Le psychologue clinicien et psychothérapeute Aboubakr Harakat explique dans cet entretien les raisons pour lesquelles il faut consulter un psy. Tout en continuant à faire appel aux thérapies traditionnelles... La Gazette du Maroc : le Marocain s'arrange toujours pour confier à son entourage ses soucis. D'où vient, ce goût pour la « thérapie », disons, communautaire ? Aboubakr Harakat : cette «thérapie communautaire» comme vous l'appelez fait partie de la culture marocaine. Et le marocain cultive beaucoup de paradoxes. Si vous lui demandez «comment ça va ? » spontanément il répondra «al hamdou lillah, koulchi bikhir.. » mais juste après, il va enchainer en se plaignant de ses problèmes de santé, d'argent ou autres. Allez chez le psy pour lui confier ses problèmes ou lui faire part des troubles de personnalité qu'on ressent, est une notion étrangère au Marocain qui commence à peine à découvrir ce qu'est la psychologie et la psychiatrie. Dans notre culture il y a la notion de « ster », garder caché comme le dit le dicton « ster ma ster Allah », contrairement à la culture occidentale imprégnée de la pratique de la confession qui se fait au sein de l'église. Pour pallier au « ster » qui impose la retenue, le Marocain distille sous forme de confidences ses problèmes à un proche ou même à un étranger, tout en sachant que ça fera le tour du groupe communautaire. Pour les troubles psychiques, le Marocain avait l'habitude de recourir aux guérisseurs, aux saints et aux « lilates» des confréries. Actuellement il peut se faire suivre par le psy tout en continuant à faire appel aux thérapies traditionnelles. D'ailleurs, lors des lilates de gnawa ou issawa, le malade partage son « mal » avec le groupe qui reconnaît et accepte la différence de la personne concernée par la lila. La consultation d'un psychothérapeute, un psychanalyste ou, a fortiori, un psychiatre, est vite assimilée par l'imaginaire marocain à la notion de «folie ». Qu'en est-il selon votre propre expérience ? Effectivement, le mot psy est lié dans l'imaginaire de l'écrasante majorité des Marocains, même parmi les intellectuels, à la notion de folie. La pratique psychiatrique au Maroc ne date que de quelques décennies et la pratique psychologique est encore plus récente. C'est une question d'évolution de société, même en France, vous trouverez encore des personnes qui diront « je ne suis pas fou pour aller chez un psy ». Nous autres praticiens marocains psychiatres ou psychologues, savons que les personnes qui viennent nous consulter ont de fortes chances d'être déjà passées par les thérapies traditionnelles ou font la démarche en parallèle, surtout quand il s'agit de troubles sexuels. Il nous appartient à nous praticiens avec l'aide des médias, d'expliquer aux gens quel est le rôle du psy et de les décomplexer par rapport à la démarche qui les conduirait chez le psy. D'ailleurs, dans ma pratique je constate une réelle évolution à ce niveau, surtout chez les jeunes. La fréquentation assidue des bars d'alcool s'amplifie au Maroc. Y a-t-il là un indice du besoin de parler, de se confier hors des contraintes familiales, professionnelles ? Le bar reste l'un des rares lieux non encore investi par la gente féminine, exceptées les serveuses. Et à ce titre, il remplit plusieurs fonctions: un endroit où l'on peut se retrouver entre copains sans être « parasité » par les femmes donc, un lieu qui sert de « défouloir» machiste. C'est aussi un lieu festif où l'on invite les amis pour fêter et arroser un événement agréable, un endroit où l'on partage des émotions fortes en regardant un match de foot, un endroit où l'on vient cuver son chagrin d'amour ou faire le deuil d'un être cher et enfin, pour reprendre le thème de votre question, un lieu où, l'effet de l'alcool aidant, l'inhibition est levée et l'on peut parler sans contrainte, faire part de ses problèmes parfois à des inconnus compatissants, compagnons anonymes d'un soir, ou à la serveuse qui écoute sans jugement et parfois donne des conseils tout en gardant une attitude bienveillante. Dans ce sens, le bar, pour ceux qui le fréquentent, peut être assimilé à un lieu où la parole est libératrice et parfois réparatrice. n