Le 8 mars est célébré la journée internationale des femmes; une occasion de se pencher sur le destin d'une philosophe au parcours exceptionnel et qui a fait de la condition féminine son principal cheval de bataille : Simone de Beauvoir. Une occasion aussi de s'intéresser de plus près au destin de nos chères concitoyennes marocaines… Quelques dates d'abord. On ne le sait peut-être pas, mais c'est en 1910 qu'a été instaurée la journée internationale des femmes; il s'agissait à l'origine d'obtenir pour elles le droit de vote. La première conférence mondiale des femmes s'est tenue quant à elle à Mexico en 1975. Entre ces deux dates, un livre apparu en 1949 a révolutionné l'approche et l'appréhension de la condition féminine, il s'agit du Deuxième sexe de Simone de Beauvoir. L'ouvrage dénonce les injustices et inégalités dont souffrent les femmes et provoque par la même occasion un énorme scandale. Simone de Beauvoir était une intellectuelle, mais elle croyait à l'action et à l'efficacité de la lutte : «Oui, on peut changer le monde», aimait-elle à répéter. Son apport essentiel est d'avoir montré que la féminité véritable n'est pas une simple donnée de la nature, elle est un acquis qui, comme tous les acquis, nécessite une lutte… Un demi-siècle après, qu'en est-il des femmes dans notre société marocaine ? En dépit de quelques couacs, il faut reconnaître que les choses se sont réellement transformées. Le Maroc a lancé en 1998 la première campagne nationale de lutte contre la violence à l'égard des femmes; mais la date historique est véritablement celle de 2003 avec l'adoption du nouveau Code de la famille qui confère à la femme le statut de citoyenne à part entière. Des changements profonds sont apportés par ce texte; ils concernent l'égalité et la coresponsabilité des époux, la famille étant désormais placée sous la direction des deux époux alors que l'ancien code la plaçait sous la direction exclusive du mari. Le devoir d'obéissance de la femme à son époux a été supprimé en faveur de l'égalité en droits et devoirs entre les époux. On pourrait également citer le renforcement du droit de garde de la mère, la réglementation du divorce, ou encore la mise en place de dispositifs concernant les pensions alimentaires. Parallèlement, les centres d'écoute, d'information et d'assistance juridique pour les femmes se sont multipliés, pour preuve l'existence du réseau ANARUZ (Réseau national des centres d'écoute pour les femmes victimes de violence) qui est un réseau qui se compose de 17 associations et centres juridiques. De même que les campagnes de sensibilisation à l'égalité, à la lutte contre la violence et à la promotion des droits humains à pris une ampleur importante au sein de la société marocaine, notamment grâce à la couverture de ces activités par les médias. Bref, tout cela est de bon augure, néanmoins il y a loin de la loi à son application, et ce n'est pas par hasard que Montesquieu a distingué la lettre de la loi (le texte) et l'esprit de la loi… Les mentalités et les habitudes de pensée sont solidement ancrées, et chacun sait qu'il faut parfois se faire violence pour changer sa vision des choses et faire appliquer dûment la loi. A ce sujet, la Ligue démocratique pour les droits des femmes (association marocaine) a publié un rapport concernant précisément l'application du nouveau Code de la famille de 2003. Mariages en hausse Le résultat est globalement positif; un exemple significatif : celui du mariage de la femme majeure sans tuteur, il y est écrit qu' «à travers les consultations, tant avec les juges que les adouls, il s'est avéré qu'il y a un respect de l'application du code de la famille; contrairement au refus de l'adoul par le passé de conclure l'acte sans tuteur». On enregistre d'ailleurs une augmentation de ce type de mariages, puisque le nombre de mariages de la femme majeure sans tuteur est passé de 49 175 à 60 095 entre 2005 et 2006, soit une augmentation de plus de 20 pour cent. D'une façon générale, le rapport note qu'il y a «un progrès de la conscience de la société au sujet du dénouement des conflits familiaux (divorce consensuel, divorce pour raison de discorde). Subsiste le problème de la violence conjugale qui représente à lui seul près de 90 pour cent des dossiers… En matière de droit du travail, les choses ont également changé. La révision du code du travail adopté en juin 2003 a permis d'introduire des amendements relatifs aux droits des femmes : pour la première fois est consacré le principe de non-discrimination, y compris entre les hommes et les femmes, en matière d'emploi et de salaires. On trouve aussi la référence, également pour la première fois dans la législation marocaine, au harcèlement sexuel sur les lieux du travail, désormais considéré comme une faute grave. Avec le problème de la violence, un autre point noir persiste : celui du taux d'analphabétisme chez les femmes; il dépasse les 90% dans les régions rurales les plus reculées du Maroc. Cette situation place beaucoup de femmes dans une position de faiblesse et de passivité, ce qui les empêche de faire valoir leurs droits et leurs revendications. Lisons ce que dit Simone de Beauvoir à ce sujet : «La passivité qui caractérisera essentiellement la femme «féminine» est un trait qui se développe en elle dès ses premières années. Mais il est faux de prétendre que c'est là une donnée biologique; en vérité, c'est un destin qui lui est imposé par ses éducateurs et par la société». Exploitation sexuelle Ce qui est dénoncé ici, c'est le cliché selon lequel une nature biologique condamnerait la femme à l'inaction, à la passivité, et pourquoi pas à l'analphabétisme… Et on connaît les conséquences d'une telle attitude et d'un tel raisonnement : puisque la femme est inférieure à l'homme, alors il ne tient qu'à nous de l'exploiter comme bon nous semble, l'exploitation sexuelle n'est pas loin… En ce qui concerne notre pays, il est difficile de parler de «la femme» marocaine, tant les disparités sont grandes entre la ville et la campagne, voire même entre une ville et une autre. La nouvelle génération des femmes trentenaires, urbaines, instruites et cultivées, n'a pas grand chose à voir avec la génération précédente. Internet et les nouvelles technologies aidant, on assiste à une influence occidentale nette dans les modes de vie et de comportement des jeunes femmes des villes. D'un autre côté, une partie des jeunes filles se réfugient dans des valeurs séculaires; la société marocaine se retrouvant ainsi dans une sorte de dilemme entre l'attrait de l'étranger et l'enracinement dans des valeurs traditionnelles, les deux n'étant d'ailleurs pas incompatibles. Nous avons parlé de Simone de Beauvoir, mais le Maroc n'est pas en reste en ce qui concerne les femmes intellectuelles. Profitons de cette occasion de la journée de la femme pour rendre hommage à Najat El Hachmi qui a remporté cette année le prix Ramon Lull, la plus prestigieuse distinction littéraire catalane. Le prix, doté de 90.000 euros, a été remis à l'unanimité à l'auteur, pour «L'ultim Patriarca» (Le Dernier patriarche). Agée de 28 ans, Najat El Hachmi est arrivée à 8 ans en Catalogne où elle a suivi sa scolarisation dans les écoles catalanes, avant d'intégrer l'université. La jeune marocaine travaille à la mairie de la ville de Granollers comme médiatrice culturelle; elle collabore également avec des journaux locaux. Son nouvelle raconte l'histoire d'un immigré marocain qui va seul et sans aide créer sa propre entreprise. A noter que pour cette journée du 8 mars 2008, la Ligue démocratique des droits des femmes organise des rencontres de sensibilisation dans plusieurs lycées et écoles. il n'est jamais trop tôt pour éduquer au respect de l'autre…