Le mouvement du non-alignement à l'ordre du jour Contre vents et marées, quelques dirigeants du tiers-monde continuent d'entretenir l'espoir, aussi mince soit-il, de voir un jour le mouvement des non-alignés renaître de ses cendres. Un vœu pieux à l'ère de la mondialisation. Après la 2ème guerre mondiale, un irrésistible mouvement d'émancipation balaye les empires coloniaux selon des processus divers, parfois longs et douloureux. C'était le recul du colonialisme et l'émergence de nouveaux pays, formant, pour l'essentiel, le Tiers-Monde, sous la houlette des Nations-unies (ONU) Mais, l'indépendance des “nouveaux Etats” était souvent obtenue dans des conditions économiques et démographiques difficiles. On parlait alors de sous-développement. De là naquit l'organisation des pays sous-développés dans un mouvement politique à côté des deux blocs : le non-alignement. La “confrérie du tonnerre” En 1955, à l'invitation du Président indonésien Ahmed Soekarno, 29 pays afro-asiatiques indépendants s'étaient retrouvés à Bandoeng, en Indonésie, d'où sortira entre autres, le non-alignement comme “idéologie politique des pays tiers-mondistes” Cette rencontre, Léopold Sédar Senghor l'avait qualifiée de “confrérie du tonnerre”, qui allait faire trembler le monde dans la deuxième moitié du 20ème siècle. Cette réunion, qui avait mis la France au banc des principaux accusés du colonialisme, a été marquée par deux attitudes essentielles chez les participants à la conférence : la position communément arrêtée et qui a décidé le non-alignement sur l'un ou l'autre des deux blocs antagonistes. Ceci, afin de bénéficier de l'aide et de l'assistance de l'un comme de l'autre bloc. Et la deuxième tendance arguant que les “non-alignés” sont des Etats nouvellement indépendants, et que par conséquent ils se retrouveraient inévitablement tous en rangs serrés, alignés derrière l'un ou l'autre camp, malgré eux et à leur corps défendant. En définitive, la résolution finale s'est inspirée des cinq principes formulés par le leader indonésien Soekarno : respect de la souveraineté internationale, égalité des races et des nations, non-ingérence dans les affaires intérieures, non-agression et coexistence pacifique. Jusque-là, à Bandoeng notamment, le Tiers-monde émergent avait affirmé sa spécificité. Mais ne disposant que de peu de moyens, sa tactique était surtout d'exploiter la rivalité des deux Grands pour menacer l'un ou l'autre de passer d'un camp à l'autre. La troisième force Le mouvement des “non alignés” est créé en septembre 1961 à Belgrade, comme étant une “troisième force” face aux deux blocs politiques dominants. Le maréchal Tito fût le catalyseur du mouvement auquel les “pays alignés” de Bandoeng ne participent pas. Européen et symbole exemplaire de l'esprit d'indépendance (résistance au fascisme et aux pressions de Staline), il donna au Mouvement une dimension planétaire et dynamique qui conforte la légitimité des autres leaders du Tiers-monde. A partir de cette Conférence, le Tiers-Monde va tenter de défier le clivage Est-Ouest en formant un groupe de plus en plus important puisque ses participants, venus de tous les continents, vont passer de vingt-cinq à plus de cent. Le “groupe des 77” ou la voix anti-impérialiste De nombreux sommets vont se succéder, constituant de véritables assises des pays en voie de développement : le Caire 1964, Alger 1973, la Havane 1979, Belgrade 1989, Djakarta en 1992, Carthagène à l'automne 1995... Rassemblés à l'O.N.U dans un groupe politique très actif dit “groupe des 77”, présidé actuellement par le Maroc, les 131 pays du Tiers-Monde conduisent une stratégie de révision du système international, faisant des Nations Unies une tribune “anti-impérialiste” (à la Havane en 1966, Cuba prône la multiplication des foyers de “guérilla révolutionnaire”). Plus, le groupe a entraîné par la suite l'admission des organisations de libération nationale telles que l'OLP, avant de revendiquer l'instauration d'un “nouvel ordre économique international”. La réunion d'Alger en 1973 constituera un moment privilégié de cette lutte puisque les “Non alignés” réussiront après le premier choc pétrolier de 73-74, à faire convoquer une réunion extraordinaire de l'O.N.U consacrée aux problèmes de développement, faisant par là-même évoluer la notion de non-alignement du domaine politique au domaine économique. A Djakarta, en 1992, la dixième conférence avait manifesté une grande inquiétude quant à la domination occidentale du monde. Mieux encore, elle avait même réclamé une restructuration de l'O.N.U (élargissement du Conseil de sécurité, renforcement des compétences de l'assemblée générale); lors du 11ème sommet à Carthagène à l'automne 1995 les mêmes revendications sur la réforme de l'O.N.U avaient été présentées. Le 12e sommet, qui s'est tenu à Durban en Afrique du Sud en 1998, n'a attiré l'attention que par la présence d'une vedette internationale comme L.D. Kabila, dont c'était la première apparition sur la scène diplomatique internationale. De la simple nostalgie... Avec la disparition des pères-fondateurs du mouvement, l'Indonésien Soekarno, l'Indien Nehru, l'Egyptien Nasser, le Ghanéen Nkrumah, le non-alignement a été réduit à une simple «coquille». Le dernier sommet des non-alignés avait eu lieu en septembre dernier, en Afrique du Sud, dans la ville de Durban. Question : dans le contexte qui est celui de cette fin du 20ème siècle, le “non-alignement”, a-t-il encore un sens ? La réponse, d'emblée, est non. Il n'y a plus guère qu'un seul bloc, l'Occident capitaliste en triomphe. L'économie, désormais, s'appelle délocalisation, globalisation, mondialisation. La communication, c'est par Internet, ultra-rapide, instantanée. Des pays “non-alignés” d'Asie sont devenus des puissances industrielles. L'univers s'est transformé en un gros village planétaire. C'est pourquoi il est, aujourd'hui, inopportun, même inapproprié de parler de pays non-alignés. A moins que le “non-alignement” n'ait été réduit à une simple occasion de retrouvailles et de rencontres pour dirigeants du Tiers-Monde. Dans ce cas, on parle alors de nostalgie !