En rendant son verdict assorti du gel des activités du FLN et de ses abus financiers, le président de la Chambre administrative de la Cour d'Alger aurait répondu à la requête du mouvement dit de “ redressement ”, piloté par Abdelaziz Belkhadem, pour le compte de Bouteflika. Ainsi, l'Algérie est désormais ouverte à toutes les éventualités. Tous les coups seront donc permis alors que le scénario du cataclysme devient le plus probable. Pour aller jusqu'à impliquer la justice dans le jeu électoral où il est un des principaux acteurs, le chef de l'Etat algérien aurait apparemment la certitude que ses chances de briguer un nouveau mandat se sont amoindries. Une fuite en avant s'est donc avérée indispensable, même si une telle action injustifiée en droit constitutionnel pourrait entacher son image qu'il a tenu à soigner auprès de l'Occident. Réagissant sans trop tarder, deux chancelleries européennes n'ont pas caché leur déception envers ce qu'elles ont qualifié de justice aux ordres et aux mains de la présidence qui s'est assujettie les institutions. “ On croyait que l'Algérie et ses dirigeants étaient sortis de l'auberge, mais ce qui vient d'arriver prouve le contraire ”, commente un haut responsable de l'Union européenne à Bruxelles, et de poursuivre : “ instrumentaliser la justice à des fins politiques voire électorales devra nous inciter à réviser plusieurs de nos plans vis-à-vis de ce pays, même s'il y a eu quelques progrès au niveau de la libéralisation économique ou sur le plan des droits de l'homme ”. Pour ce responsable, devenir un chef moderne, c'est rejoindre les standards occidentaux en matière de démocratie et du respect de la jurisprudence. Ce qui n'est malheureusement pas le cas pour le président algérien, affirme-t-il. Ce témoignage sur le vif reflète en quelque sorte une inquiétude quant à l'avenir prochain de l'Algérie, lié au processus électoral. Alors que ces chancelleries évoquaient jusqu'à environ un mois l'existence de scénarii de compromis pouvant faire éviter au pays toutes secousses violentes, à l'instar de 1991, et encourager les investisseurs étrangers, ce verdict va ramener le tout à la case départ. En d'autres termes, réveiller les vieux démons avec ce qu'ils portent en eux comme conséquences de la “ culture du complot à l'algérienne” . La blague de Staline En tout état de cause, si cette contre-attaque préventive menée par le président algérien et ses lieutenants formés, à part leur pilote Belkhadem, des ministres Saïd Barkat, Amar Tou, Tayeb Louh et surtout d'Abdelkader Hajjar, ambassadeur à Téhéran, peut laisser croire à un succès juridique sans faille, elle n'est, néanmoins, pas un échec politique. Car la bataille va certainement reprendre de plus belle. Les indices ne manquent pas. En effet, quelques heures après l'annonce du verdict, la majorité des responsables de la classe politique ont manifesté leur opposition. Ahmed Taleb Ibrahimi, également candidat, s'est rendu au siège du FLN où il s'est entretenu pendant plus d'une heure avec son secrétaire général, Ali Benflis. Le chef de file du courant islamique légal, Abdellah Jaballah, a vivement critiqué la dérive du pouvoir. De son côté, un autre candidat, le général à la retraite Rachid Ben Yellès, a considéré la décision comme étant un scandale, mais la réaction la plus significative est venue d'Ali Haroun, proche du général Khaled Nezzar et d'une grande frange de l'armée. Haroun a résumé le tout en deux mots : “ l'avenir répondra”. Un message selon les uns, un avertissement selon les autres, parmi eux les dirigeants du FFS d'Hocine Aït Ahmed qui estiment que cette violation de la loi par la présidence renforce la thèse du scénario de la catastrophe. Face à ce tollé inattendu, les lieutenants “ redresseurs ” ont essayé de se montrer quelque peu objectifs, plus ou moins conciliants, tout en laissant comprendre qu'ils se sont préparés aux ripostes et qu'ils sont prêts pour tous les scénarii. Dans ce climat maintenu dans le flou, les hommes de Bouteflika tentent de souffler le chaud et le froid. Alors qu'Amar Tou affirme que le prochain congrès, qui se tiendra dans la deuxième quinzaine de ce mois de janvier “bânnira les clans au sein du parti”. Son collègue, Saïd Barkat, souligne : “Ali Benflis et moi sommes et resterons des militants du même parti”, et d'ajouter :“s'il veut rejoindre les rangs, il est le bienvenu ”. Cela dit, les “redresseurs” veulent que l'ennemi juré de leur chef Bouteflika finisse par lui céder, “ impressionné ” par sa “ volonté ” de sauveur. Ce qui n'a pas empêché un général en fonction, considéré parmi les stratèges, les “faiseurs du roi”, d'ironiser en rappelant que ces déclarations ainsi que les soubresauts mal calculés de Bouteflika, sont dignes de la fameuse “blague de Staline”. que l'on racontait pendant les intermèdes dans les écoles de formation trotskiste : “un, je n'ai pas déplacé l'échelle, deux, je ne suis pas monté dessus, trois, il n'y a pas d'échelle”. Ce même général, le plus cultivé parmi ses pairs, répétait il y a deux jours devant son ami français venu lui rendre visite à l'hôtel où il séjournait pendant les fêtes de fin d'année : “ ma foi, pour redresser l'Algérie, il suffit de redresser la tête, ce qui n'est pas sûrement le cas avec notre cher et actuel président ”. Cette blague et ce constat montrent sans aucune ambiguïté que rien n'est tranché jusqu'à présent, d'autant que le verdict en question, selon la plupart des juristes algériens, a violé la loi régissant les partis politiques, d'autant plus que le conseil d'Etat qui représente la juridiction suprême en matière administrative ne peut accepter une telle action venue en porte-à-faux avec sa décision. L'indésirable instabilité Il n'y a plus de doute sur le fait que, depuis quelques années, les questions internes des pays “ intéressants ” en voie de développement ont toutes ou presque des dimensions internationales. De ce fait, l'Algérie ne fait pas exception à cette nouvelle logique donnant lieu à un certain “droit de regard” voire d'ingérence dans ses affaires aux grands de ce monde. Surtout si le pays concerné est au cœur de la stratégie de sécurité, demeurant liée au flanc sud de l'OTAN. Cela veut dire que la stabilité de l'Algérie, notamment avant et après les élections présidentielles, est une des priorités de la communauté internationale. Cette dernière, vu l'énormité des intérêts en jeu dans ce pays très important géopolitiquement, ne pourra accepter ce qui le déstabilise. Dans ce contexte, il est peu probable que la dernière action du président Bouteflika, non conforme à la légalité constitutionnelle, créant des remous pouvant engendrer une quelconque instabilité, pourrait être acceptée par les forces concernées par l'Algérie. Donc, toutes les rumeurs sur un encouragement étranger, plus particulièrement américain ou français à la dernière initiative “putschiste” du chef de l'Etat algérien, sont inconcevables. De sources concordantes, on apprend que ces concernés par l'avenir régional de l'Algérie, par ses richesses en hydrocarbures, opteraient pour un “scénario idéal”. Ce dernier devrait jouer un rôle moral déterminant, non de paravent, entre les candidats d'une part et de l'autre, les forces politiques ainsi que les associations de la société civile. Ce, en s'accordant sur des valeurs et des objectifs communs garantissant la transition démocratique. Là que le meilleur gagne. Ce scénario qui sera avalisé par la majorité de la population ayant pour fin d'atteindre la phase de l'alternance, n'est pas loin d'un compromis en vertu duquel les véritables forces se sont réparties à l'avance les responsabilités institutionnelles. D'autant plus que cette solution n'est pas impossible si toutes les parties concernées jouent le jeu et que l'armée préserve sa neutralité. Le deuxième scénario, qualifié d'“ordinaire”, où tous les candidats ont les mêmes chances et où la campagne électorale ne sera pas entachée par les ingérences des ministères de l'Intérieur et de la Justice, comme c'est le cas actuellement, peut l'être par l'armée ultérieurement. Cette issue ne pourra se concrétiser que si la communauté internationale exige une présence onusienne ou occidentale pour témoigner de la transparence du processus électoral, et qui s'engage, en conséquence des résultats sortis des urnes, à accorder l'aide nécessaire à la transition démocratique. Mais, en raison des tergiversations des différents centres du pouvoir, refusant une “supervision” étrangère des élections, ce “scénario ordinaire” semble, pour le moment être écarté. Il ne reste plus donc que le troisième scénario, le “catastrophique”. Celui-ci sera le plus vraisemblable, notamment au cas où une impasse institutionnelle devra suivre une crise socio-économique ardue. Ce scénario est caractérisé, d'après les analystes, par le recours de l'entourage du président sortant, à la politique de la terre brûlée, comme il vient de le faire avec l'incitation de la Chambre administrative à invalider le VIIIème congrès du FLN, et l'organisation d'un autre qui donnera plein pouvoir au président de la République. Le risque d'arriver à un tel scénario dangereux, sera confronté violemment aux véritables forces de la société. Ce qui rendra le pays plus instable. Dans ce cadre, il faut alors s'attendre à un large boycott des élections. Pis, au cas où le gouvernement ira jusqu'au bout en gelant les activités des associations élues, les institutions étatiques seront paralysées. Dans une telle situation où la présidence sera acculée au bord du gouffre et où la stabilité sera menacée sérieusement, l'intervention de l'armée ne sera plus exclue. Elle pourra même se faire sur demande “ subtile ” de la part de la communauté internationale –comme en 1991- pour arrêter le processus électoral et organiser un autre sous l'égide de l'ONU. En dépit des contestations apparentes, il semble que la sortie de crise est la plus adéquate pour la transition démocratique. Si l'armée a tenu jusqu'ici ses engagements en restant loin de la “bagarre” en cours, c'est qu'elle attend d'être appelée pour jouer au sauveur. Reste à savoir, si avant d'en arriver là l'Algérie entrera ou non dans un cycle de violence où il y aura trop de casse, trop de sang, avant l'opération césarienne qui s'annonce douloureuse et où le régime actuel est en train d'agoniser ? Quand la présidence sera acculée au bord du gouffre et la stabilité menacée sérieusement, l'intervention de l'armée ne sera plus exclue.