Mondialisation et développement humain durable Les forums sociaux planétaires de Porto Alegre et de Bombay, fustigeant la globalisation de l'économie et la mondialisation des marchés et des échanges, ne recrutent pas que dans les pays périphériques ou dominés. De célèbres intellectuels occidentaux, nobélisés de surcroît, ont joint leurs paroles et leurs actes aux altermondialistes. Une figure célèbre, produit des Etats-Unis, Joseph Stiglitz, conduit le peloton de contestation mettant en difficulté les ambitions de Bretton Woods. En conférant le jeudi 19 février courant à Rabat, celui-ci a de nouveau réaffirmé ses convictions et sa vision favorable à une “planification pour un développement humain durable dans le contexte d'une économie mondialisée”, thème de l'aréopage. Héros des altermondialistes, et des anti-globalisation, bête noire des partisans de l'ultra libéralisme et du “tout-marché”, ce “justicier de l'économie” des temps modernes veut changer le monde réduit, pour l'heure, à une course effrénée aux surprofits des plus riches dominant la scène mondiale, entraînant dans leur sillage la paupérisation accrue des populations les plus vulnérables du globe. L'auteur de “La grande désillusion” a bouclé son verdict sur un état des lieux fortement controversé en confrontant la théorie économique à la réalité politique: “La mondialisation ne marche pas parce qu'elle ne profite pas à tout le monde”. Et d'appuyer son diagnostic : “la croissance est restée très limitée et ses bénéfices ont profité aux riches de manière disproportionnée”. L'échec annoncé de la mondialisation à deux vitesses Le Professeur de l'université de Columbia aux USA, ancien conseiller économique du président Bill Clinton et ex-économiste en chef et vice-président de la Banque mondiale, définit la mondialisation comme “la suppression des entraves au libre-échange et l'intégration des économies nationales grâce à une série d'institutions conçues pour amener la croissance économique à tous”. Ses convictions ont irrité plus d'un magnat parmi les oligarchies et les capitalistes dominants de la planète : “je suis persuadé que la mondialisation peut être une force bénéfique, qu'elle est potentiellement capable d'enrichir chaque habitant de la planète, en particulier les pauvres”. Une résolution visant à une meilleure répartition des richesses et à un partage plus équitable des fruits de la croissance des nations que rejettent en bloc les “requins d'affaires” maîtres des marchés et gendarmes implacables d'un développement limité et contrôlé des pays les moins nantis. Une mondialisation à deux vitesses où les plus forts et plus riches s'enrichissent encore plus, et où la masse des pays faibles et des populations vulnérables subissent l'aggravation de la fracture sociale. D'ailleurs, chez nous au Maroc, des réticences se sont déclarées dans certains milieux de la société civile exigeant une renégociation “équilibrée” de l'accord de libre-échange entre le Maroc et le géant américain. Surtout dans les créneaux des produits pharmaceutiques et culturels. A ce propos, J. Stiglitz déplore “les règles inégales du commerce, comme celles régissant la propriété intellectuelle, qui sont le fruit des pressions des laboratoires pharmaceutiques et de l'industrie des loisirs. Elles vont à l'encontre des intérêts de la communauté scientifique et de ceux qui se soucient de la santé et du bien-être des pauvres”. Un processus antidémocratique et opaque Le professeur s'attaque violemment aux “fanatiques du marché” qui s'évertuent à nourrir un processus de mondialisation “anti-démocratique” qui n'est pas “transparent” et où les voix de certains groupes et de certains pays “comptent plus que d'autres”. Entre temps, l'explosion des NTIC continue de creuser le fossé numérique entre les nations à développement inégal, surtout l'Afrique qui s'enfonce dans sa peu reluisante position de lanterne rouge. Présenté comme un néo-keynésien adversaire irréductible des néo-classiques, il s'est rendu célèbre en pourfendant le “fanatisme du libre-marché cher au FMI” et le “capitalisme des copains”. A ses yeux, une nouvelle approche de la mondialisation passe impérativement par le changement des règles du jeu en modifiant les systèmes du FMI et de la BM dans un profil plus “technique” et moins politique, en supprimant le seul veto américain au FMI ainsi que le mode de représentation dans les institutions de Bretton Woods. Ce brillant sexagénère apparaît comme un économiste accompli qui a analysé les conséquences désastreuses de la mondialisation sur de nombreux pays en développement ou en transition et qui l'ont poussé à remettre en cause la fiabilité et la légitimité des politiques concoctées par le FMI. Ses sorties audacieuses lui ont valu une large audience en termes de partisans de cet avocat des pauvres et d'adversaires tenants du “tout-marché”. A l'instar de celle-ci évoquée dans l'un de ses fameux ouvrages lorsqu'il qualifie le système économique en vigueur de “gouvernance globale sans gouvernement global” . La philosophie d'une économie mondialisée, dont l'impact en termes de développement humain et social serait plus accentué, telle que conçue par le Nobel américain rejoint en quelque sorte la vigoureuse plaidoirie du Nobel indien Amartya Sen, rendu célèbre par sa “Contribution à l'analyse du bien-être économique” et à “l'analyse du développement”. Inaugurant ainsi la première distinction prestigieuse scientifique au continent asiatique dans l'histoire de la célèbre Académie Royale des sciences de Suède. En définitive, on pourrait parler d'une levée de boucliers des intellectuels du monde contre la domination planétaire des grands groupes financiers et industriels si on ajoute à la liste des “opposants célèbres ” comme l'auteur du best-seller “ L'horreur économique ” qui avait fait un tabac pour révéler au monde le talent de Viviane Forester.