Dans sa deuxième semaine depuis son déclenchement le lundi 6 avril, la grève des conducteurs professionnels a viré à l'escalade. Impasse des négociations entre les pouvoirs publics et les partenaires sociaux et professionnels pour trouver un terrain d'entente et faire cesser le débrayage. La réunion de conciliation chez le Premier ministre du lundi 13 avril a échoué, suite au durcissement des revendications syndicales exigeant purement et simplement le retrait définitif du projet de code de la route. Et ce, en dépit de la bonne foi des gouvernements acquis au dialogue démocratique et ouverts à toutes les propositions raisonnables d'amendements de la loi. Mieux encore, le gouvernement est disposé à revoir, en concertation étroite avec l'ensemble des organisations syndicales et professionnelles routières, toutes les dispositions du code, au cas par cas, pour en recueillir les propositions idoines favorables à la promulgation d'une loi, sinon unanimement approuvée, du moins consensuellement adoptée. Le plus grave, c'est que la surenchère gagne du terrain pour faire céder l'Etat qui avait accepté d'introduire 275 amendements en accord avec les syndicats lors de la grève en 2007 pour récidiver de plus belle, alors que tous les canaux de communication restent ouverts. C'est du chantage qui met en danger la paix sociale en raison du « hooliganisme » des grévistes multipliant les menaces et actes de violences sur leurs collègues refusant d'adhérer au mot d'ordre d'arrêt de travail. Et c'est sur ce chapitre que la cohésion et la fermeté du gouvernement fait face à la violence d'une grève sauvage d'autant plus injustifiée, car le timing choisi dissimule difficilement des visées syndicalo-politiciennes. En engageant cette nouvelle épreuve de force, c'est l'asphyxie du pays qui est recherchée, sachant que 80% du trafic des marchandises au Maroc passent par la route et plus de 90% du commerce maritime est assuré par les dessertes portuaires de poids lourds. Des pertes considérables supportées par le contribuable lorsqu'on apprend qu'un bateau séjournant au port coûte 15 000 dollars par jour sans oublier les surestaries pour les délais prolongés. En outre, 95% des Marocains préfèrent voyager ou se déplacer en voiture ou en autocar. Pis encore, ce débrayage prend réellement l'allure d'une action « mafieuse » pour accroître la pression sur les pouvoirs publics préoccupés par les menaces de ruptures des stocks alimentaires, la flambée vertigineuse des prix des fruits et légumes sur les étals et l'épuisement des carburants dans les stations de distribution. C'est vrai qu'une crainte réelle s'est emparée des consommateurs quand ils découvrent au souk, même dans les quartiers populaires, des pommes de terre à 15 DH le kilogramme, des aubergines à 13 DH, petites courgettes 12 DH le poulet à 22 DH, les haricots verts à 20 DH…il y a lieu vraiment de s'inquiéter. Mais un bras de fer tenté en saignant les bourses des ménages et en cherchant à affamer les populations, cela relèverait plutôt de l'intention « criminelle ». En outre, les cassures provoquées dans les acheminements de transports de marchandises entre les villes marocaines, aussi bien pour l'export que pour l'import, avec un port où l'activité de chargement et de déchargement des navires de commerce est immobilisée, ont généré la mise sous le paillasson de plusieurs entreprises et des milliers de salariés au chômage, faisant fi des dures conséquences de la crise économique et financière internationale. Imaginez ce que peuvent provoquer comme désagréments et manques à gagner des milliers de camions paralysés sur l'économie nationale saignée à blanc qui aurait accusé des pertes de dizaines de millions de dirhams, voire des milliards et condamné plus de 150 000 travailleurs au chômage. Abdelilah Hifdi, Président de la Fédération Transport CGEM et de la FNTR «Cette grève est injustifiée mais il faut repenser et moraliser le contrôle» « Cette grève des transports est injustifiée car le projet de code de la route a été approuvé à l'unanimité générale des partenaires institutionnels, professionnels et sociaux, à l'issue des négociations en 2007 qui ont entériné 275 amendements. Cette grève est injustifiée, aussi, après les amendements introduits par la Chambre des Représentants en attendant ceux de la Chambre des Conseillers. Il reste encore plusieurs opportunités procédurales pour en discuter avant la promulgation officielle du nouveau code. Il faut montrer la force de la loi sans s'en servir, car nos routes sont devenues des zones de non-droit, de sinistralité et d'insécurité. Ce projet valorise le métier de conducteur professionnel moyennant des formations obligatoires initiales et continues de sécurité (FIMO et FCS). Le code permet la modernisation de la profession, la structuration du secteur des transports routiers et offre des opportunités pour se mettre au diapason de la conformité avec les acquis communautaires en application du statut avancé avec l'Union européenne et d'être compétitif dans la concurrence mondialisée. Mais l'Etat doit prendre des mesures d'accompagnement pour garantir l'applicabilité du code, sachant que les contrôles sont disparates et que 95% des petites entreprises artisanales sont créées par d'anciens conducteurs et que 95% des sociétés de transport routier possèdent moins de 2 véhicules. D'où l'atomicité du secteur et la multiplicité de son offre, sans compter que l'informel s'accapare 70% de l'activité du transport routier. Nous défendons le credo favorable à un Transport Responsable car il faut repenser le contrôle dans sa finalité et ses moyens. Il faut planifier et harmoniser les contrôles, les moraliser, lutter contre la corruption et les dépassements. Les conducteurs ne sont pas contre la loi, mais contre les dysfonctionnements et les disparités dans son applicabilité. Néanmoins, ils doivent s'organiser et s'entourer de compétences pour se muer en une véritable force de proposition au lieu de tout refuser. L'Etat doit accompagner les mouvements de revendications en leur donnant un caractère rationnel et scientifique. Je revendique la représentativité du conducteur car 95% d'entre eux sont des entreprises individuelles. Autant cette grève est injustifiée sur la question du code de la route, autant on aurait pu comprendre si le mouvement de protestation ciblait le package social entériné avec le gouvernement Jettou et jamais appliqué depuis, à cause du dumping social pratiqué par les entreprises non-citoyennes et le contrôle laxiste des pouvoirs publics. Je suis contre cette grève, mais je les aurais soutenus sur le volet de l'amélioration de leurs conditions sociales, couverture médicale, sécurité sociale, logements… ».