La crise financière enfante une crise industrielle. Comment les gouvernements doivent-ils réagir ? 0,00 $, sans compter le carburant et la manutention : c'est le prix le plus bas que l'on puisse trouver pour transporter un conteneur par bateau du sud de la Chine vers l'Europe. À l'été 2007, le transporteur aurait facturé 1400 $. Mais ces cargos aujourd'hui à moitié vides sont le signe d'un effondrement mondial de l'industrie de fabrication. En Allemagne, les commandes de machines-outils pour décembre ont baissé de 40 % par rapport à l'année précédente. La moitié des 9000 exportateurs de jouets chinois ont fait faillite. Les expéditions de notebooks taïwanais ont chuté d'un tiers au cours du mois de janvier. Le nombre de voitures assemblées aux Etats-Unis est inférieur de 60 % par rapport au mois de janvier 2008. La force destructrice de la crise financière mondiale est devenue évidente l'année dernière. L'étendue de la crise de l'industrie s'aggrave encore, en grande partie parce qu'elle est abordée en termes nationaux et, effectivement, en termes souvent nationalistes. En réalité, la production industrielle est aussi prise dans un tourbillon mondial. Elle a baissé au cours des trois derniers mois de 3,6 % et de 4,4 % aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne respectivement (ce qui équivaut à un déclin annuel de 13,8 % et 16,4 %). Certains en rejettent la responsabilité sur Wall Street et la City. Mais cet effondrement est plus évident dans les pays plus dépendants des exportations de produits industriels, qui reposent sur la demande des consommateurs dans les nations débitrices. L'industrie s'écroule La production industrielle allemande a chuté de 6,8 % au cours du quatrième trimestre; celle de Taiwan de 21,7 %; du Japon de 12 %, ce qui explique en partie pourquoi le PIB baisse encore plus rapidement qu'au début des années 1990. La production industrielle est instable, mais le monde n'a pas assisté à une telle contraction depuis le premier choc pétrolier des années 1970 ; et encore, les effets n'étaient pas aussi importants. L'industrie s'écroule en Europe de l'Est, comme au Brésil, en Malaisie et en Turquie. Des milliers d'usines du sud de la Chine sont abandonnées. Leurs ouvriers sont rentrés chez eux dans les campagnes pour les fêtes de la nouvelle année. Des millions ne sont jamais revenus. Pour avoir renfloué le système financier, les gouvernements sont désormais sollicités pour sauver l'industrie. À côté des banquiers intrigants, les ouvriers peuvent paraître beaucoup plus méritants. L'industrie reste encore un grand employeur, très visible dans certaines zones, comme à Detroit, Stuttgart et Guangzhou. La faillite d'un grand constructeur automobile tel que General Motors (GM) porterait un coup fatal à la confiance des gens dans leurs propres perspectives d'avenir, à un moment où le pessimisme pousse l'économie vers le bas. Mais doit-on pour autant apporter un soutien spécial à l'industrie ? Autre partie du problème Malgré les difficultés qu'elle traverse, la réponse est non. Il n'existe aucune solution miracle ; mais l'aide à l'industrie souffre de deux inconvénients majeurs. Le premier est que les programmes gouvernementaux, qui sont lents à mettre en place et à modifier, sont trop pesants pour gérer les difficultés variées et constamment changeantes des industries mondiales de fabrication. Une partie du problème réside dans la paralysie des crédits commerciaux. Personne ne sait combien de temps cela va durer. Et l'autre partie du problème est due au fait que les entreprises réduisent leurs stocks. Cet effet devrait être temporaire, mais, là encore, personne ne sait combien de temps il durera, et personne ne connaît son étendue. L'autre défaillance est que l'aide accordée par secteur ne tient pas compte de la cause sous-jacente de la crise, à savoir la baisse de la demande, non pas seulement de produits manufacturés, mais de tous les produits. Parce que le rendement est trop important (et même beaucoup trop dans le secteur automobile), certaines entreprises doivent fermer quelle que soit l'aide apportée par le gouvernement. Comment les gouvernements savent quelles sociétés sauver? Sur ce point, c'est aux consommateurs de décider. Selon certains, l'industrie est un secteur spécial, parce que le reste de l'économie dépend de lui. En réalité, l'économie ressemble plus à un réseau dans lequel tout est interconnecté, et dans lequel tout producteur est aussi un consommateur. La distinction à faire n'est pas entre l'industrie et les services, mais entre les emplois productifs et ceux qui ne le sont pas. Certains fabricants acceptent cela, mais avancent invariablement un autre argument : la crise actuelle met inutilement en danger des emplois productifs et hautement qualifiés de l'industrie. Actuellement, chaque maillon de la chaîne logistique dépend de tous les autres. Les professionnels de l'automobile affirment que la perte de GM provoquerait le naufrage permanent de toute la chaîne logistique nord-américaine. En règle générale, les fournisseurs ayant plusieurs consommateurs, et les clients ayant plusieurs fournisseurs, doivent être plus résistants que s'ils étaient des dépendants captifs d'un large groupe. La Chine nous montre que la baisse de la demande crée un surplus de capacité de production qui permet aux clients de trouver un nouveau fournisseur si le leur fait faillite. Quand cela n'est pas faisable, par exemple dans le cas d'un fournisseur de pièces détachées hautement spécialisé, une bonne gestion est probablement plus efficace qu'une aide de l'Etat. Les meilleures sociétés surveillent étroitement leurs fournisseurs vitaux et achètent leurs pièces à plus d'une source, même si cela leur revient plus cher. Dans les cas extrêmes, les sociétés peuvent soutenir les fournisseurs vulnérables en les aidant à mobiliser des fonds ou en investissant directement dans ces fournisseurs. Si l'aide sectorielle est peu rentable, alors pourquoi sauver le système bancaire ? Non pas pour le bien des banquiers, sans aucun doute; ni parce que l'aide de l'Etat engendrera finalement un secteur financier efficient. Même les plans de sauvetage des banques en péril et de relance, tels que celui adopté cette semaine par Barack Obama, s'attaquent à la cause même des problèmes de l'économie : le fait de sauver les banques, aussi peu méritantes qu'elles soient, est censé maintenir les flux de capitaux, profitant ainsi à toutes les sociétés ; et les stimulus fiscaux sont supposés relancer la demande. Face à l'effondrement de l'industrie, les gouvernements ne doivent pas se perdre en futilités avec des plans sectoriels. Leur tâche est plus importante et tout aussi urgente : relancer la demande et libérer la finance.