“Six jours, six semaines peut-être, mais pas six mois” pour prendre possession de l'Irak, avait déclaré, sûr de son affaire, le secrétaire américain à la défense Donald Rumsfeld. Il avait aussi prédit que les populations irakiennes épuisées par le long règne despotique de Saddam Hussein, accueilleraient les troupes américano-britanniques à bras ouverts, des bouquets de fleurs à la main. Sur ce dernier point, Donald Rumsfeld, malgré l'importance et la diversité des services de renseignements dont il dispose, s'est lourdement trompé. A sa décharge, toutefois, il faut bien le dire, on peut supposer que le long embargo international imposé à l'Irak, n'avait pas laissé aux Irakiens beaucoup de temps pour s'adonner aux arts botaniques ni l'envie de cultiver les roses. Par contre, le chef de file des faucons du Pentagone n'est pas loin de réussir son pari de tenir en moins de six semaines les importants centres stratégiques en Irak et de subtiliser l'essentiel du pays au contrôle de Saddam Hussein et de ses hommes. Faudrait-il s'en étonner ? A terme Bagdad pourrait bien s'avérer un véritable piège à rats pour les Américains, le président irakien et une bonne partie de ses hommes pourraient bien s'évanouir dans les dédales des tunnels souterrains que Saddam Hussein a construits pour organiser la résistance future à l'occupation de l'Irak, l'issue de la guerre ne fait pas de doute. Si l'on retient les problèmes d'acheminement et les questions de logistique, l'invasion américaine, si elle n'est pas une promenade de santé, n'est pas [encore ?] le guêpier qu'on pourrait espérer. Si les forces américaines étaient déjà au début de la semaine précédente au centre de Bagdad, c'est bien parce qu'elles ont percé le territoire irakien comme un couteau le beurre. Ne pas s'en convaincre c'est ne pas réussir à visualiser ce qu'est la puissance de feu américaine face à un pays exsangue par plusieurs guerres et exténué par douze ans d'embargo. Cette évidence est pourtant en train de générer deux fausses lectures, l'une très arabe, l'autre très occidentale. Certes, nos journaux ne se font pas d'illusions sur le rapport de forces entre les USA et l'Irak, mais exaltent à tout bout de champ la résistance des Irakiens. Un jour de guerre ne ressemble pas dans son éternité à un jour sans, mais l'idée qu'on se fait de la suprématie américaine est telle que tenir vingt jours face à une telle débauche d'armements est perçu comme un exploit. On ne leur demande pas tant aux Irakiens et quand ils se rendent, on les comprend. Sur la rive nord de la Méditerranée, on entend le son inverse. Si les Irakiens ne résistent pas tellement devant les Américains, c'est parce qu'ils n'ont pas une réelle envie de se sacrifier pour un régime qui les a assujettis depuis quarante ans comme si, à la différence des autres peuples, les Irakiens n'avaient plus le sens du patriotisme et étaient dénués de la notion du territoire vital, le leur. Malsaine façon de penser qui tente de légitimer a posteriori, après l'avoir dénoncée a priori, l'invasion d'un peuple par un autre. C'est surtout en France que ce discours refait surface, probablement pour influer sur un virage qui garderait à Paris sa place dans le camp de l'Ouest et lui préserverait une part dans la distribution des marchés. Pourtant, il y a moyen d'éviter la méprise avant de dépouiller sur TF1 les Irakiens, soumis à un déluge de feu, de leur honneur : regarder sa propre histoire. Face à l'Allemagne, présumée d'une force égale, il n'a pas fallu longtemps pour que la ligne Maginot, en même temps que Paris qui se rendit sans brûler, tombe (14 juin 1940) et quelques jours pour que le Maréchal Pétain signe l'armistice (17 juin 1940). Quatre ans plus tard, la France recouvrait sa souveraineté. Parce qu'elle a trouvé en elle suffisamment de ressources pour renaître de ses cendres. Grâce aussi à l'apport de solides amis et alliés. C'est cette dernière catégorie qui manque cruellement aujourd'hui aux Irakiens.