Loi de Finances 2004 Le gouvernement procède aux dernières retouches de la loi de Finances 2004. Sa marge de manœuvre est très étroite, car les contraintes sont nombreuses. Selon toute vraisemblance, le déficit budgétaire sera plus élevé que celui des années précédentes et atteindrait 4 % du PIB. Le taux de croissance prévu pour 2004 serait de 4,5 %. Le budget 2004 sera le premier entièrement élaboré sous la direction de Driss Jettou. Ce dernier cherchera donc à marquer de son empreinte la prochaine loi de Finances. On le constate déjà au niveau de la méthode de travail. Au lieu d'attendre, comme par le passé, la fin des “négociations” des divers départements avec le ministère des Finances pour rendre les derniers arbitrages en cas de désaccord, le chef du gouvernement a pris directement le dossier en mains. La nouvelle démarche consiste à suivre la préparation du budget dès la réception du projet élaboré par le Département des Finances. A la fin des réunions avec chaque membre du gouvernement, le Premier ministre tranchera sur le contenu. Il adressera une lettre de cadrage fixant les dotations de chaque Département ministériel. Mais la nouveauté de la démarche ne saurait masquer les problèmes de fond. Le bouclage du budget sera extrêmement difficile. La marge de manœuvre du gouvernement est très étroite, tant les contraintes sont nombreuses. La loi de Finances 2004 aura à répondre, comme les précédentes, à trois défis majeurs : maintenir le déficit public à un niveau supportable, poursuivre la consolidation des équilibres macroéconomiques et relancer la croissance pour créer des emplois. A cela s'ajoute, pour l'année prochaine, l'obligation de concrétiser les engagements de Driss Jettou vis-à-vis de diverses catégories de fonctionnaires et financer les projets ambitieux dans les domaines du logement social, des infrastructures (routes, autoroutes, voies ferrées, ports, tourisme…) et du développement rural (eau potable et électrification). Mesures fiscales sans impact réel Toutes ces contraintes ne facilitent pas la tâche du gouvernement. D'autant que celui-ci semble toujours déterminé à ne pas laisser filer le déficit budgétaire au-delà de 3 % du PIB. Pourtant, les opérateurs et les économistes sont presque unanimes pour soutenir qu'un déficit plus important ne présente pas nécessairement d'inconvénients majeurs s'il peut contribuer à soutenir l'activité économique et consolider la croissance. Du reste, le plafond des 3 % n'a jamais été respecté, puisqu'à chaque fin d'exercice, le déficit s'avère supérieur au niveau initialement prévu (4,3 % en 2002 par exemple). Il y a donc fort à parier que même si la loi de Finances 2004 fixe, encore une fois, comme objectif le désormais classique 3 %, le déficit atteindra un niveau supérieur à ce plafond. Certaines sources, proches du dossier, laissent entendre qu'il atteindra au moins 4 % l'année prochaine. En tout cas, aucune mesure n'est envisagée pour améliorer les finances publiques, notamment au niveau des recettes ordinaires, qui ne couvrent même pas les dépenses ordinaires. La réforme fiscale annoncée sera pour plus tard. En attendant, ce sont les mêmes contribuables qui continueront de supporter l'essentiel de la charge fiscale. Certes, quelques aménagements mineurs seront introduits, mais ils n'affectent en rien la structure globale du budget. Parmi ces mesures, figure en premier lieu la baisse de la TVA de 20 % à 19 %. Cette baisse de 1 point est censée profiter aux consommateurs. Mais, en fait elle n'aura qu'un impact négligeable, pour ne pas dire nul, sur le pouvoir d'achat des consommateurs. En revanche, elle amputera les recettes de l'Etat de près d'un milliard de dirhams. Il semble que cette décision, sans intérêt pour le consommateur final et coûteuse pour les finances publiques, ait été prise pour diminuer la pression fiscale sur recommandation du FMI. En fait, la pression fiscale au Maroc, de l'ordre de 22 % du PIB, n'est pas très lourde sur le plan macroéconomique, comparativement aux pays similaires parce que le poids moyen de cette charge est réparti sur ceux qui paient et ceux qui ne paient pas d'impôts. Ce qui la rend excessive et en même temps injuste, c'est sa concentration sur un nombre réduit de contribuables. Il faut donc élargir l'assiette fiscale pour faire payer l'impôt à tous ceux qui peuvent le faire, en fonction de leurs capacités contributives, notamment le secteur informel. La fiscalisation de ce secteur permettra à la fois d'alléger la charge des autres contribuables et d'accroître les ressources publiques. Autre mesure : la baisse du taux marginal de l'IGR, réclamée depuis longtemps aussi bien par les patrons que par les salariés. Il se confirme que ce taux sera ramené de 44 % à 41,5 %. Malgré cette baisse, l'impact en sera réduit. D'abord parce qu'elle n'est pas suffisante car le taux marginal demeure relativement élevé par rapport à des pays comparables. Ensuite, elle ne concerne qu'une partie restreinte de contribuables. Enfin et surtout, elle n'est pas accompagnée d'un relèvement des différentes tranches qui servent de base aux barèmes de l'IGR. Celles-ci n'ont jamais été actualisées en fonction de l'inflation. Le gouvernement aurait été probablement mieux inspiré de convertir, à côté de la baisse du taux marginal, les quelques 900 millions de DH du manque à gagner pour le budget en TVA avec un allégement généralisé de l'IGR. Ce qui aurait eu le mérite d'augmenter directement le revenu nominal. Au niveau des dépenses, le budget sera encore marqué par le poids des dépenses courantes : salaires, achats de biens de fonctionnement et service de la dette, notamment. La part de l'investissement public restera inchangée par rapport à l'exercice en cours. Ce qui, en valeur relative, traduit une baisse du budget de l'investissement. Cette baisse régulière de l'investissement de l'Etat (y compris le Fonds Hassan II) est très préjudiciable à la croissance, car tout le monde reconnaît le rôle primordial de l'investissement public dans le développement économique et social. Si l'enveloppe consacrée à l'investissement reste constante, sa répartition va changer en fonction des nouvelles priorités. Le logement social figure parmi les secteurs prioritaires et verra son budget augmenter dans de fortes proportions. L'intervention de l'Etat dans ce domaine se fera à travers la prise en charge du coût d'aménagement des terrains pour les fournir aux promoteurs à des prix très bas. Des prévisions aléatoires Quant au taux de croissance prévu pour 2004, il serait de l'ordre de 4,5 %. On ne sait pour l'instant quelles sont les hypothèses adoptées pour fixer ce taux de croissance. C'est la troisième année consécutive que le gouvernement retient le même taux. L'expérience des deux années précédentes a montré que ces prévisions sont tout à fait aléatoires. En effet, en 2001 et 2002, la croissance s'est établie en définitive respectivement à 6,3 % et 3,2 %. Et tout indique que pour l'année en cours le PIB progressera d'environ 6 %. En tout cas, le taux retenu demeure faible compte tenu de la nécessité de mettre le pays, de façon irréversible, sur le sentier d'une croissance forte et soutenue. Au final, les finances publiques, faute de réforme profonde, demeurent très fragiles. Cette fragilité provient de la dépendance du budget des recettes non récurrentes, c'est-à-dire les privatisations, et du poids excessif des dépenses courantes : charges du personnel et service de la dette publique, en particulier. Cette fragilité se répercute négativement sur la croissance économique et sur l'emploi.