La lutte contre le trachome Du 30 septembre au 5 octobre 2003, plusieurs journalistes marocains et étrangers ont été invités à la visite des provinces de Tata, Zagora et Ouarzazate organisée par le ministère de la Santé et l'International trachoma initiative (ITI) dans le cadre du Programme national de lutte contre la cécité. Une occasion de prendre connaissance de l'ampleur de ce fléau qui afflige une importante partie de la population, mais aussi l'occasion de constater le manque d'infrastructures et de ressources humaines dont elle souffre. L'occasion finalement d'entendre les revendications de plusieurs personnes qui ne demandent que très peu : l'essentiel. Le trachome, maladie infectieuse dont des indices nous permettent de retracer son existence au temps de l'Egypte pharaonique, fait des millions de victimes dans le monde chaque année. Cette maladie serait responsable à elle seule de 15% des causes de cécité. Si 6 millions de personnes sont atteintes de cécité due à cette maladie, 146 millions d'individus sont toujours porteurs du trachome actif. A l'heure actuelle, plus de 540 millions de personnes à travers le monde y sont exposées. Enrayé au début du XX ème siècle dans les pays industrialisés, ce fléau fait toujours rage dans plusieurs pays du tiers-monde, particulièrement dans les régions où sévit un niveau de pauvreté élevé. Ses premières victimes sont les femmes et les enfants. Au Maroc, la prévalence globale est de 5,4%, soit 1,62 million de personnes, alors que la prévalence du trachome actif est de 1,4%, soit 400.000 personnes. Si ces chiffres démontrent l'ampleur du problème qu'il reste à surmonter, d'importants progrès ont toutefois été accomplis ces dernières années en matière de lutte contre le trachome. Les principales régions touchées par ce fléau sont celles du Sud, là où la pauvreté fait rage, où les ressources médicales sont rares et où les infrastructures urbaines de base sont insuffisantes. A cet égard, ce sont les provinces d'Errachidia, Figuig, Ouarzazate, Tata et Zagora qui représentent les poches de résistances du trachome au Maroc. Le programme de lutte contre le trachome et ses partenaires Afin de pallier cette maladie, d'importantes mesures et programmes de coopération internationale ont vu le jour. Le véritable coup d'envoi de la lutte contre le trachome a été donné en 1996, année où, suite aux recommandations formulées dans le cadre des réunions de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) la même année, sera implanté le programme CHANCE. En 1997, l'OMS, dérogeant exceptionnellement à sa coutume de tenir sa réunion annuelle à Genève, choisira Ouarzazate comme ville hôte de la réunion. C'est là, où sévit d'ailleurs toujours le trachome, que seront adoptées les grandes lignes pour l'éradication mondiale de cette maladie. Dans ce contexte, le Programme national dee lutte contre la cécité (PNLCC) a été désigné comme programme pilote au niveau international. Face à ce fléau, le Maroc, l'un des pays fondateurs de l'Alliance pour l'élimination du trachome cécitant, communément appelé l'Alliance GET 2020, en rapport à l'objectif de l'année 2020, date fixée par la communauté internationale et de nombreux acteurs non gouvernementaux pour que soit éliminé le trachome au niveau mondial, a décidé d'en faire l'un de ses chevaux de bataille. A cet égard, le Maroc fait figure de bon élève.En effet, si l'objectif national d'élimination du trachome cécitant d'ici 2005 est atteint, d'abord fixé en 2000 puis repoussé à 2005, il serait le premier pays membre de l'Alliance à avoir éradiqué cette maladie. C'est d'ailleurs ce qu'a tenu à rappeler Raouf Benamar, représentant de l'OMS, le samedi 4 août 2003 en guise de clôture de la visite d'information organisée par le ministère de la Santé et l'International trachoma initiative (ITI) au profit des journalistes marocains et étrangers : “Je suis très heureux d'annoncer que ce pays aura été le premier à éliminer le trachome”. Dans la lutte qu'il mène contre le trachome depuis presque dix ans, le Maroc bénéficie de l'apport financier, matériel et logistique de plusieurs partenaires : le ministère de la Santé, maître d'œuvre du projet depuis son implantation en 1997, l'Office national de l'eau potable (ONEP), le ministère de l'Education nationale, les autorités locales de même que la Fondation Hassan II ainsi que certaines organisations non-gouvernementales (ONG) marocaines. Sur le plan international: l'Organisation mondiale de la santé (OMS), le Fond des Nations unies pour les enfants (UNICEF), les organismes à but non lucratif Helen Keller international et l'International trachoma initiative (ITI), de même que la compagnie pharmaceutique Pfizer Inc. Le trachome : une occasion en or pour Pfizer Inc. L'organisme à but non-lucratif américain ITI, financé par l'entreprise privée Pfizer Inc., la Fondation Bill et Melinda Gates, la Fondation Starr, de même que par la Fondation Edna McConnell Clark, est présent dans plus de 7 pays et participe à l'objectif international d'éliminer le trachome d'ici l'année 2020. Acteur clé dans la lutte que mène le Maroc face au trachome, ITI mise sur “l'investissement et le financement” comme le rappelle Christian Stengel, représentant d'ITI dans les pays d'Afrique francophone participant au programme GET 2020. Pour cet organisme, sa tâche première est de distribuer le Zithromax, l'antibiotique breveté par Pfizer et utilisé dans la lutte contre le trachome. “Le Zithromax fait des miracles. Non seulement pour le trachome, mais aussi pour d'autres maladies infectieuses” s'enthousiasme le représentant. “Tout ceci est un gros laboratoire”.L'objectif pour Pfizer, via l'ITI, de spécifier Stengel, “est d'augmenterla dose et la distribution. (…) La compagnie MSD -compagnie pharmaceutique directement en compétition avec Pfizer- était la première compagnie au Maroc à offrir un traitement antibiotique contre le trachome, ce qui lui a permis d'avoir une excellente publicité. Alors pour Pfizer…” il va sans dire que l'intérêt est immense. Les choses vont bien pour cette multinationale. Si elle peut tabler sur un bénéfice de 20 millions de $ pour l'année 2003, les prévisions pour 2004 sont de l'ordre de 25 millions de $. Pfizer distribue gratuitement, sur une base annuelle, l'équivalent de 3 millions de $ de Zithromax en coût réel, ce qui représente une valeur de 7 millions de $ au niveau commercial. On peut donc comprendre l'importance des enjeux de sécurité que représente la distribution de ce produit. Mais la multinationale n'a pas à s'inquiéter selon Mostafa Benmimoun, Directeur des opérations médicales chez Pfizer. Toutefois, un problème de taille ne cesse de s'imposer à l'entreprise : “la protection de nos molécules”. Dans un marché comme celui du Maroc où il existe un flou, sinon un vide juridique immense à l'égard de la propriété intellectuelle, il est évident que l'investisseur étranger ne se sente pas tout à fait sécurisé dans un tel contexte. Pfizer devait donc s'assurer auprès du gouvernement marocain qu'une législation allait pouvoir protéger le Zithromax. “La loi est approuvée. Tout ce qui est nécessaire c'est son application. Pour l'instant, l'entente est obligatoire”. La multinationale, grâce à l'entente contractée avec le gouvernement marocain, bénéficie du monopole de distribution de l'Azithromycine (Zithromax), et ce, jusqu'en 2005, ou du moins “jusqu'à ce que le dernier cas de trachome existe”, comme le spécifie Benmimoun. Pour cette multinationale de l'industrie pharmaceutique, détenant la troisième position au niveau mondial derrière Aventis et Glaxxo, le marché africain représente, un potentiel économique énorme. Par la porte que lui offre le trachome, celle-ci pourrait réussir à s'imposer et à gagner la confiance des populations africaines et s'inscrire, à moyen et à long terme, comme une marque de commerce reconnue au même titre que l'est Coca-Cola dans l'alimentation, ou encore Nike dans le domaine vestimentaire.