Arnaqueur, dragueur, bavard, chauffard, grincheux, impatient, le diable rouge bidaoui nous exaspère. Mais nos petits taxis appartiennent à notre paysage urbain quotidien. Sans ses taxis rouges, Casa ne serait plus aussi trépidante ! Laissez-moi donc vous conter quelques-unes de ces aventures à bord de nos petits taxis rouges… Prendre un taxi ! Première épreuve : héler un taxi et arriver à bord. Prendre un taxi sous-entend la maîtrise d'un ensemble de signes et de codes partagés par les chauffeurs mais pas forcément par leurs clients ! D'abord, maîtriser le coup de poignet directionnel mais attention, assez rapidement, car le taxi est toujours pressé. La plupart du temps, vous voilà planté au bord de la route, le bras en l'air, sans avoir même reçu en réponse un signe de tête du chauffeur… Deuxième scénario : le taxi s'arrête et vous avez la chance de pouvoir lui indiquer verbalement votre direction. Et deuxième humiliation, il ne va pas du tout dans votre direction et vous le signifie d'un air exaspéré, en colère d'avoir du perdre au moins 10 secondes de son temps pour vous… Conclusion : ne s'adresser qu'aux taxis vides. Mais il est 18h30, et vous n'avez presque aucune chance d'arriver à destination… Les droits et devoirs de chacun Ce que le client ignore, c'est que le code de déontologie de la profession soumet nos « taxistes » au respect d'un ensemble de règles censées limiter ce genre de désagrément. En vertu de quoi, chers usagers, sachez que vous êtes en droit de refuser d'autres voyageurs et d'exiger de suivre l'itinéraire qui vous convient, et non celui qui sied au chauffeur ! Vous n'êtes pas non plus tenu, paraît-il, de supporter les humeurs des chauffeurs, ni leurs discours intempestifs ou leurs goûts musicaux… Et, accrochez-vous, votre taxi-driver préféré est censé porter une tenue vestimentaire correcte, laver son véhicule chaque matin, être poli avec les touristes et respecter le code de la route. Je vous passe l'interdiction absolue de fumer à bord, de refuser des clients et de trafiquer le compteur… Allons donc ! Cette description idéale est malheureusement contredite par une réalité beaucoup plus folklorique… Comment ? Le règlement ne serait-il donc pas appliqué ? La preuve par l'image Maintenant observez bien cette photo. Cet habitacle de véhicule vous est vaguement familier. Vous avez certainement identifié les caractéristiques pittoresques du taxi bidaoui. Sur le bitume casablancais, deux types de véhicules se côtoient : la Fiat Uno et la Peugeot 205 d'au moins dix ans d'âge, mais qui, contrairement aux grands crus, ne se bonifie pas avec le temps… Point de vue sécurité du passager, les injonctions du règlement sont respectées à la lettre : l'hygiène est douteuse et des fils électriques jaillissent de sous le tableau de bord ; le levier de vitesses a beaucoup vécu : il a maintenant une forme… sinueuse et il faut toute la dextérité du chauffeur pour s'en servir. A chaque passage de vitesse, il faut d'abord l'agiter, puis l'actionner vers le bas en appuyant bien fort, à droite puis à gauche puis vers le haut en tirant... Niveau confort : la climatisation ancestrale, a peut-être un jour fonctionné, le siège est ergonomique avec housse d'origine et natte relaxante dernier modèle en osier garanti 100% naturel ; le verre de café au lait se coince idéalement dans la portière ; l'élément clé du dispositif est l'autoradio effet surround qui, lui, fonctionne à tous les coups, et, qui, on l'entend d'ici, diffuse au choix un mauvais air de chaâbi, le prêche d'un imam très en colère, ou encore l'émission de la star du taxi casaoui, qui fait crouler de rire l'agglomération entière le matin sur le chemin du boulot : Khalid sur Casa FM! Je ne vous parle même pas du compteur mécanique antédiluvien… Voilà la réalité du voyage en taxi casaoui ! Et n'espérez même pas agiter le règlement à la face de votre chauffeur préféré en le menaçant d'un recours au bureau des taxis pour non assistance à passager en danger ou risque d'éclaboussures de café nass-nass sur votre beau costume ! Les piétons sont indisciplinés ! Le monde du chauffeur de taxi se divise en trois catégories : eux-mêmes, les autres conducteurs, ceux qu'ils transportent et ceux qu'ils manquent d'écraser, entendez les piétons, ces deux catégories se confondant parfois. «Ils ne savent pas traverser», «Ils ne font pas la différence entre le rouge, le vert et l'orange, ils manquent de savoir-vivre», répètent en cœur tous nos «taxieurs». Vous l'avez compris, les piétons sont responsables de tous les maux de la circulation. Pour se dédouaner, ils accusent aussi volontiers les «vaches folles», entendez les taxis blancs, de rouler trop vite, et les bus évidemment. Et pourquoi pas les charrettes tant qu'on y est ? Taxis et clients : l'amour vache Nos taxis passent une bonne partie de la journée à écouter les histoires et les problèmes de clients pas toujours drôles. Didi m'assène à ce sujet ses grandes vérités sur la gent féminine : «La plupart des filles pleurent dans les taxis». Faute d'être très psychologues, nos chauffeurs savent aussi se montrer humains. «Les clients se confient, nous racontent leurs problèmes avec leur femme, leur mari, leur copine, leurs enfants…». A tel point que nos taxis se voient facilement comme des « psychiatres », des «médecins» ou des «juges». Et sexologues à leurs heures ! «Les femmes parlent même de leur plaisir avec leur mari». Nous voilà rassurés en cas de pépin conjugal ! Cache-cache avec les autorités ! «Les policiers nous arrêtent toujours pour une bonne raison». C'est évident, les représentants de l'ordre ont toujours raison. Omar, lui, nous dit tout le contraire: «la police ne donne jamais raison au chauffeur face à un client». Bon, les gars, il faudrait peut-être accorder vos violons ! Zakaria, lui, n'a pas sa langue dans sa poche et rigole quand je lui pose la question: «avec la police, on joue au chat et à la souris. La police nous poursuit la nuit pour arrêter les filles et toucher un bakchich». Et de poursuivre : «avec la police, c'est un jeu, on est presque comme des amis, on se connaît bien, on se ment !». Merci, voilà qui est plus crédible ! Les avantages en nature… Les taxis se plaignent beaucoup….du Maroc, de la vie, des jeunes…Allons donc, un peu de sincérité ! Le métier présente aussi quelques avantages. Certains clients se montrent parfois très généreux. Les Saoudiens, objets de toutes les moqueries, savent aussi faire preuve de largesses. Zakaria s'esclaffe de rire : «un client saoudien m'a une fois invité à manger du poisson dans un grand restaurant. Lorsqu'on lui a amené une tasse pour se laver les mains à la fin du repas, il a voulu la boire». Hilarant ! Autre avantage très nature : «Beaucoup de filles nous draguent». Mieux encore. Zakaria me confie dans un langage très peu châtié (après une bonne heure de discussion tout de même) qu'une femme trompée lui aurait un jour proposé ses faveurs pour se venger de son mari volage. «J'ai accepté. C'était gratuit». Il n'y a pas de petits profits ! Il arrive que certaines filles ayant un peu forcé sur la boisson se laissent aussi facilement faire...Là, on frise carrément l'illégalité ! Finalement, de quoi est faite la vie d'un taximan bidaoui ? Le taximan a une voiture rouge, des tas d'histoires à raconter, une vie trépidante et quelques avantages en nature que beaucoup lui envient… Et avec lui, on prend un peu le pouls de la société. La discussion dans un taxi, c'est comme chez le coiffeur, au hammam ou au café du commerce, c'est toujours instructif et révélateur de la tendance générale. La vérité sort du capot des taxis rouges ! n