-Depuis deux ans, il ne passe pas un mois sans que la Chambre de commerce, d'industrie et d'agriculture de Dakar n'accueille une mission d'opérateurs économiques marocains. -Les margarines “La Prairie”, “Familia”, les jus d'orange “Boustane”, “Miami”, “Marrakech”, plusieurs marques de boissons gazeuses sous leur forme canette ou plastique embouteillées dans le royaume ainsi que de nombreux biscuits sont devenus des produits familiers aux Sénégalais. -La margarine marocaine toutes marques confondues a supplanté la margarine hollandaise, s'accaparant ainsi de plus de 90 % de parts de marché. Le Sénégal est-il en passe de devenir la destination privilégiée des hommes d'affaires marocains ? À en croire N'Deye Merry Ba, responsable des relations internationales à la Chambre de commerce, d'industrie et d'agriculture de la région de Dakar (CCIARD), depuis deux ans, il ne passe pas un mois sans que leur institution n'accueille une mission d'opérateurs économiques marocains. "On ne compte plus le nombre de missions commerciales effectuées par les opérateurs économiques du Maroc à la recherche d'opportunités", lance-t-elle. La dernière en date s'est déroulée du 23 au 27 juillet dernier à Dakar. Les hommes d'affaires évoluent dans divers secteurs d'activités comme les systèmes d'échappement pour automobiles, la fonderie, la fabrication de disques abrasifs, de cocottes express, de casseroles en acier, de lampes, réchauds à gaz… Cette offensive des hommes d'affaires du royaume au cours de ces deux dernières années fait du Maroc un opérateur de taille au Sénégal. "Jusqu'à la visite de S.M le Roi Mohammed VI, les échanges économiques entre les deux pays n'étaient pas assez développés, car nous n'avons pas de grands hommes d'affaires installés ici. Depuis, on sent que les choses évoluent même si nous comptons encore plus de commerçants que d'hommes d'affaires et des commerçants traditionnels plutôt concentrés à Dakar dans la rue Mohammed V", souligne ce commerçant marocain qui y est installé depuis une vingtaine d'années. Les grandes entreprises aussi Aujourd'hui, les pouvoirs publics des deux pays incitent les opérateurs économiques de part et d'autre à mettre en place des sociétés à capitaux croisés (joint venture) et à se découvrir davantage tout en s'inspirant du bel exemple offert par Air Sénégal International, en partenariat avec Royal Air Maroc. Depuis, différentes entreprises marocaines se sont inscrites dans cette dynamique. Ainsi, dans son projet de construction du futur aéroport international, le Sénégal a confirmé l'implication de l'Office national des aéroports (ONDA) dans toutes les phases de conception et de réalisation de cette infrastructure. L'ONE reproduira l'expérience de Jorf Lasfar en jouant le rôle d'ABB/CMS Energy. Dans le domaine de l'immobilier, le groupe Chaâbi lancera bientôt la construction de 10.000 logements. Actuellement, la CCGT de Youssef Tazi réalise dans la région de Matam (Nord du Sénégal) un projet d'irrigation d'un coût de 200 millions de dirhams. Quant à la BMCE Capital et IB Maroc, elles ont ouvert des filiales à Dakar. Près de 2.000 Marocains vivent au Sénégal, dont 600 étudiants en médecine ou pharmacie. Le reste est composé d'hommes d'affaires et de commerçants, originaires de Fès et du Sud surtout. Ces dernières années, les commerçantes sénégalaises qui s'approvisionnent sur le marché marocain en chaussures ont inspiré les cordonniers du royaume, du moins une centaine qui sont venus ouvrir quelques ateliers dans la capitale sénégalaise. Quoi qu'il en soit, les grandes affiches qui jonchent les routes menant au centre-ville de Dakar ou les spotspublicitaires de la télévision sénégalaise attestent de cette présence. Les margarines "La Prairie", "Familia", les jus d'orange "Boustane", "Miami", "Marrakech", plusieurs marques de boissons gazeuses sous leur forme canette ou plastique (Coca-Cola, Fanta, Sprite, …) embouteillées dans le royaume ainsi que de nombreux biscuits sont devenus des produits familiers aux Sénégalais même des localités les plus reculées du pays. Difficile de remonter de prime abord jusqu'aux distributeurs principaux de tous ces produits d'autant plus qu'hormis l'adresse du fabricant marocain mentionnée sur les produits, aucune autre indication ne permet d'y parvenir. De fil en aiguille, notre curiosité nous a guidés au cœur de la distribution en gros de Dakar, le quartier Raffanel où tout ici rappelle Derb Omar. Interrogé sur l'identité de la société qui importe la margarine "La Prairie", un grossiste du quartier, distributeur du produit, nous indique la société ABC (African Business Center) située sur la rue perpendiculaire. Arrivé à cette hauteur, personne ne semble connaître le nom de cette société, mais dès que nous avons prononcé le nom du produit, c'est sans hésitation qu'on nous indique les locaux administratifs de l'entreprise. Située au premier étage d'un immeuble de trois étages, African Business Center dispose d'un grand magasin 30 mètres plus loin sur la même rue. Ici, toute l'activité commerciale tourne autour de l'agroalimentaire. Seulement, trois produits, notamment «La Prairie», «Boustane» et les nombreuses marques de thé sortent du lot. "C'est lors d'un voyage de prospection au Maroc que j'ai découvert ces deux produits. Depuis, nous les distribuons sur tout le territoire national", confie Cheikh Diop, directeur de la société ABC. Le produit qui fait surtout la fierté du patron d'African Business Center, c'est la margarine Prairie. "Depuis que nous avons introduit ce produit en 1996, d'autres marques marocaines de margarine, comme Familia, ont suivi", lance-t-il. Il y a trois ans, la margarine hollandaise dominait le marché sénégalais. Aujourd'hui, la margarine marocaine a cassé ce quasi-monopole hollandais sur ce marché. Plus de 2.000 tonnes de ce produit sont importés par an du Maroc. Le directeur de la société ABC estime à plus de 90 % la part de marché de la margarine marocaine toutes marques confondues. "Le Maroc a perdu certainement son principal promoteur économique au Sénégal qu'est la chaîne 2M qui a arrêté sa diffusion dans notre pays. Les consommateurs sénégalais avaient commencé à s'intéresser aux produits marocains à travers les publicités qu'elle diffusait. Les importateurs sénégalais et marocains installés ici ont eu par la suite des commandes pour des produits que l'on a oubliés aujourd'hui après la suppression de la transmission. Sauf que depuis, je ne continue d'importer du Maroc que de la confiture”, note Souleymane Kane, importateur. Selon Kamal Fenech, importateur libanais installé à Dakar, nombreux sont les produits marocains, surtout de l'agroalimentaire, qui peuvent s'imposer sur le marché sénégalais même si pour l'heure, il se consacre à l'importation de canettes et de bouteilles en plastique de Coca-Cola, Fanta, Hawaï… qui ne sont pas pour le moment produits localement par les embouteilleurs sénégalais. “Il y a quelques années, je m'étais lancé dans l'importation d'habillements marocains, mais j'ai abandonné le créneau dans la mesure où ces mêmes produits inondent le marché gambien. Et les petits commerçants sénégalais s'approvisionnent directement sur ce marché avant de faire entrer frauduleusement ces produits sur le marché national”, souligne-t-il. Parmi les produits marocains qui entrent frauduleusement sur le territoire sénégalais, on peut noter les bouteilles en plastique de boissons gazeuses de la marque Top's qui proviennent frauduleusement de la Mauritanie. Un tour auprès de certains commerçants de la région frontalière du Sénégal avec la Mauritanie permet très rapidement d'établir ce lien. Outre l'agroalimentaire, d'autres produits marocains sont fortement représentés sur le marché sénégalais comme c'est le cas des filtres de voitures fabriqués par la société SINFA, les produits électriques d'Ingelec… Est-ce à dire que tous ces produits sont compétitifs sur le marché sénégalais ? Sur la question, le patron d'African Business Center n'y va pas par quatre chemins pour vanter la qualité des produits marocains. Libre échange Selon lui, en dépit des droits de douane, les produits marocains ont toutes les chances de se faire une place sur le marché de l'ouest africain, surtout sénégalais, vu les multiples similitudes et affinités existant entre les deux pays. “Le Maroc gagnerait beaucoup à signer un accord de libre échange avec les pays de l'UEMOA (Union économique et monétaire de l'ouest africain). Si tel était le cas, je pourrais par exemple vendre la margarine La Prairie à un prix 40 % moins cher que celui pratiqué actuellement. Mieux encore, je pourrais l'écouler dans tous les autres pays de l'Union puisque je n'aurais que la TVA à payer comme taxe ”, dit-il. Annoncée imminente depuis deux ans, la signature de cet accord par le Maroc n'a toujours pas eu lieu. Si tout au début, le Royaume était hésitant, tel ne semble plus être le cas aujourd'hui. Cela ne doit plus tarder, confie un opérateur sénégalais qui affirme tenir l'information du Conseiller économique de l'Ambassade du Maroc à Dakar. Pour rappel, l'UEMOA et le Royaume ont fini de le parapher depuis octobre 2000. Reste pour l'instant sa signature et son entrée en vigueur. "Le Sénégal est pour le Maroc une porte ouverte sur l'UEMOA qui intéresse aujourd'hui tous les pays du Maghreb", note un responsable de la CCIARD. En tous cas, ce n'est pas Cheikh Diop qui dira le contraire. Lui qui voit déjà la margarine tunisienne d'un mauvais œil. "Depuis quelque temps, les Tunisiens essayent de perturber le marché avec leur margarine "Jadida", lance-t-il. UEMOA : un marché promotteur pour le Maroc L'UEMOA, cette organisation économique de l'Afrique de l'Ouest regroupe huit pays (Bénin, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Guinée Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo), soit un marché de plus de 80 millions d'habitants. De nombreux projets ont été élaborés au niveau du programme énergétique communautaire, de la politique industrielle commune, de la politique agricole, de l'environnement. L'UEMOA tend à renforcer son intégration par la mise en place d'un arsenal d'organes, comme la cour de Justice, la commission, comme organe exécutif, le comité interparlementaire, comme embryon d'un futur Parlement de l'UEMOA qui devrait bientôt voir le jour. En plus, l'UEMOA se prépare à introduire une monnaie commune, bien que les difficultés économiques et politiques de la région continuent à poser obstacle à cette initiative. Ainsi, l'UEMOA semble jouer le même rôle dans l'intégration de l'Afrique de l'Ouest comme naguère le fameux Marché commun qui avait précédé l'Union européenne. Bien que les conditions dans lesquelles se développe l'UEMOA sont de loin plus difficiles et complexes que celles du Marché commun, cette initiative ne devrait pas être sous-estimée. Cinq pays ouest-africains des régions anglophones, parmi eux le Nigeria et le Ghana, avaient annoncé au cours du deuxième trimestre 2002, leur intention de créer une union monétaire en 2003 qu'ils espèrent fusionner avec l'UEMOA, qui regroupe presque tous les pays francophones de l'ancienne Afrique occidentale française, en 2004. Fin 2002, le Maroc aussi était venu frapper aux portes de l'UEMOA. De toute évidence, l'UEMOA attire les pays du Maghreb puisque la Tunisie, l'Algérie et l'Egypte s'activent dans ce sens.