Allemands, dans le Sahara. On ne sait pas si la rançon a été versée ou pas aux ravisseurs puisque jusqu'à aujourd'hui le gouvernement allemand s'en défend mais, selon les spécialistes, elle atteint les 5 millions d'euros. Des sources proches des services secrets européens déclarent que cet argent a été touché et aurait servi à l'achat d'armes et de marchandises militaires sophistiquées. Depuis ladite allégeance faite à Ben Laden en septembre 2001, toujours selon plusieurs services de renseignements, le GSPC et son chef Nabil Sahraoui ont ratissé large dans la région. Il y a quelques jours, en fin juin, le chef et plusieurs autres dirigeants du groupe armé ont été tués lors d'un ratissage de l'armée algérienne dans la région de Béjaïa à 260 kms à l'est d'Alger. On a beaucoup parlé aussi de la capture de celui que l'on présentait comme le numéro 2 du GSPC, Amara Saïfi, qui a été arrêté par les rebelles du Mouvement pour la démocratie et la justice au Tchad (MDJT). Mais, selon toute vraisemblance, les deux organisations ont pactisé pour faire cause commune contre l'armée tchadienne. Ce qui apporte de l'eau au moulin des activistes d'Al Qaïda au Sahel et présente, désormais de façon officielle qui ne souffre aucune ombre, le Sahara comme le tout nouveau bastion d'Al Qaïda, qui y prépare des attentats contre des intérêts européens et américains. On s'en souvient, à plusieurs reprises, que les Etats-Unis ont déclaré par le passé qu'ils savaient qu'Al Qaïda cherchait à s'implanter dans la région du Sahel par l'intermédiaire du GSPC. Aujourd'hui, il ne fait aucun doute, Al Qaïda s'est installé pour de bon dans le Sahara à quelques encablures des grandes capitales d'Afrique du Nord comme Rabat, Casablanca, Alger, Oran, Tunis et d'autres sanctuaires touristiques de la région. On se rappelle aussi, il y a trois mois en mars 2004, que le quotidien américain Boston Globe avait révélé que les Forces spéciales américaines traquaient désormais le GSPC aux côtés de l'armée algérienne aux confins de l'Algérie et du Mali. A l'époque l'opération qui devait passer secrètement avait vu la mobilisation de plusieurs navires et corps de métiers qui avaient fait les déplacements vers le Sahara. Au programme : entraînements de troupes, accords pour accéder aux " zones grises", échanges de renseignements, traques de suspects et études logistiques du terrain avec cartographie détaillée de la région du Sahel. L'opération Pan Sahel prenait alors corps. Pour Washington, la question qui se posait était de savoir comment lutter contre le terrorisme, éviter des attaques contre ses intérêts et surtout identifier les activistes sans déployer dans la région des hommes ni y ouvrir des bases militaires ? Selon un haut responsable militaire américain, leurs experts sont convaincus que l'Afrique, avec ses " zones grises ", est en train de se transformer en base arrière du terrorisme d'Al Qaïda, et le fait de convaincre les pays de la région à collaborer avec les USA ne posait pas un réel problème. Menaces sur le Maroc Pour les experts, toutes les pistes sont possibles et il ne faut exclure aucun pays parce que l'on a décidé qu'il n'était pas sur la liste des prévenus de terrorisme. Le Maroc a connu des attentats terroristes et a réussi à en avorter d'autres, ce n'est plus un secret pour personne. La question qui se pose aujourd'hui est de savoir si le Maroc était visé par les derniers coups d'Al Qaïda ? La réponse est oui, au même titre que l'Algérie et la Tunisie. Certains experts en terrorisme placent le Maroc en tête de liste avec la Tunisie. Car le Maroc a déjà été pénétré et a payé un certain 16 mai. Cela ne veut pas dire que le pays est facilement opérationnel pour les terroristes, mais que la menace est toujours à prendre au sérieux. Pour la Tunisie, il ne fait aucun doute non plus qu'elle soit dans la ligne de mire cet été. Reste à savoir si la traque orchestrée depuis quelques jours dans le Sahel va révéler les plans d'action des groupes terroristes d'Al Qaïda en faction dans le Sahara. Les Américains prennent très au sérieux les menaces proférées à leur encontre et ils savent que leurs intérêts peuvent être ciblés dans des pays africains plus qu'ailleurs. Pour d'autres analystes, la difficulté de pénétrer le sol américain depuis le 11 septembre 2001 a ouvert d'autres terrains au terrorisme pour qui l'essentiel est de frapper en vue d'une bonne publicité pour Al Qaïda. Peu importe le lieu, l'important est le coup et quand il vise un intérêt américain ou un allié américain, Al Qaïda s'en réjouit. Cette réalité n'échappe pas aux services américains qui ratissent large dans la zone grise du Sahel en collaboration avec d'autres pays de la région qui, eux aussi, ont déjà démontré leurs aptitudes dans la lutte antiterroriste. Des bases américaines en Mauritanie Ce n'est plus un secret de polichinelle que Washington tente, tant bien que mal, de garder au frais. Sauf que les fuites ont été nombreuses et plusieurs services secrets ont mis la main sur ce qui devait être l'opération militaire et stratégique la plus forte depuis dix ans. La clé des manœuvres commence par le voisin du Sud, la Mauritanie, à quelques hectomètres du sol marocain. Des négociations étaient en cours depuis des mois pour préparer le terrain à une arrivée massive des troupes américaines. Selon certaines sources, plusieurs navires de guerre américains étaient stationnés au large pour acheminer les premiers convois de soldats vers les futures bases militaires. Officiellement, c'est pour " stabiliser " le Sahel et mettre fin aux agissements des groupes salafistes " liés à Al Qaïda " que Washington a proposé son aide à Nouackchott qui n'a pas eu le temps de refuser. Depuis le 20 janvier 2004, des instructeurs américains sont chargés de réorganiser les forces armées mauritaniennes en leur donnant des cours intensifs en termes d'armes, de stratégie de guerre et de lutte antiterroriste. L'opposition, qui affirme qu'il n'y a aucun danger terroriste dans le pays, dénonce un soutien militaire étranger au régime autoritaire du colonel Moaouya ould Sid'Ahmed Taya. Bref, la zizanie n'a fait qu'augmenter avec l'arrivée des Américains sur le sol mauritanien, mais cela était à prévoir. Cependant, l'assistance américaine dans la région ne serait que les prémisses d'une collaboration de grande envergure entre plusieurs pays de la zone dite grise du Sahel où Al Qaïda a élu domicile depuis des années en vue d'un éventuel front vers l'Afrique du Nord et l'Europe. La sous-secrétaire d'Etat américain aux Affaires africaines, Pamela Bridgewater, négocie l'installation d'une base militaire US permanente dans le désert, ce qui permettrait des interventions dans tout le continent africain et une maîtrise de " l'arc d'instabilité " qui va de l'Afghanistan au golfe de Guinée en passant par les principaux champs pétrolifères de la planète. Pour certains experts en stratégie militaire, cette opération ne vise pas uniquement de mettre hors d'état de nuire les différents groupes d'Al Qaïda qui patrouillent depuis plus de six ans dans la région, mais aussi de se frayer un chemin vers le pétrole africain et notamment celui du Nigeria. Ce grand pays qui jouxte le Sahel pose un énorme problème aux autorités américaines qui savent que c'est là d'abord une mine d'or pour les réserves en pétrole et, surtout, se doter d'un allié fort pour éviter que tout le territoire nigérian ne devienne un terrain d'entraînements des radicaux islamistes. Car, depuis plusieurs années, une bonne partie du pays s'est ouverte aux voies radicales et terroristes qui prêchent un islam plus virulent que celui des talibans. L'axe du Sahel Le Grand Sud est une base idéale de repli pour les islamistes armés. " Si la pression devient trop dure pour les terroristes en Afghanistan, au Pakistan ou en Irak, déclarait récemment un responsable militaire américain, ils trouveront de nouveaux pays où se réactiver. Les régions du Sahel et du Maghreb en font partie." Pourquoi Al Qaïda peut réussir un nouvel Afghanistan au Sahel ? Pour répondre à cette question, il faut prendre en considération les particularités religieuses de la région. D'un côté, les préceptes salafistes, imprégnés des thèses d'Al Qaïda, ne font pas le poids devant l'Islam traditionaliste qui est en vigueur du Soudan à la Mauritanie. On pratique dans cette région un Islam pacifiste, opposé dans son idéologie et ses pratiques à l'esprit guerrier du salafisme. D'un autre côté, il faut mesurer les défaillances économiques dans la zone pour juger de la réalité des pratiques religieuses. Comme en Afghanistan ou au Soudan du début des années 90, les chefs d'Etats qui dirigent dans la région du Sahel sont faibles. Les traditions tribales et leurs sédiments sont plus importants que le consensus autour d'une direction commune. Sans oublier la grogne sociale qui bat son plein dans des moments de crises répétitives. Un mécontentement social qui s'est de nouveau exprimé pendant la campagne électorale à Ouargla, Touggourt, el Golea, Tamanrasset, Djanet ou Aïn Salah, de larges zones influentes dans la zone grise du Sahel. Une radioscopie de la politique de la région et des retombées socioculturelles nous dévoilent des pans entiers du malaise qui caractérise ces pays. La population locale, surtout la jeunesse, est dépossédée de la manne pétrolière. Elle vit à la marge d'une société qui aurait pu éviter la famine, la pauvreté et d'autres fléaux qui s'abattent à répétition sur les populations. Elle ne cesse de réclamer des emplois et une redistribution plus équitable des richesses. En vain, puisque les pouvoirs en place sont grégaires ou corrompus, ce qui est le lot de plusieurs pays africains. C'est là que les mouvements de contestation se développent comme en témoigne la création d'"aarouch" semblable à ceux qui existent en Kabylie. Le terrain est alors fertile pour les islamistes de venir semer les graines de la dissension et de la haine. Le pas de la grogne à la colère religieuse passe par un autre ras-le-bol, cette fois animée par la violence religieuse. Et un autre schéma de terreur commence à se profiler. C'est presque classique aujourd'hui. Sur un autre plan, les choses empirent encore : l'industrie des hydrocarbures, dans laquelle les Occidentaux ont de gros intérêts, constitue une autre bonne raison pour les islamistes armés de s'y implanter. Dans ce Sahara de 8 millions de kilomètres carrés s'étendant des côtes de l'Atlantique à la mer Rouge, il sera très difficile de venir à bout d'Al Qaïda et de ses visées à la fois politiques et économiques. Etudiant le coup, les Algériens et les Américains ont conjugué leurs efforts et ont constitué une liste de plusieurs centaines d'activistes algériens soupçonnés d'appartenir à Al Qaïda. Les Etats-Unis, de leur côté, ont accru leur aide à l'Algérie et à plusieurs pays du Sahel en matière d'équipements et de formation militaires. Selon des sources bien informées, les Américains ont installé un centre d'écoutes près de Tamanrasset, dont l'aéroport est en voie d'agrandissement. Ils sont aussi à l'origine de l'initiative Pan-Sahel, un programme de formation militaire qui regroupe le Mali, le Niger, le Tchad et la Mauritanie. Début mars, une opération conjointe, dirigée par des forces spéciales américaines avec l'aide des services secrets français, a permis de "neutraliser " une quarantaine de membres du GSPC dans le massif du Tibesti, au Tchad. Quelques jours auparavant, deux touristes françaises au Niger avaient été séquestrées durant une nuit puis relâchées le lendemain après avoir signé une lettre que l'on retrouvera dans la poche de l'un des combattants du GSPC tué au Tibesti. Abdelhak Najib et Karim Serraj