Israël/Palestine Le Premier ministre israélien a décidé enfin de sortir de son mutisme pour annoncer un plan de retrait unilatéral. Ce qui pourrait remplacer la “Feuille de route”. Une initiative qui a provoqué un tollé à Washington. De son côté, le Président palestinien a franchi trois lignes rouges portant sur le droit de retour, les échanges des territoires et Al Qods. Ces nouvelles manœuvres, les dernières, considèrent les analystes, donnent l'avantage à Yasser Arafat. Elles montrent une fois de plus que le problème de déséquilibre démographique demeure l'obsession majeure de Sharon… et de tous les Israéliens. Lors de la tenue du sommet mondial de l'information à Genève, mercredi dernier, le Président égyptien, Hosni Moubarak, disait à son homologue iranien, Mohamed Khatami, qu'Ariel Sharon est en train de manœuvrer dans le temps perdu, en tentant de se dérober à l'application de la “Feuille de route”. Pis, il lui a fait savoir que dans ses réunions restreintes dans son bureau ovale à la Maison-Blanche, George Bush ne cessait de critiquer vivement voire insulter le Premier ministre israélien. Il l'accuse d'ingratitude, de ne jamais respecter ses engagements envers lui. Le Président des Etats-Unis est allé une fois jusqu'à dire : “si Sharon croyait gagner du temps en se lançant dans des projets unilatéraux en attendant les résultats des élections chez nous, il se trompe énormément”. Dans ce contexte, le secrétaire d'Etat, Colin Powell, n'hésite pas à affirmer que son “patron ne pardonnera jamais à Sharon l'échec qu'il fait subir à Abou Mazen”. En bref, la donne semble être en train de changer même si l'Administration américaine s'est trouvée récemment obligée de défendre l'Etat hébreu dans l'affaire du mur de séparation discutée à l'ONU. Un retrait boiteux Par ailleurs, force est de constater que lorsque les Israéliens parlent d'un “grand retrait unilatéral significatif” de 55 %, par exemple, de toutes les régions -, cela veut dire concrètement l'annexion de tout ce qui reste des territoires, soit 45 %. Reste à savoir si le monde acceptera une telle violation aux principes de droit international ? D'ailleurs, une levée de boucliers face à cette manœuvre est déjà remarquée à tous les niveaux de l'establishment américain. Même les Chrétiens sionistes de l'Administration Bush ont mis en garde les dirigeants du Likoud envers un tel “grignotage”. Ils voient dans cet acte “étourdi”, un affaiblissement de la sécurité d'Israël dans l'avenir. Les plus avertis des sympathisants d'Israël, comme Henry Siegman – ce New-yorkais, ancien directeur général du Congrès juif américain qui vient de rencontrer durant une heure Yasser Arafat à Ramallah – a conseillé Ariel Sharon d'être plus réaliste. Il lui a demandé carrément de se retirer jusqu'aux frontières de 1967 et de confier à l'ONU la charge de contrôler les nouvelles lignes de démarcation. “Pour que tout retrait unilatéral ou bilatéral ait des résultats positifs, il faudra l'accord préalable des Etats-Unis”, souligne Siegman et de poursuivre : “cela dit, ce retrait ne sera, le cas échéant, jamais unilatéral”. Celui qui dirige actuellement l'équipe chargée de mission aux Affaires du Moyen-Orient auprès du Parlement américain, a tenu à faire savoir à Sharon que Arafat est aujourd'hui plus à l'aise que lui dans ses manœuvres. En s'engageant à accepter la souveraineté d'Israël sur le mur des lamentations, le quartier juif d'Al Aqsa et le souhait de vivre côte-à-côte avec l'Etat hébreu, le leader palestinien a transféré la balle dans le camp israélien. D'autant plus que la communauté internationale change dorénavant ses positions en faveur des Palestiniens, au détriment d'un Ariel Sharon qui s'entête en persistant à poursuivre la construction du mur de l'apartheid. L'éternelle obsession démographique En dépit de l'ère de décadence dans laquelle vivent actuellement le monde arabe et ses régimes, les initiatives prises récemment par les Israéliens telles que le document de Genève et le retrait unilatéral, montrent que les Israéliens sont lassés des guerres et des massacres. De plus, ils sont plus que jamais convaincus qu'ils ne pourront avoir d'un coup la victoire et… la paix. Le désespoir est de mise à tous les niveaux de l'Etat hébreu. Ses chercheurs ainsi que ses historiens donnent quotidiennement aux responsables les preuves tangibles selon lesquelles dans deux décennies tout au plus, les Juifs finiront par devenir une minorité entre le “Fleuve et la mer”. C'est pour cette raison probablement qu'Ariel Sharon et ses théoriciens ont opté pour la construction du mur de séparation et de recourir à ce retrait unilatéral. C'est une défaite non annoncée, qui ne peut être masquée indéfiniment. En tout état de cause, le déséquilibre démographique reste, sans aucun doute, le principal danger auquel Israël, en tant qu'Etat juif, devrait faire face dans les prochaines années. Mais, le retrait unilatéral ne pourra l'endiguer. Car, la vraie menace se situe au sein d'Israël même et non au niveau des alentours et des faubourgs de la Cisjordanie et de Gaza. En effet, les “Arabes israéliens” de la ligne verte, représentent 20 % de la population de l'Etat hébreu. De plus, le pourcentage des élèves arabes dans les écoles primaires israéliennes dépasse les 33 %. A cela s'ajoute un autre fait, à la fois marquant et alarmant ; 58,8 % des Arabes ont moins de 24 ans contre 38 % chez les Juifs. Ce qui veut dire que les citoyens israéliens vieillissent au moment où leur fécondité est en état de régression. Ce qui est l'inverse par rapport aux Arabes. Les statistiques, dans ce sens, prouvent que le nombre moyen d'une famille arabe est de 5,26 contre 3,13 pour une famille juive. Un fossé qui risque de se creuser d'ici la fin de l'année 2010, affirment les centres d'études israéliens spécialisés. En conséquence de ces réalités, plus particulièrement lorsque les Arabes israéliens deviendront avec le temps minorité influente (avec 40 %), l'Etat d'Israël ne pourra plus rester, comme il l'est aujourd'hui, cet establishment à caractère purement confessionnel juif. En ce moment, ses citoyens souhaiteront à l'instar des colons, de le fuir de peur de voir s'installer un équilibre démographique en leur défaveur. Les chercheurs des universités israéliennes estiment que, lorsque les indices montrant que les Arabes sont devenus la majorité dans l'Etat hébreu, la situation de ce dernier changera de statut. Il se transformera alors en un “Etat pour tous ses citoyens” et non pour celui des Juifs uniquement. En tout état de cause, force est de remarquer que les Arabes, contrairement aux Israéliens, ne cèderont jamais sur leurs droits. Lorsqu'ils atteindront leur objectif avec la création de leur propre Etat, ils feront tout pour métamorphoser l'Etat d'Israël. Certains analystes pensent que les Palestiniens vont aller très loin au point de contrôler la Jordanie où ils sont majoritaires. Ainsi, Israël fera alors partie d'un Etat arabe palestinien qui s'étendra des frontières irakiennes jusqu'en Méditerranée. “Ce ne sont que des mensonges”, nous répond Saeb Oreïkat, grand négociateur de l'Autorité palestinienne. Quoi qu'il en soit, Sharon croit qu'en optant pour un retrait unilatéral, accompagné d'un mur de séparation, il pourra éviter le “complexe démographique”. Il a certainement tort, car il ne fait que retarder les échéances. La fuite massive des Israéliens russes et la guerre acharnée des mafias qui se manifestent par des attentats à la voiture piégée sont les preuves de l'échec des manœuvres de Sharon.