La lutte contre l'habitat insalubre est l'un des chantiers les plus difficultueux de la nouvelle ère. L'exode rural, le laisser-aller des autorités et la collusion des élus sont passés par là. Le président de la commune rurale de Lahraouiyine a été placé jeudi 12 mars sous mandat de dépôt, en liaison avec l'affaire des constructions non autorisées dans cette commune. 118 personnes sont désormais poursuivies dans le cadre de cette affaire. Un exemple de ce que la justice s'emploie à entreprendre face au fléau des baraquements et des constructions sauvages. Plusieurs caïds, des élus et des dizaines de moqaddems et autres chioukhs ont été sanctionnés et souvent déférés devant les tribunaux. Durant des années, le ministre Ahmed Taoufiq Hjira n'a cessé de dénoncer la collusion des élus et des agents d'autorité qui, moyennant finance ou pour des raisons bassement électorales, ont allègrement encouragé ces mœurs nauséabondes. Hjira en a perdu son latin tant l'administration et la justice se montraient pour le moins nonchalantes face au phénomène. Les mauvaises habitudes se sont, en effet, enracinées au point où la traque contre l'habitat insalubre est assimilée à une injustice. Depuis l'aube des années 60, le corps des moqaddems, des cheikhs et autres caïds avait laissé s'installer et s'amplifier les bidonvilles jusqu'au jour où les Marocains se sont réveillés sur le spectacle ahurissant d'un millier de bidonvilles abritant pas moins de 280.000 ménages à la périphérie de 84 villes ! Vint donc le programme septennal (2004-2010) «villes sans bidonvilles» qui a mobilisé plus de 21 milliards de dirhams dont une subvention du Fonds Solidarité Habitat (FSH), estimée à près de 8 milliards de dirhams. Où en est-on aujourd'hui ? Le nombre de 30 villes sans bidonvilles a été franchi en 2008. Il a été procédé, par ailleurs, à la destruction de 50 000 baraques en 2008. S'exprimant lors d'une rencontre de présentation du bilan de son ministère en 2008 et de son plan d'action pour 2009, M. Hjira a fait savoir que l'une des ambitions de son département est d'atteindre un nombre similaire, en cours de cette année, sur un total de 84 villes. Sur le bilan de l'année précédente, le Ministre a fait savoir qu'un grand intérêt a été accordé à la réalisation d'un produit destiné aux catégories démunies et ce, dans le cadre de l'offre d'habitat à des conditions préférentielles. Ainsi, 129 000 unités seront créées et des avancées notables seront effectuées en matière de gestion et de bonne gouvernance. Le «mental de la hsida» En vérité, le combat contre les baraques et les constructions en dur non conformes et non autorisées participe d'un combat global contre ce qu'Abdallah Laroui appelle la «ruralisation de la ville». «Bédouinisation», dirions-nous. Les manifestations de cette espèce de «siba» suburbaine sont, en effet, multiples et variées. Deux conceptions de l'espace et du temps s'affrontent dans les rues et sur les grandes artères de nos villes. Le mental de la prairie (hsida) sévit partout contre la loi, contre l'ensemble de nos codes. A commencer par celui de la route où les «stops», les feux rouges et les priorités sont allègrement bafoués. Pire : «Même ce fondement de toute modernité qu'est la sacralité de la propriété y passe ; on squatte, on transgresse les règles cadastrales les plus élémentaires et on finit même par banaliser le vol et le braquage tant la haine de la ville reste vivace auprès de ces populations que la sécheresse et la misère ont éjectées vers les périphéries de nos villes», constate Larbi Zemrani, un disciple de feu Pascon. «Durant quarante ans, on a laissé – plutôt délaissé – plus de 12% de Marocains végéter dans des zones de non droit pathogènes et – forcément – criminogènes», conclut-il. Larache : Jnane el Bacha et Guadaloupé Selon le Plan de mise en œuvre de Ville Sans Bidonvilles, environ 5 000 ménages bidonvillois ont bénéficié de la résorption à la fin 2008. La majorité des ménages a été déplacée sur des parcelles aménagées et le reste bénéficie de restructuration in situ. A Larache, la planification et l'exécution des opérations de résorption en sont à un stade plus avancé que d'autres villes. Cette ville a aussi été parmi les premières à signer un contrat de ville, indiquant une relation de coopération et de collaboration avec le Gouvernement et le Ministère de l'Habitat et de l'Urbanisme en particulier. Jnan El Bacha est un bidonville âgé, qui a des baraques faites de matériaux permanents, les rues sont bétonnées, l'assainissement est présent et les compteurs d'eau et d'électricité sont installés. Les rues sont relativement larges. Un dispensaire local et une école sont proches du bidonville, ainsi qu'un hammam. Les habitations sont relativement spacieuses et certaines ont plusieurs étages pour accueillir plusieurs familles. Toutefois, la qualité de l'habitat varie considérablement à travers le bidonville, avec notamment celui des femmes seules ou des familles jeunes habitant dans des logements de très mauvaise qualité. La plupart des familles ont des liens de longue date avec le bidonville et demandent surtout l'amélioration des services. Les bidonvillois ont des stratégies multiples de moyens de survie, des activités génératrices de revenu ainsi que des stratégies de logement qui maximisent l'utilisation de l'espace. Tant à Jnan El Bacha qu'à Guadeloupé, mais avec une fréquence moindre, de nombreuses familles vivent des «contributions à leur revenu qu'elles reçoivent des membres de leur famille qui travaillent à l'étranger, en Europe surtout». Guadeloupé est un bidonville bien plus nouveau. Il a été créé en 1996 et il a attiré de nombreux paysans des zones rurales avoisinantes qui ont quitté leurs moyens d'existence détériorés à cause de la diminution de la pluviosité annuelle. Dans l'ensemble, les bidonvillois vivent dans des conditions qui sont comparativement pires que celles des habitants de Jnan El Bacha. Guadeloupé abrite environ 500 ménages mais l'aménagement, l'infrastructure des services et la qualité de l'habitat sont catastrophiques. Contrairement à Jnan El Bacha, la fourniture régulière des services de base n'est pas disponible. Beaucoup de rues sont extrêmement étroites, ce qui accroît les dangers d'incendie, et les baraques sont faites de matériaux précaires. Les bidonvillois de Guadeloupé vivent dans les pires conditions qui soient et semblent bien plus pauvres en termes de possessions du ménage. La prostitution, en général celle des jeunes filles, a été mentionnée comme une activité génératrice de revenu, et la violence contre les femmes soulève un problème qui n'a pas été remarqué dans les autres bidonvilles, ce qui ne veut pas dire toutefois qu'il n'existe pas. Avec une faible variation entre les deux bidonvilles, leurs habitants sont peu informés du programme Villes sans bidonvilles, se méfient des autorités, ne sont presque pas organisés et ils ont en substance des demandes modestes pour l'établissement ou l'amélioration des services de base. Un intellectuel sorti des bidonvilles : Meskini Sghir (poète) En raison de l'évolution que connaît le secteur de l'habitat, on pourrait affirmer que ces bidonvilles ont connu une profonde mutation ces dernières années. Ils ne sont plus les douars citadins comme on disait dans les années soixante. Il y a de nouveaux habitants, de nouveaux types de bidonvilles et de nouveaux comportements. Ce qui influe de plus en plus sur le comportement de la population. Il y a maintenant les anciens et ceux qui viennent d'arriver suite aux multiples facteurs conjoncturels, dont notamment les périodes successives de sécheresse, donc d'exode rural que toutes les grandes cités urbaines du pays ont subi. Quoi qu'il en soit, ces barariks ont sorti nombre d'artistes, de poètes, romanciers, réalisateurs de cinéma et aussi quelques universitaires de renom. En quelques mots, je dirais que tout comportement stérile d'un habitant des bidonvilles est le reflet de sa situation sociale. Il faut les comprendre, leur offrir les moyens matériels, le travail et aussi un cadre culturel et social pour les aider à sortir de cette situation intenable.