On pourrait rechercher Saddam Hussein sur le ton de la chanson “avez-vous vu Mirza? ”. On peut s'en amuser, en rire, en pleurer, mais quelle importance du moment que des dignitaires du régime irakien, à l'exemple de Tarik Aziz, n'ont pas eu le talent de mettre en scène, pour le fun et la gloire, leur mort ; de nourrir de leur suicide notre imaginaire ? Plutôt vivre à genou que mourir debout. A l'humiliation de la débandade s'ajoute la mortification de l'âme par la capitulation. Cela fait longtemps que notre univers arabo-musulman est sous le coup de l'assommoir, mais nous revoilà groggy tel que nous le fûmes au lendemain de la défaite de 1967 face à Israël. Que ce soit cette fois-ci sans sous-traitance, directement des mains des Américains, n'est qu'une maigre consolation. Il y a déjà belle lurette que nous avons perdu le Nord, nous voici désormais en train de reperdre au Sud ce que nous avons eu un temps l'illusion d'avoir reconquis : notre souveraineté territoriale à défaut de notre indépendance politique et économique. Groggy, mais pas mort, devrions-nous dire dans un ultime sursaut ou simple soubresaut de dignité. Le mutisme des capitales, le silence alourdissant des rues arabes ne doivent pas nous berner. Comme au lendemain de 1967, les lames de fond de l'Histoire, telle l'hypertension artérielle, sont toutes à leur œuvre silencieuse. Difficile de prédire ce que durera l'introspection ni sur quoi de précis débouchera l'incubation. Mais ses principaux moteurs, reliquats des longs bouleversements induits par la brève guerre des six jours, sont déjà en présence, l'un face à l'autre, ou l'un contre l'autre : à notre droite, la nébuleuse islamiste avec les contradictions et les luttes qui lui sont propres ; à notre gauche, la vaseuse moderniste avec toutes les forces qui se la disputent. Les uns arcboutés sur la préhistoire dans ce sens où tout leur référentiel fait la passe sur trois siècles et remonte au-delà de la révolution capitaliste du 18ème siècle qui, depuis, marque de sa technologie victorieuse en Irak et ailleurs notre monde contemporain. Les autres déjà dans la post-histoire puisque leur démarche saute curieusement, en sens inverse, la même phase pour se projeter, sans en avoir réalisé les rudiments, dans ce que sera demain. Islamistes et modernistes sont en principe deux parallèles qui ne doivent jamais se croiser. Pourtant, tout en s'ignorant, les deux parallèles convergent en zappant trois siècles qui ont transformé le monde plus profondément et plus rapidement que 150.000 ans d'existence de l'humanité. Les premiers par le retour en arrière, les seconds par la fuite en avant. Le débat ne fait que commencer, l'affrontement aussi. Mais nous faisons, en fait, partie de ce que les prospectivistes américains appellent les “ zones de turbulences ”. Croisons les doigts, mais de leur point de vue, nous en avons encore pour un siècle ou deux de violence, sans garantie de résultat. Alors patience !