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Est-ce la chute du mur maghrébin ?
Publié dans La Gazette du Maroc le 01 - 12 - 2003


Le sommet 5+5
Dans quelques jours, le sommet du Dialogue 5+5 se tiendra à Tunis. Ce rendez-vous méditerranéen devra permettre aux dirigeants des dix pays riverains du bassin méditerranéen de se rencontrer pour la première fois dans une conjoncture internationale délicate. Ce qui ne montre pas seulement l'importance géostratégique des pays maghrébins par rapport à l'Europe, mais aussi que ce qui les rassemble est beaucoup plus que ce qui les divise. Pour la première fois, il semble que les composantes de l'UMA sont convaincues de parler presque le même langage pour défendre leurs intérêts. Wait and see.
Les Tunisiens sont aux anges. L'accueil de cette grande manifestation constitue pour eux le couronnement du succès du modèle tunisien initié par le président Zine El Abidine Ben Ali en matière de développement économique et social. En même temps qu'un témoignage du haut degré de confiance et du respect dont jouit leur pays à l'échelle mondiale. Ils sont fiers de répéter que la Tunisie représente un trait d'union entre les pays arabes et européens et de jouer un rôle essentiel dans l'éventuelle chute du mur maghrébin puisque la septième session du Conseil de la présidence de l'UMA (Union du Maghreb arabe) se tiendra dans la deuxième quinzaine de ce mois de décembre.
Cet optimisme est également affiché par le Maroc. Dans un entretien téléphonique avec La Gazette du Maroc à la veille de ce sommet, le ministre marocain des Affaires étrangères, Mohamed Benaïssa, a indiqué qu'une “vision commune sur plusieurs dossiers est déjà en place entre les pays maghrébins” et d'ajouter : “les changements sur le plan international leur imposent l'union. Le Maroc sera, comme d'habitude, le premier à s'engager”.
De son côté, l'Algérie, par le biais de son chef de la diplomatie, Abdelaziz Belkhadem, a montré qu'elle est sur la même longueur d'ondes avec son homologue maghrébin. Cependant, les observateurs craignent les volte-face de son président, Abdelaziz Bouteflika qui pourrait tout compromettre. Sa déclaration, jeudi dernier, après ses discussions avec le Premier ministre espagnol, José Maria Aznar sur “le Sahara, ce résidu de la colonisation” pourrait envenimer l'atmosphère alors que tout le monde attendait la rencontre du chef de l'Etat algérien avec le Roi Mohammed VI.
Pour ce qui est de la Libye, ce pays fera tout, selon certaines sources tunisiennes haut placées, pour consolider son retour sur la scène internationale. Le sommet 5+5 est une occasion, d'autant plus que la Tunisie a déjà préparé le terrain pour dissiper les nuages existant entre Paris et Tripoli concernant l'affaire de l'attentat de l'UTA. On évoque avec certitude déjà la tenue d'une réunion entre le Colonel Kadhafi et le président français, Jacques Chirac. Là encore, il faut s'attendre à tout avec le Guide. Les expériences du passé ne manquent pas.
Les volets les plus sensibles
La charte euroméditerranéenne pour la sécurité et la stabilité représente l'une des principales composantes du volet politique et sécuritaire de ce sommet 5+5. Avec la montée du terrorisme international, ce dossier est devenu la priorité des priorités des partenaires européens. A cet égard, les Tunisiens sont contents que ces derniers leur ont donné raison, même sur le tard. Force est de rappeler que la Tunisie a participé, aux côtés des Etats représentant le groupe arabe dans le processus de Barcelone, à l'élaboration de cette charte, à travers la contribution proposée par ce groupe en 1998. Le texte final de la charte devait être adopté au cours de cette conférence après avoir surmonté les obstacles qui l'ont entravé lors de la réunion ministérielle tenue à Marseille en 2000, liés aux développements du conflit israélo-palestinien. La lutte contre le terrorisme tiendra le haut du pavé des discussions de ce sommet.
Le libre-échange et les accords de partenariat constituent le cœur du volet économique et financier. Dans ce cadre, les Européens suivent, non sans inquiétude la percée américaine dans ce domaine, plus particulièrement, dès le lancement de l'“Eizenstat initiative”, il y a quelques années à partir de Tunis. La tournée du secrétaire d'Etat américain, Colin Powell, dans les trois pays maghrébins, le Maroc, l'Algérie et la Tunisie le jeudi 4 décembre, donc à la veille du sommet - même si elle a été programmée de longue date, selon un ministre maghrébin des Affaires étrangères - ne fait que perturber les Européens.
Le sommet 5+5 visera la coopération dans les domaines économiques et financiers. De sources maghrébines concordantes, on apprend que les Européens sont conscients plus que jamais de la nécessité de faire des concessions sur ce volet s'ils veulent atteindre leurs autres objectifs, notamment sur les plans sécuritaire et de l'immigration clandestine. A cet égard, le programme MENA, le plus important mécanisme euroméditerranéen de coopération financière, moteur d'un grand nombre de projets et programmes bilatéraux et régionaux devra être revu à la hausse dans ce sommet.
L'Union européenne devra appuyer à travers cet instrument les réformes économiques, promouvoir le rendement du secteur privé maghrébin, notamment après la levée des barrières douanières en 2006 et consolider l'équilibre social. Le renforcement de la coopération doit passer impérativement par l'augmentation des investissements dans la région, plus particulièrement dans les secteurs porteurs, augmenter le volume des échanges commerciaux, et réviser certains critères et dispositions en vigueur en matière de sélection et de financement des projets. Sur ces sujets, les pays maghrébins ont une vision commune proposée et ne semblent pas être prêts à faire des concessions. Reste à savoir si les Européens sont conscients de cette détermination ?
Quant aux volets social, culturel et humanitaire, les pays maghrébins vont se battre pour arriver à des accords-cadres dans ce sens avec leurs partenaires européens. Rappelons que sur le plan de “l'emploi et la formation professionnelle”, l'observatoire euroméditerranéen présenté par la Tunisie en 2000, sera la plate-forme proposée au sommet. Cette initiative est appuyée par la France, la Suède et l'Allemagne, alors que l'Espagne traîne les pieds. De plus, un projet sur l'emploi des jeunes dans le domaine des nouvelles technologies, adopté lors de la conférence de Valence (avril 2002) sera à l'ordre du jour.
La “migration et les échanges humains”, le “rôle de la femme dans la vie économique”, le “dialogue des cultures et des civilisations” seront aussi les sujets à débattre lors de cette grande rencontre.
Jeu trop serré
La relance du Dialolgue euroméditerranéen à travers ce sommet 5+5 vise à contourner le piétinement du processus de Barcelone. Il s'agit en premier lieu pour les Européens de trouver un cadre régional pouvant les aider à assurer la sécurité de leur flanc Sud. Cela dit, les Européens ne pourront plus, avec la menace terroriste arrivée à leurs portes après les attentats d'Istanbul, négliger les revendications et les besoins de leurs partenaires maghrébins s'ils veulent anticiper. Ils ne pourront donc plus répéter le même scénario utilisé début 1990, en se retirant de ce dialogue après l'attentat de Lockerbie, pris comme alibi à l'époque.
De leur côté, les Maghrébins, conscients des répercussions négatives de l'élargissement de l'Europe vers l'Est à partir du printemps prochain, ne peuvent accepter leur marginalisation ni se “faire avoir” économiquement. C'est la raison pour laquelle ils ont aujourd'hui une vision presque unifiée à l'égard des négociations avec l'UE. Dans ce contexte, les pays européens méditerranéens notamment l'Italie, la France et l'Espagne ont promis de plaider la cause de leurs partenaires du Sud de la Méditerranée. “Wait and see”. Mais quoi qu'il en soit, les pays maghrébins ont compris qu'il était temps de faire tomber le mur qui les sépare.
Le Dialogue 5+5
Le Concept 5+5
Le processus de coopération en Méditerranée occidentale (dit dialogue 5+5), lancé en 1990 à Rome, regroupe cinq pays maghrébins (Tunisie, Maroc, Algérie, Mauritanie et Libye) et 5 pays européens du bassin occidental de la Méditerranée (France, Portugal, Espagne, Italie et Malte).
Historique
10 octobre 1990 : conférence ministérielle du Dialogue 5+5 de Rome
La Déclaration de Rome a prévu un nombre de principes dont notamment :
“La globalité et l'indivisibilité de la sécurité :
“La nécessité de faire de ce bassin une aire de paix, de coopération et de stabilité.
Outre les réunions des ministres des Affaires étrangères des pays membres du processus et celles des hauts fonctionnaires, un certain nombre de groupes de travail ont été créés dans différents thèmes spécifiques, tels que les questions de migration et échanges humains, les échanges commerciaux Sud-Sud et Nord-Sud, la promotion des investissements…
26-27 octobre 1991 : conférence ministériellle du Dialogue 5+5 d'Alger
La conférence a retenu les objectifs suivants :
* préserver la sécurité des pays de la région,
* promouvoir un développement économique et social,
* construire des relations de bon voisinage permettant le développement d'un dialogue entre différentes cultures,
* œuvrer à la concrétisation du projet de création d'une institution financière à vocation régionale,
* insister sur la nécessité de doter la coopération régionale de nouvelles ressources correspondant aux projets mis en œuvre et qui tiennent compte de sa spécificité et de son caractère stratégique.
Les ministres ont également “souligné l'importance de la tenue de la première réunion au sommet des chefs d'Etat et de gouvernement, au début de 1992 à Tunis”.
Le Dialogue a connu ensuite un gel, en raison de la crise survenue entre la Libye et la France suite à l'affaire de l'UTA et le non-règlement du conflit du Sahara occidental.
25 et 26 janvier 2001 : conférence ministérielle du Dialogue 5+5 de Lisbonne
Cette conférence a été préparée par une réunion des hauts fonctionnaires abritée par la Tunisie les 15 et 16 janvier 2001).
La Déclaration, issue de cette conférence, a mis en exergue l'importance du processus 5+5 en tant qu'enceinte de dialogue entre l'Europe et le Maghreb et a appelé à contribuer à l'établissement d'un espace de sécurité et de stabilité en Méditerranée.
Par ailleurs, la Conférence de Lisbonne a adopté l'initiative tunisienne pour l'organisation d'une rencontre sur les échanges humains en Méditerranée occidentale.
29 et 30 mai 2002 : conférence ministérielle du Dialogue 5+5 de Tripoli
La Conférence a réaffirmé l'attachement de tous les pays membres à ce processus et leur engagement commun “à réactiver le rôle du Dialogue 5+5, comme représentant un acquis supplémentaire dans le cadre des objectifs actuels communs des pays méditerranéens, affirmant l'importance de l'existence d'une identité méditerranéenne commune et effective”.
Les ministres ont, également, exprimé leur appui aux :
• efforts déployés par les pays maghrébins en vue de relancer le processus de l'UMA, appelé à contribuer au renforcement du dialogue entre l'Europe et le Maghreb qui “revêt une importance stratégique par rapport à la paix, la stabilité et le développement de la région” ;
o démarches et mesures établies entre les pays membres en matière de lutte contre le terrorisme et qui visent à renforcer davantage la coopération en la matière, notamment, à la suite des événements du 11 septembre 2001 ;
• initiatives d'intégration économique régionale visant le développement d'une complémentarité économique régionale nécessaire et susceptible d'attirer davantage les investissements directs étrangers. A cet égard, ils ont exprimé leur appui à la création d'une Banque euroméditerranéenne ;
• initiatives culturelles renforçant l'identité culturelle méditerranéenne commune et le Dialogue entre les civilisations capables de créer un climat de coexistence pacifique dans cette partie de la Méditerranée.
En outre, les ministres ont fait part du souci de mettre en exécution, au cours de la période 2002/2003, les initiatives adoptées à Lisbonne à savoir :
* Une réunion sur les facilitations commerciales (Tunisie le 5 juin 2003) ;
* Une réunion sur les opportunités d'investissement (au Maroc) ;
* Une réunion sur l'identité commune dans la Méditerranée occidentale (à Malte) ;
* Une réunion sur l'infrastructure (en Algérie) ;
* Une réunion consacrée aux défis de la mondialisation axée sur la connaissance et l'usage de l'informatique et des techniques de pointe (en Mauritanie).
16 et 17 octobre 2002 : Conférence ministérielle régionale sur la migration en Méditerranée occidentale de Tunis
La Déclaration adoptée à l'issue de cette manifestation a appelé à un dialogue plus renforcé et à une coopération globale et équilibrée entre les pays membres sur les questions de migration et notamment en ce qui concerne la migration clandestine, la migration et le co-développement, les droits et obligations des immigrés ainsi que leur intégration et la circulation des personnes.
En outre, la Tunisie a organisé, les 21 et 25 avril 2003, une réunion des experts en matière de migration pour la mise en œuvre de la Déclaration de Tunis.
9 et 10 avril 2003 : conférence ministérielle du Dialogue 5+5 de Sainte Maxime
La conférence a confirmé la pertinence du Dialogue 5+5 en tant que cadre de dialogue politique spécifique entre le Maghreb et l'Europe du Sud.
Les ministres ont évoqué la situation en Irak, le processus de paix au Proche-Orient, la sécurité en Méditerranée occidentale, la coopération économique et l'intégration maghrébine, les échanges humains et migration.
En outre, les conclusions de la conférence de Sainte Maxime font état de l'organisation par la Tunisie du premier sommet 5+5 en décembre 2003.
Prochaine échéance :
• Sommet du Dialogue 5+5 : Tunis, 5-6 décembre 2003
* Réunions préparatoires
• des hauts fonctionnaires : Tunis, 1ère quinzaine d'octobre 2003 et le 4 décembre 2003 ;
• des ministres des Affaires étrangères : Tunis, 5 décembre 2003.


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