Affaire Erramach Suite du feuilleton Erramach et compagnie, avec l'apparition tant attendue du principal défenseur du ministère public et de son réquisitoire. Dans la foulée, c'est quatre heures de longues phrases qui assènent la culpabilité de la trentaine d'accusés, avec au bout de la logorrhée, la peine maximale requise à l'encontre de chacun d'entre eux. Le procès de la Cour spéciale de justice de Rabat arrive à son terme. Mardi 30 mars dernier, la Cour spéciale de justice de Rabat aura montré plus de visibilité sur ses intentions de sentence à l'encontre de la trentaine d'inculpés qui siègent depuis août 2003 dans le banc des accusés. Il s'agit en l'occurrence de magistrats, de fonctionnaires de la Sûreté nationale, de la Gendarmerie royale, de douaniers, d'élus et d'un greffier de justice de la ville de Tétouan impliqués dans l'affaire Erramach. La Cour spéciale les poursuit pour trafic d'influence, corruption, non dénonciation d'un criminel, divulgation du secret professionnel et trafic de drogue. Durant la séance qui n'a pas déçu en rebondissements, le profil bas des accusés était de mise. Cela après deux mois de légère euphorie qui avait gagné les prévenus, leurs familles et leurs avocats qui pensaient avoir marqué quelques coups somptueux contre la Justice marocaine. Au fil des mois, celle-ci avait tangué dangereusement en effilochant ses rangs, faisant saillir des dérèglements et montré que le déroulement du procès s'était converti en un véritable labyrinthe à trois entrées. Le procès de corruption à Rabat et deux autres procès liés au trafic de drogue à Tétouan, qui se révèlent intimement liés et imbriqués pour la bonne marche du dossier Erramach et Cie. Mardi, on aura entendu l'épouse de l'ex-préfet de police de Tétouan, Mohamed Sekouri, appelée à la barre pour témoigner devant le parquet. Quatre heures de réquisitoire La discussion a tourné principalement autour de l'achat, par son mari, d'un appartement dans une station balnéaire de la Costa del Sol. Selon l'accusation, ce logement aurait été payé par Mounir Erramach, pour des services de couverture et d'abandon de poursuites à son encontre. Tout en niant l'affaire, l'épouse du fonctionnaire déchu, visiblement marquée par le procès de son mari, a rappelé qu'un prêt avait permis l'achat dudit appartement de luxe, et qu'aucune transaction douteuse d'argent n'a pu être établie par les enquêtes dans les comptes de la famille Sekouri. A l'issue de l'intervention, ce fut le tour du procureur général de la CSJ. C'était le clou de la journée que toute la salle attendait. Dans ce genre de procès où se retrouvent impliqués des hommes de loi, on jauge d'habitude l'atmosphère à la chaleur, au ton et aux convictions que met le représentant du ministère public dans son discours. Un ballon de lest qui a bien fonctionné et qui permet déjà de savoir qu'aucune remise en liberté ne sera accordée aux prévenus, même si certains d'entre eux pourraient essuyer des peines proches des huit ou neuf mois qu'ils auront passés dans la geôle en attente de la résorption des procès. Le procureur général a donc pris la parole pour sonner le glas et faire entendre qu'un virage proche de la ligne d'arrivée était amorcé ce jour-là. L'audience aura été marquée par le réquisitoire virulent et coupant du représentant du ministère public. Durant plus de quatre heures, d'une voix tantôt fluette, tantôt rauque et acharnée, il a rappelé l'ensemble des présomptions qui pèsent sur les accusés. Il est ensuite revenu sur l'histoire des arrestations de l'été 2003 en dressant un tableau sombre de la situation. Sans prendre en compte certaines des critiques adressées par les avocats, depuis quelques mois, au tribunal, le réquisitoire a évoqué les preuves dont disposait l'accusation, en faisant référence à la compilation d'aveux passés devant la police marocaine. Il a finalement requis la peine maximale à l'encontre de chacun des accusés. Quoi qu'il en soit, depuis que Mounir Erramach est tombé, officiellement, en février 2004, sous le coup d'une sentence de 10 ans d'emprisonnement ferme, pour une vieille affaire restée miraculeusement dans les tiroirs du tribunal de Tétouan, le sort de l'affaire Erramach et Cie ne fait plus de doute et la justice marocaine ne fera plus marche arrière. Elle condamnera, selon toutes les analyses, la trentaine d'accusés dans quelques semaines. Abdelhak Najib et Karim Serraj Les trois procès de Erramach La première entrée de cette affaire est le procès de Rabat, une impasse, liant tout ce beau monde à Mounir Erramach sur la base de l'inculpation de corruption. Mais par qui ont été corrompus les hommes de l'Etat ? Cette question, anodine, mène au cœur des bizarreries de cette histoire. Car jusqu'à février 2004, Mounir Erramach n'était pas déclaré officiellement et par aucune justice “trafiquant” de drogue, et toutes les peines de son casier judiciaire ne comportaient, jusqu'à cette date, que des sentences pour trafic de cigarettes. La justice marocaine s'est retrouvée coincée et prise à son propre piège. Comment mener un procès de trafic de drogue alors que le principal accusé n'est pas encore reconnu comme un grand trafiquant de haschich entre le Maroc et l'Europe? Ce qui explique pourquoi la ville de Tétouan a entamé, parallèlement à partir d'août 2003, un deuxième procès à l'encontre de Mounir Erramach, sur la base de l'accusation de trafic de drogue, saupoudré d'autres délits comme la détention d'armes et tentative d'assassinat, constitution de gang etc. Dans ce versant de l'affaire, il faut bien croire que le tribunal de Tétouan comptait expédier rapidement le dossier, avec comme on s'y attendait, une confirmation des présomptions, ce qui aurait facilité la tâche de la Cour spéciale de Rabat en permettant de faire avancer le débat au sein du parquet et de faire valoir la sentence de Tétouan comme un argument probant et irréfutable. Outre le télescopage entre les deux tribunaux qui a culminé maladroitement dans la brouille de : “qui convoque Mounir Erramach aujourd'hui ?”, le même jour à Tétouan et Rabat, il s'est avéré que le dossier de Tétouan a peiné à imposer sa vision et à conclure sur un épilogue qui rassurerait l'opinion publique sur l'exemplarité de la démarche de l'accusation. Même à huis clos, le dossier de Tétouan a senti la rance tous ces derniers mois. Absence de flagrant délit, d'enquêtes sur le réseau de Mounir Erramach en Espagne, sur les financements, le réseau organisationnel qui sont autant de preuves demandées dans le cadre d'un dossier de cette envergure. Pourquoi le tribunal de Tétouan n'a jamais pu condamner, en huit mois, l'individu Erramach ? Que manquait-il aux juges? Selon l'une des voix de la défense, la réquisition du tribunal de Tétouan se base sur les p.v. de corruption qui constituent une autre affaire traitée à Rabat. Existe-t-il des preuves tangibles pour l'accusation liée à la drogue, du flagrant délit ? Dans un sens, ce n'est pas le fait de savoir si Mounir Erramach est un trafiquant de drogue qui importe pour la Justice(n'importe quel Tétouanais rencontré dans la rue répondra par l'affirmative), mais bel et bien si la justice marocaine détient des preuves et des données matérielles sur lesquelles elle entend fonder son pouvoir de jugement. Tel est l'enjeu du procès qui est en cours actuellement. Enfin, depuis février dernier, comme par inadvertance, alors que personne ne s'y attendait, le tribunal de Tétouan a sorti un dossier oublié et comme par magie retrouvé au fond d'une caisse d'archives, qui concernerait une vieille condamnation de Mounir Erramach pour trafic de drogue, lourde de dix ans de prison ferme. Cette condamnation, par contumace, daterait bien avant que Mounir Erramach ne devienne le grand baron du Nord et qui est venue à la rescousse de la CSJ. Elle permet maintenant de donner toute la légitimité à l'affaire, sans occulter les zones d'ombre : pourquoi la cour de Tétouan n'a jamais été avisée depuis toutes ces années de la sentence, alors que Mounir Erramach vivait au su et au vu de tous entre Tétouan et Sebta ? S'agit-il là de la véritable affaire de corruption qui lierait le jeune homme aux fonctionnaires de la ville, pour laquelle il n'y eut pas de suite ni de reconduite ? En tous les cas, cette troisième affaire vient enfoncer le clou définitivement dans un procès fortement ébranlé. A.N & K.S