La petite ville de Ouled Ziane vit dans l'effervescence habituelle d'un jeudi, jour de marché. Ce jeudi est cependant bien particulier : c'est aujourd'hui le lancement de la 1ère Foire régionale agricole. Acôté de tentes surchauffées où suent à grande eau humains et poussins exposés, s'élèvent, majestueuses, des tentes caïdales entourées de chevaux arabe-barbe fabuleusement harnachés. Elles abritent les derniers préparatifs des cavaliers qui vont bientôt défiler et saluer les nombreux visiteurs venus assister au clou du Moussem : la FANTASIA. Sous la tente d'une «Serba» (groupe de cavaliers de fantasia), les hommes dans leur tenue de cérémonie récitent la Fatiha… Amine. Le mqueddam, chef d'orchestre du groupe, prodigue ses dernières recommandations : «Tenez bon le cheval, suivez-moi comme des hommes, levez haut le fusil et à mon cri, tirez !». Les 48 Serbates et 900 chevaux du Moussem sont prêts à entrer dans l'arène. Sur le terrain gigantesque, ils se font face, se toisent avant de se placer en rangées parfaites au fond du champ. Les révérences peuvent commencer. Le présentateur appelle chaque groupe par le nom de son mqueddam et l'invite à saluer la foule. Les cavaliers s'avancent alors vers les spectateurs, en files plus ou moins réussies, plus ou moins régulières selon la docilité du cheval et la dextérité du cavalier. Au centre de chaque file, le mqueddam est au four et au moulin. Il tient sa monture et encourage de la voix cavaliers et chevaux pour que le salut soit parfait : tous doivent arriver au même moment devant des jurés sévères qui n'applaudissent qu'aux plus belles prestations. Dans la famille fantasia, le trader La Serba Oukacha arrive. L'un des cavaliers qui la composent, attire tout particulièrement mon attention. Mounir Mellouk a grandi entre chevaux et «tbourida». «La fantasia est pour moi une affaire de famille. Mon arrière-grand-père et mon grand-père étaient des amoureux de chevaux et de fantasia. Ils étaient mqueddam et ont transmis leur passion à leurs enfants et petits-enfants». A l'âge de 17 ans, Mounir participe pour la première fois à une fantasia dans le groupe de son oncle. «Je me rappelle avoir dû le supplier pour qu'il me laisse monter. J'ai pu le convaincre, mais je suis monté sans fusil». Ensuite, à chaque retour de France, où il poursuit des études de gestion et de finance, Mounir célèbre avec ses compagnons de fantasia la bravoure du cheval et la fin des travaux agricoles. A 24 ans, le jeune diplômé de la Sorbonne revient et entre à la CFG. Ni ses longues années d'université en France, ni son métier de trader, ne l'éloignent de ses racines et traditions. S'il est en costume la semaine, Mounir revêt avec fierté l'habit traditionnel de la fantasia dès qu'il est sous la tente : djellaba, sarwal, t'mag, turban, épée et dalil, petit sac porté en bandoulière dans lequel on glisse un Coran qui «rappelle la dimension spirituelle de ces rencontres». Dix ans après avoir rejoint le Maroc et la CFG, Mounir est directeur de la filiale Casablanca Finance Market du groupe. Il est aussi à l'aise dans son fauteuil de financier francophone que sur le champ de Médiouna, où l'arabe l'emporte. La tradition se perpétuera-t-elle avec Mounir? «J'ai un fils de 16 mois qui adore déjà les chevaux. C'est bon signe !». Hassan Oukacha, mer et terre Hassan,'pêcheur devant l'éternel', entendons armateur, a réussi à faire renaître le Moussem de Médiouna depuis quelques années. Avec famille, amis et connaissances, il a rappelé aux tribus du Grand Casablanca, les fantasias des années 30, auxquelles toutes participaient. Au début des années 90, le Moussem revient, par la seule volonté de nostalgiques de traditions en voie d'extinction et de passionnés de sports équestres. «Je regrette que l'Etat dépense des milliards dans l'aménagement de golfs, quand nous n'avons pas d'eau, et oublie de venir en aide à un monde rural gardien de nos traditions. Seule l'initiative de Lalla Amina (ndlr, Championnat national des arts équestres traditionnels) nous vient en aide». Cette manifestation de six jours a coûté 50.000 DH à la Serbat Oukacha. «Il se trouve que nous en avons les moyens. Mais pour beaucoup de tribus rurales, ça n'est pas le cas». Fantasia au féminin Amal (18 ans) et Nour El Houda (14 ans), nous prouvent à cheval que les temps changent. L'époque où la bienséance dictait aux femmes de monter en amazones, quand elle ne les obligeait pas à rester les pieds sur terre, est bel et bien révolue. Après avoir longtemps pratiqué le saut d'obstacle, Amal et Nour El Houda Ahamri découvrent, il y a quatre ans, la fantasia qui devient une nouvelle passion. Toutes deux font aujourd'hui partie de l'équipe féminine de Kénitra, dont Amal, 18 ans est la mqueddma. Cette année, elles ont remporté ensemble, la médaille d'or du Championnat national des arts équestres traditionnels de Rabat. Dans les Moussems, elles sont les rares femmes que l'on voit cavaler, en caftan rouge, fusil au poing, aux côtés d'hommes qui ont eu du mal à les accepter. «Au début, ça n'était pas facile. Ils hésitaient à nous prêter un cheval, ils ne voulaient pas que l'on défile près d'eux. Par jalousie en général» se souvient Amal. Petit à petit, les deux médaillées se font leur place. Leurs silhouettes sont dorénavant familières dans les Moussems où, de l'aveu de Rachid, un spectateur, «elles surpassent en grâce certains cavaliers qui ne sont là que par la force de la transmission et non du travail». Touria, leur maman, suit aussi les Moussems. En tant qu'ange gardien, elle confie qu'elle préfèrerait voir ses filles en rester au saut d'obstacle. «Je ne suis pas tranquille. Les fusils, la vitesse…un accident est si vite arrivé. Je prie depuis le moment où je les vois monter jusqu'à leur retour de la «tbourida». Amal et Nour en sont conscientes. Pas plus tard que la veille, un homme est tombé. Mais leur passion l'emporte. Elles embrassent et saluent leur maman avant d'aller faire la révérence au public.