Dans cet entretien, Carles Liorens décrypte la victoire de Zapatéro et nous livre une analyse au scalpel des luttes qui se profilent à l'horizon entre des socialistes grisés par leur victoire et un parti populaire décidé à mener la vie dure à ses adversaires politiques. Il donne également son avis sur le projet d'autonomie au Sahara. La Gazette du Maroc : Quels seront vos conditions et vos exigences en échange de votre appui à José Luís Rodríguez Zapatero à Madrid ? Carles Liorens : CiU réclame d'abord le respect envers la Catalogne. Ceci veut dire du respect pour le contenu du statut d'autonomie catalan récemment approuvé, un traitement fiscal juste pour les catalans, égal à celui des autres régions, de manière à ne pas toujours payer plus que les autres régions. La CiU apporte aussi une vision différente de l'Espagne, avec une reconnaissance à sa plurinationalité et à sa diversité culturelle. Au-delà de ça, il est sûr que la CiU optera pour une politique d'appui à l'économie productive et pour une politique plus calme, empreinte d'une réelle volonté d'alliance et loin de la crispation actuelle. Dans ce cadre-là, je crois sincèrement que, même si nous sommes un parti nationaliste et catalaniste, notre apport peut être réellement très positif pour l'ensemble de l'Espagne. Comment définissez-vous l'actuel état des choses en Espagne, un pays qui a réussi sa transition politique et qui, aujourd'hui, se situe à la huitième place dans l'économie mondiale ? L'Espagne a été un sujet historique difficile à analyser pour sa complexité, ainsi que pour sa convulsion et son histoire conflictuelle. Les trente dernières années ont permis la transition d'un pays conflictuel à un pays qui enregistre de vrais succès. L'Espagne a pu surmonter la plupart des carences historiques qui engendrèrent la guerre civile de 1936. Aujourd'hui, pour la première fois l'Espagne a consolidé une démocratie et une économie prospère. Le pays a lié son avenir à l'Europe à laquelle il appartient par sa culture et sa tradition. Votre parti à toujours demandé une plus large reconnaissance de la plurinationalité de l'Etat espagnol. Peut-on dire que l'Espagne a définitivement clos ce dossier qui a été toujours source de problèmes et d'instabilité ? Non, pas du tout. Les autonomies représentent un autre problème qui n'a pas encore été résolu, à savoir, l'acceptation de la diversité linguistique, culturelle et nationale de l'Espagne. Un des objectifs de la dictature de Franco, entre 1939 et 1975, était d'éliminer la différence catalane, basque et galicienne pour en faire une Espagne, comme la propagande franquiste proclamait, « una, grande y libre » (une, grande et libre). Les tentatives de la dictature pour effacer la diversité connurent un total échec. A la mort de Franco, la démocratie s'est vue obligée de reconnaître l'existence de traits culturels et nationaux différents à ceux des castillans. Dans ce sens, une Espagne des autonomies a été imaginée, ce qui est un succès historique. Par rapport au Maroc, à quoi peut-on s'attendre de la part du nouvel exécutif de José Luís Rodríguez Zapatero ? Ça dépendra des alliances, mais en gros, nous nous retrouverons avec une Espagne pro marocaine, bien différente à celle d'Aznar, une Espagne qui continuera à encourager et à augmenter ses investissements au Maroc, qui approfondira la voie du dialogue par rapport à l'immigration des marocains sur le territoire espagnol, une Espagne qui collaborera avec le contrôle des flux migratoires et du terrorisme. Et par rapport au dossier du Sahara ? Je ne sais pas bien quelle a été la position espagnole pendant l'étape Zapatero par rapport au contentieux au Sahara. J'ai eu du mal à comprendre l'attitude de notre gouvernement dont le chef tenait un discours différent à Rabat et à Alger, en défendant le projet d'autonomie pour l'ex-colonie espagnole dans la capitale marocaine, tandis que quelques jours après, à Alger, il se montrait partisan de l'autodétermination. Dans un moment crucial pour la résolution de cette affaire, ceci met en relief les doutes du PSOE par rapport à ce dossier et surtout l'influence de ses anciens partenaires gouvernementaux, IE et ERC, des forces clairement pro Polisario et anti marocaines. Aussi bien IU qu'ERC sont des partis qui ne voient pas les progrès et les acquis du Maroc pendant ces dernières années et qui ne cessent de comparer le régime marocain avec d'autres très peu démocratiques. Vous venez de citer le projet d'autonomie marocain pour le Sahara, qu'est-ce vous pensez de cette proposition ? En Catalogne, nous avons un système avec des larges compétences consacré par notre nouveau statut d'autonomie. Même si nous appartenons à l'Etat espagnol, nous sommes très proches de l'indépendance, au moins par rapport à la gestion de nos affaires et de notre quotidien. J'ai eu l'opportunité de lire à plusieurs reprises le projet marocain d'autonomie et je pense honnêtement qu'il y a des aspects dont la proposition marocaine va au-delà de notre autonomie. Depuis des années d'inactivité, le Maroc a bougé et celui-ci est un bon point de départ. Maintenant, c'est au Polisario d'agir. Ceci dit, nous, en tant qu'amis, nous ne devons pas nous positionner ouvertement pour l'un ou pour l'autre. Nous devons encourager les parties pour arriver à un accord final pour ce contentieux de longue date. Personne ne doit quitter la table de négociations à Manhasset sans un accord préalable. Qu'est-ce vous pensez du projet d'Union Méditerranéenne du Président français Nicolas Sarkozy ? Nous sommes contre ce projet. Ceci implique de dépasser le processus de Barcelone parce que celui-ci inclut tous les pays européens, du Nord au Sud, axé sur le développement de la région méditerranéenne et le Maghreb. Il parait que le projet français n'implique que les pays de l'entourage méditerranéen, une erreur à notre avis. Nous sommes pour ne pas arrêter le Processus de Barcelone, un procès en marche, auquel il faut donner les ressources nécessaires pour que ça marche. Nous réclamons à la UE de donner la priorité au Processus de Barcelone après des années qui ont bénéficié à l'Europe de l'Est. Quelle est la position de votre parti par rapport aux relations avec le Maroc ? Comme je viens de dire, notre politique est très méditerranéenne, dirigée vers la consolidation d'une relation privilégiée entre l'Espagne et le Maroc. L'Espagne doit défendre le statut privilégié que Rabat mérite avec l'Union Européenne. L'Espagne et le Maroc doivent développer une politique de sécurité commune et lutter ensemble contre le terrorisme. Ils doivent désigner une politique migratoire dominée par la loyauté mutuelle et gérer aussi, avec loyauté et sérieusement, le contentieux de Ceuta et Mellilia. Il ne peut y avoir des gestes défiants et non plus des affirmations retentissantes. Quand nous présidions le gouvernement de la Catalogne, nous avons toujours eu des relations très positives avec le Maroc. Le Président de la Catalogne, qui est aussi président de notre parti, Jordi Pujol, avait toujours donné une grande importance aux relations avec Rabat. Notre gouvernement fut même capable d'ouvrir une délégation catalane à Casablanca, laquelle développait un travail remarquable jusqu'au moment de sa fermeture dûe aux pressions du gouvernement espagnol. *Secrétaire des relations internationales de Convergencia i Unió