Portrait Khalid Alioua a de grands projets pour Casablanca. Et pour son parti. A l'écouter, on réalise qu'il a bien huilé son discours, sur la toile de fond d'un parcours du combattant. De la politique, en tant que savoir au militantisme, en tant que science expérimentale des idées, se profile l'intellectuel organique par excellence. A 20 ans, il choisit les sentiers tumultueux du militantisme et devient, en 1972, le responsable de la Fédération UNFP d'Europe occidentale. Ce fut le temps des braises, des fers et des polémiques. Khalid Alioua a 26 ans, quand il se retrouve au cœur des mutations, idéologiques et politiques du mouvement ittihadi. Sa polyvalence, son ouverture culturelle lui ont été d'un grand apport, il en a intelligemment usé pour être de la première grande clarification idéologique. Ceux de son âge qui n'ont pas suivi le mouvement ont cédé aux mythes révolutionnaires, au détriment de l'esprit critique. A chaque fois que le besoin d'une remise en cause de la pensée se fait sentir, l'USFP a Khalid Alioua pour argumenter, outiller et défendre les choix de son parti. C'est pourquoi, entre autres, la supervision de la revue “Al Machroue”, lui a été dévolue. Pour un militant de gauche, usfpéiste de surcroît, la dominance politique est née de la dominance culturelle. Réaliste et globale, l'option est l'une des manifestations majeures de la lutte démocratique. Alioua a donc été de toutes les mutations, les gestations de l'USFP à côté de Omar Benjelloun, Abderrahim Bouabid et A. Youssoufi… Sûrement, il vit désormais en pleine mutation qui a précédé le 6ème congrès et en a découlé. Devenu en mars 1998 ministre du Développement social, de la solidarité de l'emploi et de la formation professionnelle, il vit à titre personnel, la mise en œuvre d'un principe qui lui a tant tenu à cœur : le compromis historique, tel qu'il a été conçu par le “théoricien” des intellectuels organiques, l'italien Antonio Gramsci en l'occurrence. C'est qu'au milieu des années 70, il a joué en compagnie des Benjelloun, Abed Al Jabri, Lahlimi et Mustapha Kerchaoui, un rôle prépondérant dans la définition des orientations idéologico-politiques de l'USFP. Le document dont Alioua connaît certainement les détails, s'intitulera “Le rapport idéologique”, l'Evangile des militants et des “micro-ruptures” qui vont, par la suite, servir de base à une tâche d'envergure. Autrement dit, l'alternance consensuelle. Sur un autre registre, plus vaste celui-là, le portefeuille met K. Alioua à la croisée des anxiétés de tous les Marocains. De l'emploi au… développement. Résultat : il s'est mis à dos les antagonistes, syndicats et patronat. Pour ses pourfendeurs, la raison en est son “air hautain”. Ceux qui le côtoient quotidiennement, en revanche, y voient un signe de confiance en soi. Et pourquoi pas, la fierté d'un intellectuel qui n'a rien à se reprocher. Dans un cas comme dans l'autre, Alioua opte toujours, quitte à blesser, pour le franc-parler. C'est là, disent ses partisans, “la logique d'une culture de réussite”. Il y a plus. K. Alioua est conscient qu'il doit séduire mais il n'est pas condamné à plaire et impressionner. Il ne manquera pas, de ce fait, d'adversaires. Quand on est intellectuel, on se retrouve en première ligne et… sous les feux croisés. Commentaire de liaison : une cible mouvante a nécessairement besoin d'un caractère d'être assuré. “Sur le plan humain -analyse un membre du bureau politique- Khalid Alioua n'a pas besoin de forcer son naturel pour être avenant. Car c'est un ittihadi bien né”. Et politiquement ? Il a intégré l'USFP à l'âge de 19 ans. Natif de Rabat, en 1948, il a passé plus de 35 ans dans les rangs du grand parti marocain d'opposition. Toute une génération, donc! Devenu révolutionnaire à “l'âge léniniste” de la révolution -Lénine ne prédisait-il pas qu' “on devient révolutionnaire à 20 ans ou on ne le devient jamais”- il adhère à la politique au summum de la confrontation entre le pouvoir et l'opposition… Son penchant progressiste remonte à son enfance, au sein d'une famille nationaliste originaire du Souss. Ce fut l'année du plomb, l'année du grand procès de Marrakech qui a vu la condamnation d'un autre militant de l'USFP, Abderrahmane Youssoufi,… les deux seront ultérieurement liés par les liens d'un autre destin. Lorsque Alioua a choisi l'USFP, la jeunesse marocaine était des forêts vierges mouvementées par tous les vents. Lui, a su prêter l'oreille au murmure fécond dans son effeuillage. A l'époque, les mythes révolutionnaires réglaient les êtres et comportaient les idées, lui, à contre-courant, rallie l'intelligence politique du côté de chez A. Bouabid et A. Benjelloun… Il a su produire les idées “polémiques” et poursuivre ses études : il est titulaire d'un diplôme en sociologie politique, diplôme d'études politiques de Paris et d'un diplôme des études comptables supérieures. Polyvalent, mais surtout polyglotte, il est, en effet, titulaire d'une licence en anglais, il maîtrise le français, oral et écrit et l'Espagnol. Plus : il excelle dans la dernière chose qu'un parti abandonne, c'est-à-dire son langage ! Dans son parcours, on trouve, côte-à-côte les fonctions scientifiques, car il est membre de réseaux de recherche affiliés au C.N.R.S, conférencier dans plusieurs universités américaines et les fonctions politiques : membre de nombreux cercles d'experts internationaux, y compris l'ONU. Dès lors, on comprend bien sa responsabilité à la tête de la Commission des relations internationales du parti depuis le 6ème congrès. On comprendra encore mieux son insistance sur le “statut international de la ville dont il entend devenir le maire. K. Alioua est conscient que l'intelligence, à elle seule, ne suffit pas à l'action, bien qu'elle y participe. Il persévère, étant bien cuirassé pour cela, il ne recule devant rien. Il sait, également, laisser la sensibilité pour une autre occasion ! A cela, il est Gaulliste : “la politique, c'est l'action pour un idéal à travers les réalités”. Et la réalité, il l'a souvent côtoyée : il était chef de Cabinet du père fondateur de la “realpolitik”, Abderrahim Bouabid dans le gouvernement de transition 83/84. Mais aussi président du conseil préfectoral de Rabat et député de 1992 à 1997. La réalité locale est, pour lui, la “structure de base de la société”… Il est de ce fait l'un des rares hommes politiques de sa génération au parcours aussi riche. De la commune au Parlement, en passant par le capital symbolique et… la polémique. Casa : la messe Comme Ulysse, son retour à Casablanca a provoqué la tourmente. “C'est dans sa nature”, serait-on prompt à conclure ! Lui, a une version propre de cette relation tumultueuse. Il l'a racontée à “Assahifa”, en voilà le résumé : de retour de Paris, il a regagné la capitale ouvrière. Feu Omar Benjelloun, lui a demandé de changer de cap vers Rabat. L'époque était celle de la discipline au service du parti et de la cause. N'empêche, Alioua n'a jamais rompu avec la métropole. Professeur à son université, c'est un tableau clinique qu'il lui dresse… Il y a un an, presque jour pour jour, certains de ses camarades ont violemment contesté sa candidature à Anfa, lors des législatives du 27 septembre. Score aidant, le “parachuté” a recueilli le plus grand nombre de voix, il en est sorti gagnant, voire “Le gagnant”. Moralité : si vous voulez consacrer K. Alioua, contestez-le ! Cela lui ressemble vraiment! Assuré par la députation à Casa-Anfa, voici venu le temps de la mairie ! “Casablanca, confie l'actuel ministre de l'Enseignement supérieur, mérite bien une messe !”. A l'écouter, rien n'est fortuit dans ce choix. Son discours concernant la ville est bien huilé, ses idées claires. Il paraît tout connaître sur elle jusqu'aux infimes détails et enjeux. Bref, il compte mettre son capital, politique et culturel à l'intérieur comme à l'extérieur, au service de la ville, afin qu'elle devienne celle de ses ambitions : une capitale mondiale. “Casablanca, explique-t-il un tantinet rêveur, est notre porte sur la mondialisation et la modernité”. Ou encore : “une bonne gestion intégrée apportera un plus politique et financier”. Mais Casablanca, qui vaut sa messe, est aussi un enjeu interne du parti. On s'en souvient encore: Alioua a été le porte-parole du dernier congrès, ce n'était pas une fonction “purement communicationnelle”. Vu l'importance de l'événement, du tournant et des tiraillements internes, jouer le rôle de la voix autorisée du congrès, devient de ce fait, une chose technique et politique. Encore une fois, on a fait appel à «l'intellectuel organique», pour en prendre conscience et assurer la cohérence. L'homme garde son sourire à toute épreuve. Comme au temps où il était porte-parole du gouvernement, il n'hésite pas à manifester, parfois spectaculairement, son originalité. Le plus important, c'est que “le parti est passé de l'opposition à un pouvoir en place à l'action pour la redistribution du pouvoir”. Tout un programme ! Passage obligé : «l'aggiornamento» idéologique. Et qui mieux que la jeunesse du congrès extraordinaire, peut sans risquer une mise en cause de sa légitimité, le faire ? Alioua, est conscient que “l'après-des leaders charismatiques” exige une élite nouvelle. Avec, bien évidemment des moyens nouveaux. L'organe du parti, dont il assure la direction de rédaction depuis décembre 2001, entre autres. Outre la pensée et l'outil, il y a le style. Il est l'homme. Il a fait la preuve, au cœur des tourments du 16 mai, que l'intellectuel prime sur le politique en lui. Sachant raison garder, il s'est fait l'avocat d'une approche globale “culturaliste”, se sont indignés ses détracteurs. Elle l'aurait ébranlé, la suite des événements et des prises de positions, aussi officielles que partisanes, lui ont cependant donné raison… Du Parlement, à la presse et la pensée, il capitalise. Mariant justesse et finesse, il sillonne le pays. Et c'est le profil du nouveau “manager” politique qui se pointe. Khalid Alioua est peut-être profondément conscient “que l'homme politique cesse d'être jeune, quand il ne choisit plus ses ennemis”. Il se contente de ceux qu'il a sous la main. Nombre de responsables de gauche n'ont pas trouvé de nouveaux ennemis : pauvreté, repli sur soi, approche parcellaire… Ils se sont contentés des anciens : luttes de classe Makhzen. Ils ont donc cessé d'être jeunes !