Saâdeddine Othmani Il est docteur, il est donc professionnellement très méticuleux. Ou censé l'être. Il est en plus un barbu très sympathique, visage rassurant, comme on dit d'un bon père de famille. Il s'appelle Saâdeddine El Othmani, il est vice-président du PJD. Il est donc moralement soucieux du bien-être de l'humanité. Marocaine à tout le moins.Hélas, toutes ces qualités, morale, politique et professionnelle ne lui ont pas été d'un grand secours quand il a voulu faire du sien. C'était lundi 17 novembre, sur les colonnes d'“Assahra”. Au journaliste qui lui a demandé de nous édifier quant à l'impact des attentats terroristes du 16 mai sur la santé de son parti, Saâdeddine, le sympa, a mis des gants. Réflexe oblige ? Une chose est sûre : il était plus politicien inconséquent que psychiatre moralement soucieux. “Les événements douloureux du 16 mai n'ont en rien affecté la place et la renommée politique du parti”. Il s'agit du sien, bien évidemment. Il y a là de quoi rendre grâce au Seigneur. Al Hamdou Lillah. Un peu plus loin, le médecin, le sympathique, l'homme pieux, et le barbu raffiné et rassurant, déçoit. Encore : inquiète. Dédaigneux, un peu léger, presque immoral : “en somme, certains médias ont essayé de dramatiser ces événements, leur donner plus qu'ils ne méritent. Ils en ont fait à tort le danger qui menace le Maroc”. Voilà. Un bain de sang, des réactions et autres déflagrations à la chaîne, des dizaines de morts, des attentats en cours de préparation, qui Dieu merci, n'ont pas été commis, des milliers de fanatiques, tous écervelés que déterminés, des réseaux, des artificiers, des étrangers, des haineux. Tous ces actes immondes ne sont rien qu'un jeu d'enfant que les médias ont pris pour une menace. On surdimensionne. On exagère, on gonfle. La vérité, selon Othmani, est tout autre. Les morts ne sont pas aussi morts que ça. Il faut toujours se méfier d'un Marocain qui fait le décédé, ou se déchiquette dans un palace. La presse, elle, est toujours à la solde d'âmes obscures. Mortes et vivantes. Soyons sérieux : l'idée même est saugrenue, dangereuse. L'explication, post-mortem, qu'essaie d'imposer Saâdeddine, est une sorte de révisionnisme. Oui, on y enterre les morts, on en fait au mieux un simple détail de l'histoire, au pire une tentative pour saper le parti des barbus. A ce rythme, on risque dans l'avenir, de nier l'existence même de ces attentats. Pire les premières tentatives de minimiser l'horreur, ont été plus ou moins réprimandées, “pudiques”, presque secrètes. Celle de Othmani, le plus raisonnable que tous les autres, paraît sans remords. Blessant et avilissant. Il s'amuse plus volontiers à déceler l'usage que peuvent faire ses adversaires de la tragédie, que d'en mesurer la gravité. Ou l'incalculable danger de futur. Impudique, il déclare après, non sans fierté, que les cadavres n'ont pas pesé lourd sur les dernières élections. Après la mort, les urnes de la félicité. Ira-t-on jusqu'à dire que sa joie et son bonheur sont impudiquement immoraux ? Quoi qu'il en soit, la vie, paraît-il, sied mal à la politique, va mal au sens de la mesure, la retenue. Le trépas leur ira peut-être mieux. Le malheureux, c'est d'être en vie, et ne pas cesser d'égrener le chapelet des insuffisances de la politique et ses hommes. Donc, on peut ne pas voter. Les morts sont heureux, ils ne votent plus, eux non plus. Mais ils ont ceci d'extraordinaire que les adversaires ne comptent pas sur eux ! Ce qu'il y a de plus choquant, c'est l'aisance de l'amnésie. La mort semble ennuyer le sympathique barbu. En parler, l'irrite. En reparler, échappe à la logique. Il est presque mal à l'aise. Causons d'autre chose, semble-t-il dire. D'ailleurs, les Marocains sont des habitués, des accros même de la mort. Il ne faut pas perdre le Nord. Saâdeddine a commis un péché : la bêtise. Il connaît la vérité, il ne la dit pas tout entière. Il la minimise, la rapetisse, donc il introduit le doute. Par calcul politicien, ou méfiance sincère (ce qui est encore plus grave). Résultat : la démagogie l'écarte de la raison. Beaucoup de méfiance ne l'y ramène pas non plus, hélas. Réputé très magnanime, il n'a pas beaucoup résisté à une certaine “inhumanité intellectuelle”. Normal pour un docteur, habitué à la dissection ? Rien n'est moins sûr. A ce rythme, on pardonnera aux morts d'être morts, à la condition de ne plus en parler ! On fera, donc, fi du devoir de mémoire. On doit bien des égards aux vivants. Saâdeddine El Othmani est un vivant. Syllogisme oblige. On lui doit des égards. Mais nous tous, lui plus que d'autres, devons la vérité aux 45 morts de ce vendredi tragique. Très douloureux. Très grave, très menaçant. Indélébile. Inoubliable. Et si l'on ne devient pas compatissant avec tout cela, c'est qu'on a été mal inspiré. Ou mal élevé, ce qui n'est sûrement pas le cas de Saâdeddine.