Abdelaziz Laâfoura innocenté par la cour suprême, c'est un événement qui interpelle la justice, les médias et les politiques. C'est dans des conditions rarissimes que l'ex-gouverneur Abdelaziz Laâfoura a été innocenté. En effet, ce sont les 3 chambres de la cour suprême réunies, qui ont statué de manière définitive sur le dossier. Selon des juristes «cela arrive une fois par décennie». Il faut patienter jusqu'à la publication des attendus pour comprendre le raisonnement judiciaire ayant abouti à la relaxe de l'ex-gouverneur d'Aïn Sebaa. Le refus du tribunal de lui accorder l'exception judiciaire en première instance, a dû jouer. Ses avocats n'ont cessé de le réclamer, puisqu'il était poursuivi pour des actes dans le cadre de ses fonctions. Alors comment interpréter cette décision de justice ? En principe, il ne faut pas commenter, juste en prendre acte. Cependant, nous sommes au Maroc et la justice n'a pas encore réussi à rassurer sur son indépendance. Donc commentaires, il y aura. La première question concernera l'ensemble du dossier, les co-accusés de Laâfoura croupissent toujours en prison, selon les mêmes actes d'accusation. Un autre procès est toujours en cours, celui du projet Hassan II de recasement des bidonvillois de carrière centrale, Laâfoura blanchi, toutes ces affaires sont à revoir. C'est en tous cas ce que réclament les avocats des accusés. Bien des observateurs iront eux sur l'interprétation politique, terrain réellement glissant. L'interprétation politique présuppose que la justice n'est pas indépendante. Si tel était le cas, l'élargissement d'Abdelaziz Laâfoura, signifierait le pardon pour les hommes de Driss Basri, après la disparition de celui-ci. Allant vite en besogne, certains affirment que ces nouvelles dispositions profiteront aussi à Slimani et ses co-détenus. Toutes ces questions et bien d'autres se posent, parce que, à tort ou à raison, l'opinion publique ne fait pas sienne la profession de foi d'indépendance des magistrats. Or, sans indépendance, pas d'Etat de droit et il faut bien commencer un jour à donner un à priori favorable aux juges. La situation actuelle aboutit à une franche rigolade, les Marocains, presse comprise, saluent les jugements en leur faveur, comme une preuve de l'impartialité des juges et toute condamnation comme une machination. L'honneur des gens D'ailleurs, le blanchiment de Laâfoura, total, selon les juges, devrait interpeller les médias. L'homme a été traîné dans la boue et condamné avant même le prétoire. Pendant 6 ans, il n'avait pas eu droit à la présomption d'innocence, ni à la moindre circonstance atténuante. pour le Marocain lambda, il était devenu, grâce à l'acharnement de la presse, le représentant du système de rapine mis en place par Driss Basri. Dans ce procès, comme dans d'autres, la presse a informé à charge. Un vieux routier des médias disait: «quand on publie une information contre quelqu'un, c'est comme si on lui jetait un pavé du balcon du sixième étage, quand on publie son démenti, c'est comme s'il renvoyait le pavé à partir du trottoir». Que dire alors d'un homme lynché pendant près de dix ans, avant d'être déclaré innocent par la justice ? Tous ces commentaires ne font que nous renseigner sur deux difficultés majeures de la transition marocaine. La première concerne l'émancipation de l'appareil judiciaire mais surtout l'acceptation par la société de cette émancipation comme une réalité. La seconde, a trait aux crimes économiques de l'ère absolutiste. La justice sélective, par exemple, n'est pas l'Etat de droit. Or, les délits ne constituaient pas l'exception mais la règle et il est évident que, l'on ne peut pas mettre en prison toutes les personnes concernées par le manque de transparence qui était la règle. Ceux qui réclament vengeance se trompent de priorité. Ce qu'il nous faut assurer, c'est la fin de ces pratiques. Rien n'est moins sûr ! Espérons seulement que dorénavant, tout accusé sera traité en innocent jusqu'à sa condamnation définitive et qu'on ne jettera pas les gens en pâture au public, sans même utiliser le conditionnel. cour suprême Quid de Slimani ? La Cour Suprême a innocenté Laâfoura sur la base d'un vice de forme majeur : l'acte d'accusation n'utilise que des photocopies, ce qui n'est pas valable juridiquement. Il serait d'une incohérence suprême que la même cour refuse les photocopies pour Laâfoura et entérine les condamnations, basées sur les mêmes photocopies, pour Slimani et ses co-accusés. Seulement ceux-ci purgent leur peine à Oukacha. La cour suprême saisie, statuera dans un délai qu'elle est seule à pouvoir déterminer. Entre temps, est-il normal que ces gens restent emprisonnés ? Il ne s'agit pas ici d'évaluer la culpabilité ou l'innocence des personnes incriminées. Chacun peut avoir sa conviction intime. Force est cependant de constater que l'accusation, sur le plan judiciaire bat de l'aile et ce, selon la Cour Suprême. Sur un plan purement juridique, la situation est malsaine. Comment peut-on en sortir ? Les procédures étant ce qu'elles sont, la voie est fermée. La justice peut-elle trouver un moyen de mettre en liberté provisoire ces détenus que, normalement, la Cour Suprême devrait traiter de la même manière que Laâfoura ? Les prochaines semaines nous le diront et nous renseigneront sur la volonté de sauver les formes.