L'information en boucle a ceci de lassant : servir le même plat toute la journée. Avec pour ligne éditoriale, l'à peu près et l'incertain. Selon Bagdad et d'après le Cent-Com américain. Sur toutes les chaînes de l'information continue les journaux tournent à un concours du conditionnel : Aurait, serait, ferait, pourrait. Tout, les percées de l'alliance américano-britannique et la résistance irakienne avec leur lot de morts et de souffrances, ne serait-il ainsi qu'incertitude et objet de doute ? Sans doute. La guerre est aussi désinformation et intox, mais dans le tissu de mensonges et de faux qui accompagne les combats, trois vérités étaient visibles avant même le début de l'agression : la fatalité de la défaite irakienne, la cupidité impériale des motivations américaines et l'impuissance européenne. Le pot de terre contre le pot de fer, habituelle image de l'inégalité des forces en présence, ne suffit plus à décrire la démesure de l'écart entre l'agresseur et l'agressé : un pays démantelé par une première guerre, siphonné par douze ans d'embargo et réduit à rien, grâce aux fameux inspecteurs de l'ONU, par la destruction de ce qui lui restait comme armes. En face, l'hyperpuissance, hypertrophiée par la monopolarité et un arsenal militaire sans précédent dans l'Histoire de l'humanité. L'unilatéralisme américain est dû à ce fait. Il dénote une volonté de puissance. Robert Kagan, l'un des théoriciens des faucons qui contrôlent la Maison-Blanche, l'explique brillamment, sans faux-fuyant et sans fioriture dans un ouvrage : “La puissance et la faiblesse” (Plon). “Les Américains de la fin du 19ème siècle, écrit-il, ne se contentèrent pas de la sécurité dont ils jouissaient [grâce à la suprématie de la marine britannique dans l'Atlantique et dans les Caraïbes] mais voulurent devenir puissants”. Les événements dont l'Irak est le théâtre malheureux sont ainsi l'aboutissement d'un processus vieux d'un siècle et demi, voire plus. C'est une paraphrase par l'inverse, mais la force des Etats-Unis, explique Robert Kagan de bout en bout des 160 pages de son ouvrage, a engendré, comme il se doit, un très vif désir de bâtir un monde où le pouvoir militaire et la manière forte importent plus que le pouvoir économique qui est la manière douce, un ordre mondial où le droit international et les institutions internationales importent moins que le pouvoir de la puissance, où l'action unilatérale par des Etats puissants est permise, où toutes les nations, quelle que soit leur force, n'ont pas, dès lors qu'ils sont plus faibles que les Etats-Unis, les mêmes droits. A partir de cette conception du monde que justifie Robert Kagan et qu'appliquent les faucons de la Maison-Blanche, “le recours à la force par les Etats-Unis devint plus tentant” dès que le frein que constituait la puissance soviétique fut supprimé : “Le pays était libre d'intervenir où il voulait et quand il voulait”. Et si cet interventionnisme n'est pas du goût de la France et de l'Allemagne, ce n'est pas tant parce que ces deux pays sont plus moraux que l'Amérique, mais tout simplement plus faibles, d'autant plus faibles, qu'ils n'ont pas, contrairement aux Américains du 19ème siècle, la volonté et la force de devenir plus forts. Quand ils en avaient les moyens d'ailleurs, jusqu'à la deuxième guerre mondiale, ces Etats ne se sont pas privés de se faire plaisir. Soit ! Mais alors ? Mais encore ? Mais encore, le général Wesley K. Clark qui a dirigé les opérations de l'OTAN au Kosovo, cité par Robert Kagan, nous l'apprend dans la page soixante-seize : une fois entamé le recours à la force, la stratégie militaire telle qu'ils la conçoivent en Amérique “consiste à aller le plus loin possible”. Jusqu'à Damas, puis Ryad et Téhéran pour finir à Pékin via Pyongyang, probablement.