La vie réserve parfois des situations bizarres, Taïbi Bouaïbi et Mohamed Filahi, sont hospitalisés, l'un à Rabat, l'autre à Casablanca. Ils ont été hospitalisés le même jour. Ces deux grands militants avaient été arrêtés le même jour, en mars 1973, torturés, jugés et condamnés le même jour. C'est un destin commun très particulier. Ils ont tous les deux marqué l'histoire des luttes sociales de Safi ma ville natale. Bouaïbi, dont la famille est safiote depuis des siècles et Filahi qui était agent de l'ONCF. Filahi syndicaliste de choc, dirigeant national de l'UNFP et Taïbi théoricien activiste, faisaient la paire. Nous étions jeunes, très jeunes, à peine adolescents, excités par le climat social tendu, les grèves des lycées, celles des ouvriers, vite happés par l'ambition égalitaire du marxisme, rêvant de révolution. Ils nous ont recrutés, formés, organisés. Par leur comportement, ils nous ont enseigné plus que des outils d'analyse ou de théories. Malgré leurs faibles moyens, c'est sur leur maigre bourse qu'ils finançaient toutes nos activités. Militants, ils l'étaient à plein temps, même quand ils s'accordaient quelques moments de détente. Arrêtés, torturés sauvagement, ils ont protégé tous les jeunes, y compris l'auteur de ces lignes et nous ont évité sans doute les affres de l'incarcération. Sortis de prison, leurs choix ont divergé, leur amitié est restée. La maladie les réunit aujourd'hui. Avec feu Lamrabtine, M'Barek Moutawakil, Bouaïbi et Filahi ont été de merveilleux maîtres et m'ont aidé à donner un sens à ma vie. Puissent-ils recouvrer la santé rapidement pour continuer à enseigner l'amour du pays, du progrès aux générations futures.