Rapport du CNSDP Le Comité national pour la sauvegarde des deniers publics (CNSDP) ( qui regroupe plusieurs associations ) dresse un constat chiffré des plus déplorables sur la gestion des établissements publics. Le montant dilapidé ou détourné représente, selon cette instance, huit fois le montant de la dette extérieure du Maroc. La chose publique est un modèle à bout de souffle... Voilà le principal enseignement du rapport que le Comité national pour la sauvegarde des deniers publics vient de consacrer à la mauvaise gestion des établissements publics qui ont connu ces derniers temps une hémorragie financière sans précédent. Les affaires des scandales financiers qui ont fait surface, et dont le manque à gagner pour la collectivité est de plus en plus lourd, font réagir la société civile qui appelle avec insistance à ce que justice soit faite. La lecture du rapport est intéressante à plus d'un titre et pèse de tout son poids sur l'image d'un secteur déjà remué et discrédité, dans un passé pas lointain, par les derniers scandales financiers de la BCP, du CIH et de la CNCA, de l'association des minotiers, de la CUC…, où les principaux protagonistes sont des anciens P-dg et hauts cadres de ces établissements bancaires. Plus les grands dossiers s'exhument pour livrer leurs scandales et leurs secrets, plus les chiffres montent en puissance. De millions de Dhs, on est passé en milliards de Dhs. En effet, la série noire, et longue, des opérations de détournements des deniers publics a incité la société civile à sortir de son silence pour mettre un terme à ces pratiques qui ont longtemps affecté la gestion de la chose publique. Les scandales financiers dénichés et tirés au clair, ou encore au stade d'instruction (comme celui de la Sécurité sociale), sont là pour témoigner, si besoin est, du gros coût financier qu'ils ont fait supporter à l'économie nationale. Pour avoir un ordre de grandeur, le Comité national pour la sauvegarde des deniers publics dresse un constat chiffré des plus déplorables : le montant dilapidé ou détourné représente, selon cette instance, huit fois le montant de la dette extérieure du Maroc, laquelle dette a connu une progression parallèle avec quelque décalage dans le temps. Soit 13 600 milliards de centimes, ce qui équivaut au total des ressources du budget de l'Etat : 3 milliards de Dhs pour la CNCA, 14 milliards de Dhs pour le CIH, 115 milliards de Dhs pour la CNSS…, sans oublier les autres dizaines de milliards de la CUC et qui n'ont pas été encore dévoilés par l'instruction de la CSJ. Tout se passe comme si le classement de ces affaires obéissait à une logique arithmétique furieusement ascendante. Absence des services de contrôle Le Comité national pour la sauvegarde des deniers publics ne va pas par quatre chemins pour cerner la notion en question et considère que le phénomène comme étant un ensemble d'infractions qui portent atteinte aux finances publiques qu'elle qu'en soit l'origine. D'autant plus que les retombées de la criminalité des affaires sur l'économie nationale sont trop fâcheuses. Pour ces deux dernières années donc les sommes volatilisées approchent les revenus de l'Etat qui sont de l'ordre de 136 milliards de dirhams. Si l'on ajoute toutes les rapines qu'ont connues la quasi-totalité des établissements et des administrations publics, le Maroc n'aurait jamais été endetté, ou, pour relativiser, beaucoup moins endetté. De science intuitive mais néanmoins certaine, le pays se porterait beaucoup mieux. Cela a été dit, certes, mais on ne le redira jamais assez. Rien que pour la Sécu, les sommes détournées équivalent à 80% de la dette extérieure du Maroc. Elles représentent également l'équivalent de deux fois et demie les dépenses publiques, de six fois et demie le budget d'investissement, du double de la valeur de Maroc Telecom et du tiers du Produit intérieur brut (PIB); l'année de référence étant 2001. De même, le préjudice causé à la Caisse est l'équivalent aux recettes de l'Etat en 2001, y compris les recettes des opérations de privatisations des établissements publics. En effet, et dans sa démarche, le Comité national pour la sauvegarde des deniers publics a procédé à d'autres extrapolations plus intéressantes. Du genre : avec toutes ces sommes enfouies dans des poches plus ou moins connues, plutôt plus que moins, combien de routes, d'autoroutes, de dispensaires, d'écoles, d'investissements créateurs d'emplois, aurait-on réalisés ? La réponse n'est pas difficile à trouver : la somme détournée pouvait bien servir à la construction de plus de 40.022 écoles (l'analphabétisme atteint des proportions alarmantes au Maroc) et à la création de 4 millions d'emplois directs. À présent, les dysfonctionnements, les prébendes, les accaparements, les enrichissements illicites, les scandales financiers ou immobiliers, les gaspillages sont dénoncés. Tout ce qui avait été étouffé dans un passé non lointain surgit au grand jour, et il est à prévoir que les réclamations de la société civile vont s'amplifier. La question qui vient immédiatement à l'esprit est toute simple : où étaient les services de contrôle pour autoriser ce laisser-aller au sein des établissements qu'ils ont la charge de contrôler. Toutes ces pratiques délinquantes, sur plusieurs années, n'étaient pas spécialement confidentielles, ni même discrètes. Seuls les pouvoirs publics ont fait mine de ne pas savoir. Justement, ceux qui ont assumé ce pouvoir de contrôle tout en laissant faire, devraient, eux aussi, rendre des comptes pour que justice soit faite. La moralisation de la vie publique passe nécessairement par la sanction du népotisme, des passe-droits et des abus de pouvoir. Mobilisation de la société civile Aujourd'hui, malgré l'intention déclarée officiellement de faire justice, en faisant astreindre à la légalité tous les hommes d'affaire sans exception ni distinction aucune, la situation perdure encore, note cependant le comité national pour la sauvegarde des deniers publics. Le dossier du CIH, encore moins celui de la sécurité sociale, est toujours au stade initial d'instruction devant la Cour spéciale de justice à Rabat. Celui de la Banque centrale populaire ( BCP ) a été, on ne sait pour quelle raison, tombé dans les oubliettes et les responsables sont libres comme si de rien n'était. Aujourd'hui, les mises sous l'écrou intimident rarement les hommes d'affaires marocains ainsi que les dirigeants des établissements publics puisque avec toute l'accumulation de délits sur fond de complicités organisées elles ne connaissent pas souvent des suites judiciaires et des condamnations lourdes pour les fossoyeurs des deniers publics. C'est dire par voie de conséquence que la justice a du mal à s'affirmer en tant que pouvoir indépendant pour trancher objectivement dans ces affaires. À présent, la sortie du CNSDP constitue un bon signe pour l'évolution de la conscience et la mobilisation des organisations de la société civile. Elles commencent à investir des champs qui étaient hermétiques jusqu'à une date récente.