Edward W. Saïd Figure emblématique de la tragédie palestinienne, le professeur Edward Saïd s'est éteint à New York, jeudi 25 septembre à l'âge de 68 ans. Parcours. Dans un excellent documentaire, comme seule Arte sait les concocter, une indiscrète caméra nous plonge dans le monde du brillant intellectuel. Dans son bureau d'universitaire, chez lui, entre deux notes au piano ou en voiture traversant les rues de New York à la taxi driver, l'homme s'exprime. Pâle, le visage amaigri, il évoque la saga de sa famille et, à travers elle, celle des Palestiniens de la diaspora. La maladie, une leucémie qu'il traînait depuis 1992, lui a permis aussi, au long de longs séjours dans les hôpitaux, de noircir les feuillets de “Out of place”. Livre biographique où il consigna, à la hâte, la mort était impatiente, le fabuleux récit de sa vie… «Rien n'a marqué mon existence de manière plus douleureuse et, paradoxalement, ne m'a autant enthousiasmé que les nombreux changements de pays, de villes, de domiciles et de langues…». Le père est un riche Chrétien au passeport américain. La mère, une Palestinienne protestante aisée. De leur union est né E. Saïd au mois de novembre 1935 avec l'aide d'une sage-femme juive. Cosmopolite de naissance, il le demeura au long de son existence. 1948, la création de l'Etat d'Israël et l'exode palestinien. Après le Liban, les Saïd s'installèrent en Egypte. On le retrouve au Victoria College d'Alexandrie où il avait comme copain de classe un certain Michel Chelhoub alias Omar Charif. Si la mère de l'acteur l'a enfermé dans cet établissement pour qu'il perde du poids, la bouffe y est “dégueulasse” , celle d'Edward Saïd voulait que son fils ait une éducation british. Meneur du courant contestataire, on l'expulsa de l'école. Le père l'envoya aux Etats-Unis, à l'université Princeton . Il y décrocha brillamment un doctorat en littérature anglaise comparée. Etudes qu'il termine à la Columbia University où il enseigna de 1963 jusqu'à sa mort. L'intellectuel complet Enseignant, chercheur, politique, musicien, Edward Saïd est devenu l'une des rares voix arabes dans le monde fermé des médias occidentaux, surtout américains. A travers des centaines d'articles et une multitude de livres , il ne cessa de défendre la cause de son peuple et, à travers elle, celle de la différence. Son livre de référence “L'Orientalisme”, publié en 1978, traduit dans 28 langues et réédité maintes fois, est aujourd'hui une référence. A travers une bénédictine lecture des œuvres littéraires anglophones et francophones, il y décortique l'imagerie occidentale, ses préjugés, ses stéréotypes envers un Orient imaginaire et fantasmagorique. Une brillante réflexion sur l'altérité et l'acceptation de l'Autre. Malheureusement, cette voix n'a pas été entendue par les siens. Il quitte en 1991 le Conseil national palestinien et s'oppose en 1993 aux accords d'Oslo qu'il juge mal négociés. En 1997, ses œuvres sont interdites par l'Autorité palestinienne ! En créant avec le grand chef israélo-argentin Daniel Barenboim le “West Eastern Divan”, orchestre regroupant des jeunes Israéliens, Palestiniens, Libanais… ils essayèrent de démontrer que la coexistence est possible grâce au plus universel des langages, la musique. Le Maroc, carrefour de civilisations et terre de rencontres, a accueilli le fameux orchestre pour un concert mémorable. Edward Saïd, au bout de sa souffrance, était absent. Sa femme, Meryem, a lu son message. Un message de tolérance et d'espoir. Espérons qu'il sera entendu !