Il est 8 heures. Noyée dans un remue ménage assourdissant, la gare Casa-port grouille de voyageurs, de mendiants et de taximen. «Maârif» par ci, «Anfa» par là, leurs voix se mélangent dans un charivari des plus dérangeants. Avec ce groupe de chauffeurs de taxis souvent habitués au service des «navettistes», la devise du «client est roi » est bannie. Les destinations, c'est eux qui les choisissent. Souvent choqués, les clients qui ne connaissent pas le mode d'emploi des taxis de la gare se disputent généralement avec les chauffeurs qui ne daignent même pas les regarder lorsque la destination demandée ne correspond pas à leurs trajets. Indifférents aux appels désespérés des voyageurs, les taximen ont visiblement un plan d'action ou de destinations qu'ils ne changeraient pour rien au monde. Même ceux qui circulent dans la ville ont adopté un code de signes pour éviter de perdre un temps jugé trop précieux. Avant de s'arrêter, le chauffeur «indexe» la direction qu'il compte prendre et le client est obligé de préciser de loin si c'est aussi la sienne. Si ce dernier ose hocher la tête pour se tromper en fin de compte, le taximan l'accable de toutes les foudres de la planète, le tout agrémenté de regards enflammés. Les chauffeurs de taxis bataillent pour leur gagne-pain et c'est le client qui en paie le prix. Plus rien ne compte quand la compétition est lancée. Une course contre la montre s'annonce dès le petit matin et peut bien ne pas finir de la journée. Matinée avec un taximan Omar, un jeune conducteur de 24 ans, a fait de sa petite Uno rouge le grand amour du moment. Muni de patience et du sourire le plus crédible, il squatte les avenues de Casablanca comme s'il y avait toujours vécu. Après avoir décroché une licence en droit arabe, ce jeune natif de Khouribga chôme et préfère prendre le taxi de son vieux père pour se faire de l'argent et aider ses parents. Dès le matin, il arpente les labyrinthes de la métropole d'un regard avisé en cherchant des clients. Habitué à sa fusée rouge, le jeune Omar profite de son gagne-pain pour pratiquer son loisir fétiche: la conduite ! Cela tombe bien puisqu'il passe ses journées à se trimbaler dans sa petite auto sur fond de musique «House». La matinée du 23 juin, Omar accepte qu'on l'accompagne pour voir en quoi son travail de taximan consistait et comment cela se passait. Départ du café de France. Toujours en musique, le jeune homme est assez bavard et le trajet devient de plus en plus plaisant. Première cliente. «Boulevard d'Anfa - Allah ykhalik- !». Omar acquiesce et la bonne dame lui assène quelques bénédictions en précisant qu'elle veut descendre près d'Idou Anfa. Durant le trajet, «el Hajja», comme le jeune taximan s'est plu à l'appeler, nous a listé toute sa famille, le nom de ses médecins, les villes qu'elle a pu visiter et même les maladies qu'elle a pu contracter Biographie intégrale. Arrivée à destination, elle insiste pour finir son récit concernant le mariage de sa fille. Omar hurle: «La journée s'annonce bien ! J'en juge selon mon premier client». Il semble qu'il a raison. Les clients fusent de partout et les trajets n'en finissent plus. Les cas diffèrent, mais une certitude est bien là : les Marocains sont bavards. Du jeune au vieux, en passant par une multitude de femmes de différents âges, les débats ne s'arrêtent pas et les histoires encore moins. Les taxis marocains sont des mines d'informations où l'actualité est à l'honneur. A l'intérieur de ces véhicules, une microsociété reflète notre idéologie et met en scène différents exemples de la vie courante. «J'ai eu l'occasion de rencontrer plusieurs personnes grâce à mon taxi. Sociable de nature, j'aime souvent provoquer des discussions et ponctuer agréablement le trajets. Je peux vous dire qu'on est une société de «tberguig», de papotages et de plaisirs. J'adore !» affirme Omar, amusé de constater ce que son taxi lui offre comme occasions. Retour à la matinée. Après la bonne «hajja», d'autres profils : deux amies occupées à se raconter leurs dernières conquêtes (amoureuses), un sosie d'Abdelouahab Doukkali très en colère contre les lions de l'Atlas, un couple de touristes français passionné par le Maroc et à qui Omar n'a pas hésité à montrer les meilleurs endroits de la ville, une immigrée qui vient de rentrer au pays après plusieurs années en Angleterre, une jeune Rbatie ne supportant pas Casablanca (le débat Rabat-Casa a toujours la cote auprès des gens) et pour couronner le tout une jeune actrice marocaine assez connue. Silence de tombe ? Grosse tête ? Mépris évident? Rien de tout cela ! La jeune femme raconte ses expériences sans reprendre son souffle et nous laisse même ses numéros de téléphone en prime A croire que le taxi d'Omar possède une «Baraka» capable d'éloigner les gens de la pression quotidienne. Le jeune taximan perd toutefois sa bonne humeur lorsqu'un client lui tend un billet de 200 DH. Une situation que plusieurs d'entre nous ont certainement expérimentée. «Certains pensent vraiment que je travaille dans une banque et ça, ça me soûle». Chacun ses maux Une chose est sûre, les taximen ne s'ennuient pas. Une journée suffit pour avoir un aperçu des «différents spécimens» de notre société. Les chauffeurs de taxis présentent aussi un festival de personnalités tout aussi intéressantes que celles de leurs clients. Du branché au religieux en passant par l'intellectuel et le dragueur, les exemples ne manquent pas. Quelques uns sont parfois tellement curieux qu'ils en deviennent embarrassants. Sans gêne, ils n'hésitent pas à s'adresser d'un ton familier aux jeunes filles, à poser des questions privées aux hommes ou encore à faire des leçons de morale assez embarassantes. C'est le Maroc, c'est notre société et c'est la journée d'un taximan