Visite au Maroc de José Maria Aznar Après près de trois ans de relations tumultueuses entre le Maroc et l'Espagne, qui ont failli déboucher en juillet 2002 sur un conflit armé lors de l'affaire de l'îlot marocain Leïla, le processus de normalisation des rapports entre les deux pays voisins, entamé début 2003, s'est accéléré ces dernières semaines. Il devrait logiquement déboucher sur une page nouvelle dans les rapports entre Rabat et Madrid qui sera inaugurée lors de la visite du chef du gouvernement espagnol au Maroc, à partir de ce lundi 8 décembre. José Maria Aznar, qui sera accompagné d'une importante délégation comprenant huit ministres au moins, doit co-présider avec son homologue marocain la VI ème réunion de Haut Niveau maroco-espagnole. Des décisions importantes pour l'avenir des relations entre les deux pays sont attendues de cette rencontre au sommet. D'ores et déjà, les deux parties ont fait des concessions mutuelles majeures pour contribuer à son succès. A partir de janvier 2004, des patrouilles mixtes hispano-marocaines pour lutter contre l'émigration clandestine, composées d'éléments de la police marocaine et de la Guardia civil, croiseront dans les eaux du Détroit de Gibraltar. Elles accompliront également des missions de part et d'autre de la rive, sur les côtes marocaines et espagnoles. L'annonce en a été faite par le ministre de l'Intérieur espagnol dans une déclaration à la presse de son pays, à l'occasion de la réunion à Rabat, mercredi 3 décembre, du Comité permanent maroco-espagnol compétent en matière de flux migratoires. La mise en place de ce Comité, rappelons-le, a été décidée lors de la visite de travail effectuée à Madrid par le ministre marocain de l'Intérieur fin novembre dernier. Dans ce même registre, Angel Acebes, le ministre espagnol de l'Intérieur, a rendu hommage au Maroc qui a décidé de créer une Direction de la migration et de surveillance des frontières et un Observatoire de la migration dans le but de gérer avec efficacité les flux d'émigration vers l'Espagne. Dans la foulée, on a appris que le Maroc avait rapatrié depuis le 1er décembre près d'un millier de Nigériens vers leur pays d'origine, à partir des aéroports d'Oujda et de Nador. Cette opération de rapatriement massif, la première du genre réalisée par le Maroc, intervient au lendemain des accords conclus avec l'Espagne dans la lutte contre l'émigration clandestine. Sa programmation à la veille de la visite officielle du chef du gouvernement espagnol au Maroc n'est certainement pas une coïncidence. Un revirement à 180 degrés Ainsi donc, le dossier épineux de l'émigration clandestine qui a longtemps empoisonné les rapports entre Rabat et Madrid vient d'être débloqué. A l'initiative du Maroc, de toute évidence, qui a fait d'énormes concessions en acceptant de jouer le rôle de gardien des frontières espagnoles. Mieux encore, Rabat a concédé une partie de sa souveraineté en acceptant que la Guardia civil vienne faire le gendarme à l'intérieur de ses ports et sur son territoire national. C'est visiblement là un revirement à 180 degrés de la politique marocaine. Il est donc légitime de s'interroger sur les contreparties obtenues par Rabat. En l'absence d'informations de la part des autorités marocaines qui continuent obstinément de faire fi du principe du droit à l'information de l'opinion publique, nous avons été amenés à consulter des personnes qui s'intéressent de très près aux rapports maroco-espagnols. Pour Larbi Messari, la principale “concession” arrachée par le Maroc concerne l'attitude de l'Espagne à l'égard de la question nationale. L'ancien ministre marocain de l'Information et ex-secrétaire général du Syndicat national de la presse marocaine (SNPM) croit déceler à ce propos un changement dans la politique du gouvernement madrilène. Ainsi, lors des derniers débats du Conseil de sécurité sur la question, l'Espagne qui, de surcroît, présidait cette instance, s'était rangée du côté des pays amis qui refusaient d'imposer au Maroc la dernière version du Plan Baker, rejetée par Rabat. De même, lors de sa dernière visite à Alger, fin novembre dernier, programmée de longue date dans le cadre du Traité d'amitié, de coopération et de bon voisinage, signé entre Alger et Madrid en octobre 2002 au moment où les relations maroco-espagnoles étaient au plus bas, José Maria Aznar s'est abstenu de déclarations intempestives contre notre pays. Une attitude qui tranche avec les flèches incendiaires qu'il adressait régulièrement au Maroc depuis que notre pays a décidé de dénoncer l'accord de pêche avec l'UE dont profitaient essentiellement les chalutiers espagnols. Une décision qu'Aznar avait qualifiée à l'époque d' “inacceptable” et qu'il avait mis beaucoup de temps à avaler, et seulement après avoir profité de l'incident de l'îlot Leïla pour se venger de “l'affront” marocain en envoyant plusieurs unités de la flotte de guerre espagnole parader près des côtes marocaines. Les trois principaux dossiers Par ailleurs, si l'on se réfère à l'indication fournie par Nabil Benabdellah, ministre de la Communication et Porte-parole du gouvernement, trois dossiers principaux seront examinés lors de la prochaine visite au Maroc du Premier ministre espagnol. Ils concernent la situation politique dans la région, l'émigration clandestine et la lutte contre le terrorisme. Nous avons ainsi vu que Madrid a affiché son intention de lâcher du lest sur la question du Sahara, moyennant des concessions marocaines dans le deuxième dossier, à savoir l'émigration clandestine. Pour ce qui est de la lutte contre le terrorisme, Madrid a de même fait preuve de bonne volonté en acceptant de donner suite, le 2 décembre courant, à la demande d'extradition d'un Marocain réfugié en Espagne. Il s'agit de Hicham Temsamani Jad, que les Services marocains accusent d'être impliqué dans les attentats du 16 mai à Casablanca (voir page 15). D'ailleurs la présence parmi la délégation qui accompagne Aznar du ministre espagnol de la Justice indique que les deux pays entendent vraiment promouvoir leur coopération dans le domaine judiciaire, notamment en matière d'extradition des terroristes et autres barons de la drogue. Signalons enfin qu'à la suite d'un accord tacite entre les deux pays, il a été convenu de laisser de côté le dossier de Sebta et Melilia où les positions sont franchement divergentes afin d'assurer le plein succès aux travaux de la VI ème Réunion de haut niveau maroco-espagnol. Par conséquent, on est en droit de déduire qu'une nouvelle page va être ouverte dans les rapports entre le Maroc et l'Espagne, après les crises multiples enregistrées ces trois dernières années. Dans ce processus de normalisation entre Madrid et Rabat, Bruxelles a joué un rôle capital en amenant l'Espagne à faire montre de moins d'arrogance à l'égard des droits marocains. L'Union européenne avait déjà ramené Madrid à la raison lorsque l'Espagne avait voulu tirer à boulets rouges sur le Maroc qui avait dénoncé l'accord de pêche le liant à l'UE. De ce fait, la rationalisation des rapports entre Rabat et Bruxelles qui est sur la bonne voie dans divers domaines va nécessairement conditionner les rapports entre le Maroc et l'Espagne Et dans ce cadre, Madrid semble enfin avoir compris que son intérêt réside dans l'instauration de rapports francs et équilibrés avec son voisin du Sud. VIème réunion de haut niveau maroco-espagnole Marrakech 8 et 9 décembre 2003 Liste des membres de la délégation espagnole : José Maria Aznar, Premier ministre. Anna Palacio, ministre des Affaires extérieures. José Maria Michavila, ministre de la Justice. Angel Acebes Paniagua, ministre de l'Intérieur. Rodrigo Rato Figaredo, 1er vice-président, ministre de l'Economie. Miguel Arias Canete, ministre de l'Agriculture, de la Pêche et de l'Alimentation. Eduardo Zaplana, ministre du Travail et des Affaires sociales, porte-parole du gouvernement. Pilar del Castillo Verra, ministre de l'Education, de la Culture et des Sports. Francisco Alvarez Cascos Fernandez, ministre de l'Equipement et des Transports. La délégation officielle comprend également une soixantaine de hauts fonctionnaires de l'administration espagnole. Les réunions sectorielles des membres du gouvernement espagnol avec leurs homologues marocains sont prévues lundi 8 décembre à partir de 18 h 00 à l'hôtel La Mamounia.