Entretien avec Mohamed Boutaleb, ministre de l'Energie et des Mines En une décennie, le secteur énergétique a opéré une véritable mue : privatisation de la distribution des produits pétroliers et du raffinage, mise en service du gazoduc Maghreb-Europe et de l'interconnexion électrique reliant le Marocà l'Espagne, octrois de concessions tant dans la production que dans la distribution d'électricité, lancement du PERG,un nouveau code des hydrocarbures. Autant de points sur lesquels Mohamed Boutaleb, ministre de l'Energie et des Mines, jette ici un regard et au-delà duquel il entrevoit l'avenir du secteur avec optimisme. La libéralisation du secteur électrique avec comme toile de fond la fin du monopole de l'ONE en 2005, le plan directeur de l'introduction du gaz naturel au Maroc en phase de finalisation, la réforme de la fiscalité ainsi que les forages d'exploration pétrolière qui vont démarrer dès l'année prochaine, toutes ces perspectives ont un point commun : assurer l'autonomie énergétique. La Gazette du Maroc : l'année 2002 a affiché un certain dynamisme en matière de recherche et d'exploitation pétrolière. L'ONAREP entre dans une dynamique de rénovation de sa stratégie en termes de prospection pétrolière. Quelle pourrait être cette stratégie ? Mohamed Boutaleb : la nouvelle stratégie de recherche pétrolière a démarré en 2001 suite à un diagnostic de la situation qui a été fait au niveau de l'ONAREP. Il est vrai, comme vous l'avez dit, que 2002 a enregistré une dynamique particulière au niveau de la recherche : 47 contrats de reconnaissance et d'accord pétrolier qui ont été signés au total avec 13 sociétés dont des majors comme Shell, Total ElFina… Cette nouvelle activité de recherche pétrolière va nous permettre, dans les deux années à venir, de toucher de très près les prospects potentiels et prometteurs au niveau de l'off shore essentiellement. Les forages d'exploration vont démarrer dès l'année prochaine, en 2004. Donc, nous attendons les résultats et nous espérons ouvrir de nouvelles perspectives pour la recherche pétrolière dans l'off shore atlantique. Pour l'heure, quels sont les chantiers en cours et où va-t-on? On va vers le développement du bien-être des citoyens de ce pays dans le cadre des orientations stratégiques de S.M le Roi. C'est qu'aujourd'hui, il faut qu'on développe encore davantage le système d'investissement dans ce pays, plus particulièrement dans le domaine de l'énergie. Vous avez raison de dire que durant ces dernières années un certain nombre de projets d'actions ont été réalisés dont certains sont en cours. Je fais allusion au PERG (Programme d'électrification rurale globale) qui a bouleversé le social marocain. Sur une période de 6 à 7 années, on est passé d'un taux de couverture de 18 % à 57 % aujourd'hui. Dans le sens de votre question : «où est-ce qu'on va», je vous dirais que le monde rural marocain sera pratiquement électrifié à plus de 98 % à l'horizon 2007. Donc, c'est important. Il y a de la visibilité. Ça a été bien expliqué au niveau du programme du gouvernement. Pour ce qui concerne la privatisation et la libéralisation, le secteur de l'énergie est le seul secteur qui a joué la carte franche d'une manière directe de la privatisation et de la libéralisation dans notre pays. Aujourd'hui, nous ne pouvons que nous en féliciter : le résultat est là. Nous n'avons plus de problème de délestage. Nous avons aussi développé l'inter-connexion avec l'Espagne, mis en place un système de concession à Jorf Lasfar pour la production de l'électricité. Aujourd'hui, plus de 70 % de l'électricité sont produits par le privé, l'Etat ne produit que 30 %. Nous continuerons à développer ce système aussi bien avec l'Espagne, qu'avec l'Algérie et même le développement du réseau national, c'est un nouveau chantier. A ce niveau-là, on avait signé un certain nombre de conventions entre l'ONE et des bailleurs de fonds étrangers, essentiellement européens, pour pouvoir mettre un terme à ce déséquilibre de l'électricité pour avoir une sorte d'autonomie. Et en 2005, nous allons entrer dans la phase d'utilisation du gaz naturel avec la centrale de Tahaddart. Il est vrai que durant les dernières années beaucoup de choses ont été faites, mais aujourd'hui ces multiples projets continuent dans le sens de la libéralisation dans ce domaine. D'ailleurs cette libéralisation peut être vue différemment par le code des hydrocarbures. C'est vrai que l'Etat a introduit un certain nombre de termes incitatifs pour mieux sensibiliser les investisseurs dans la recherche pétrolière et ils sont là aujourd'hui. Il faut dire aussi que le volume des connaissances a augmenté ces dernières années et donc on a joint l'utile à l'agréable. L'utile, ce sont les données vastes au niveau de la recherche pétrolière et ce qui est agréable, c'est les critères incitatifs. On voit bien que le processus de la libéralisation du secteur électrique est en marche. En 2005, le monopole de l'ONE prendra fin et les industriels auront la possibilité de s'approvisionner auprès du fournisseur de leur choix. Qu'en est-il justement de cet agenda de la libéralisation ? L'agenda est géré par le processus de libéralisation. Il y a aujourd'hui l'ONE qui est un établissement public propriétaire direct de l'électricité au Maroc à travers sa part dans la production (50 % dans la distribution) et le reste, d'une manière indirecte, à travers les régies. Pour l'ONE, nous avons commandé aujourd'hui une étude qui est en cours de finalisation pour voir un peu le développement et l'évolution de cette tendance, comment il va évoluer à partir de 2005 avec ses différentes branches. Nous sommes en train de l'étudier et je dirais que l'agenda est là. Selon la Fédération de l'énergie, la fiscalité énergétique doit être revue pour accroître la compétitivité du secteur. Dans ce sens, ses membres viennent de rencontrer le ministre des Finances. Quel regard jetez-vous sur cette problématique ? Les éléments en question existent au niveau de notre stratégie. La Fédération de l'énergie avec laquelle nous travaillons en parfaite synergie, d'ailleurs dans le cadre de l'intérêt que je vous ai spécifié tout à l'heure, fait en sorte que la Fédération de l'énergie en tant qu'association autonome faisant partie de la CGEM, est en train elle aussi de son côté de défendre un certain nombre d'objectifs sur lesquels nous ne pouvons qu'être d'accord puisque les éléments globaux, nous les avons faits ensemble. Donc l'entrevue avec le ministre des Finances est une démarche excellente parce qu'elle a permis pour une fois d'ouvrir les portes et de se concerter et de trouver une solution ensemble. C'est dans ce cadre-là que la Fédération de l'énergie a rencontré le ministre des Finances. Mais, il est vrai que ça fait partie de notre objectif. Où en est le plan gazier ? C'est comme si le plan a existé. Il y a une réflexion et un travail qui ont été faits au niveau du département de l'énergie. Cela a pris beaucoup de temps. Toujours est-il que l'introduction du gaz naturel doit être basée sur des choses concrètes. Il y a d'abord le gazoduc Maghreb Europe (GME) qui est opérationnel. Cette année, l'Etat a donné un signal fort à l'introduction du gaz naturel au niveau de la production de l'électricité à partir de la centrale de Tahaddart. C'est pour vous dire que l'introduction du gaz naturel est déjà lancée officiellement. Aujourd'hui, on ne parle plus de plan gazier, on parle plutôt de l'introduction du gaz naturel au Maroc qui est en elle-même aujourd'hui un fait. Le gaz naturel est introduit. Maintenant, nous sommes en train de finaliser le plan directeur de l'introduction du gaz au Maroc. Il doit être bouclé vers la fin juin ou courant juillet prochain. C'est ce plan directeur qui est une architecture gazière qui va permettre de générer un certain nombre de projets d'introduction du gaz naturel dans le processus industriel. Quand vous regardez le tissu industriel national, les premiers industriels concernés par cette première phase sont les raffineurs et les producteurs d'électricité. Et puis sur le long terme, bien entendu, comme dans tous les pays qui ont introduit le gaz naturel, vient ensuite le domestique qui constituera la deuxième phase. Peut-on avancer une date pour le secteur domestique ? La première chose à faire, c'est ce plan directeur et en deuxième lieu son introduction dans le tissu industriel parce qu'il est facile à faire et que cela commence toujours ainsi. Pour le domestique, d'abord il y a le volet culturel. Il faut amener le citoyen à accepter la culture de l'introduction du gaz naturel. À côté de ce fait, il y a également la problématique de l'aménagement urbain qui doit être adapté à l'infrastructure de l'introduction du gaz en question. A moyen terme, c'est-à-dire dans 5 à 10 ans puisque nous sommes dans le domaine gazier, on va mettre en œuvre l'introduction de ce gaz au niveau domestique dans les nouvelles cités qui doivent répondre évidemment aux conditions d'aménagement nécessaire à cela.