La capitale économique indienne est enfin débarrassée de ses bourreaux. Samedi 29 novembre, Ratan Tata, président du conglomérat indien Tata Group, contemplait son majestueux hôtel Taj Mahal de Bombay, que le fondateur du groupe a bâti 110 ans plus tôt. Plus tôt ce jour-là, des commandos indiens ont tué les derniers terroristes qui avaient pris l'établissement d'assaut trois nuits auparavant. Les Tata ont assuré qu'ils reconstruiraient le Taj en ruine, dévasté par les flammes, les balles et les grenades, pour lui redonner sa majesté. En revanche, il ne sera pas facile pour Bombay, et pour l'Inde, de se reconstruire après ce cauchemar prolongé, qui a fait 195 morts au moins et plus de 300 blessés. Les terroristes, des jeunes hommes habillés en jeans et t-shirts, sont arrivés dans la ville péninsulaire en canot pneumatique. L'assaut a commencé vers 21h30 mercredi, au Leopold Café, où de nombreux touristes dégustaient leur premier repas en Inde. Peu après, ils ont ouvert le feu dans la magnifique gare indo-gothique de la ville, laissant derrière eux des mares de sang dans le hall. Ils ont tué trois célèbres policiers, dont Hemant Karkare, chef de la division anti-terroriste de l'Etat, et dérobé une voiture de police, une Toyota Qualis, arrosant les caméramans et les badauds de balles en passant devant le Metro Cinéma. Un groupe a attaqué le centre culturel juif de Nariman House. Un autre a envahi l'hôtel de luxe Oberoi-Trident, qui domine la baie de Bombay. Un autre détachement a semé la panique pendant trois nuits à l'intérieur de l'hôtel Taj. Vendredi en milieu d'après-midi, les commandos s'étaient débarrassés des derniers terroristes de l'hôtel Oberoi-Trident, et avaient libéré des hordes de visiteurs épuisés. Plus tard dans la journée, cinq otages ont été retrouvés morts à Nariman House, après l'intervention des forces spéciales qui, déposées par un hélicoptère, ont pénétré dans le bâtiment par le toit. Parmi les victimes, on compte un jeune rabbin israélo-américain et sa femme. Espionage Mais ce n'est que le matin suivant que les commandos indiens ont finalement remporté le jeu du chat et de la souris avec les terroristes dans le labyrinthe qu'est le Taj Mahal. Les officiers ont rapporté avoir échangé des tirs avec des ennemis «sans pitié», qui connaissaient parfaitement le plan de l'établissement. Les terroristes ont laissé derrière eux des munitions, des grenades, une carte d'identité mauritanienne, des vivres, 1200 $ et des cartes de crédit provenant de sept banques différentes. Le gouvernement indien n'a pas attendu avant de suspecter le Pakistan d'être le pays d'origine des criminels, assistés probablement par des locaux révoltés. L'interrogatoire d'un des assaillants capturé devrait fournir plus de réponses aux autorités. Si le lien est établi, l'Inde pourrait rejeter la responsabilité sur des groupes djihadistes n'étant pas sous le contrôle des autorités pakistanaises. Des conclusions moins indulgentes sont également possibles. L'Inde suspecte des membres des services de renseignements pakistanais d'être résolus à semer le trouble dans le pays. Le chef du plus grand groupe d'espionnage du Pakistan, l'Inter-Services Intelligence, a été invité à Delhi pour s'expliquer. Après avoir d'abord accepté l'invitation (geste coopératif prometteur), il envoie maintenant un subalterne à sa place. Les alliés et voisins de l'Inde sont en droit d'attendre d'elle une réaction modérée, mais ils ne doivent pas trop compter dessus. Après un attentat contre son parlement national en 2001, l'Inde a mobilisé des centaines de milliers de soldats à la frontière pakistanaise. Le Parti Bharatiya Janata (BJP) nationaliste hindou, alors au pouvoir, accuse régulièrement son successeur, le Parti du Congrès, d'être trop mou sur la question du terrorisme. Le spectacle désolant qui s'est joué à Bombay pourrait affecter les résultats lors des prochains votes régionaux, et même lui coûter les prochaines élections législatives, qui doivent avoir lieu en mai. Le BJP choisit désormais ses mots avec prudence, mais un message publié en première page des journaux, vraisemblablement commandé avant les attentats de Bombay, accusait le Congrès d'être «incapable et peu enthousiaste» à lutter contre le terrorisme, une pensée illustrée d'une grande éclaboussure de sang. Le gouvernement indien espère à son tour une attitude modérée de son peuple, en particulier à Bombay, ville surpeuplée et polyglotte. La métropole est souvent surnommée «Maximum City», car toujours pleine à craquer. ■