Zoom sur les mosquées au Maroc Les mosquées sont de plus en plus convoitées par les politiques pour mobiliser la communauté, l'encadrer en vue de capitaliser son soutien. L'objectif demeure le même : faire appel au sacré pour faire de la politique. Dans ce processus, les imams tiennent une place privilégiée. De par son histoire, la monarchie alaouite s'est toujours appuyée sur la légitimité religieuse pour consolider son pouvoir politique. À cet égard, les mosquées avaient toujours été considérées par la monarchie comme le symbole de la solidarité communautaire des Musulmans. Vues comme des lieux saints qui représentent l'autorité divine, les mosquées sont considérées par le Coran comme les demeures d'Allah (Bouyout Allah). Vues sous cet angle, elles sont vénérées par les Musulmans, qui voient dans leurs “Imams” chargés de la tenue des prières des personnes crédibles et respectueuses. D'ailleurs, c'est pour cette raison que les “khottabas” jouissent d'une grande popularité auprès de la communauté. Or, il s'est avéré que les mosquées ne sont pas seulement des lieux sacrés où les fidèles peuvent se rendre pour répondre à l'appel du créateur et faire acte de bonne foi, mais aussi des tribunes politiques où des prédicateurs patentés se livrent à un exercice de conscientisation politique de la communauté. Mieux, certains ont même franchi le pas en passant du Minbar de la mosquée à celui du parlement. Comment se fait-il que les mosquées puissent devenir une tribune politique privilégiée pour les politiques, alors qu'en principe, elles doivent être le vecteur privilégié des préceptes et valeurs islamiques, où les Musulmans peuvent s'acquitter de leurs devoirs religieux dans les meilleures des circonstances ? Mosquée ou tribune politique? Avec la recrudescence de l'Islam politique au Maroc, les mosquées se transforment souvent en tribunes politiques. En fait, certains prédicateurs n'hésitent pas, surtout lors du prêche du vendredi, à véhiculer un discours moralisateur qui s'immisce parfois intentionnellement, dans les affaires politiques que partage toute la communauté. Ce faisant, ces “khotabas” diffusent un discours politique sur la base d'un référentiel religieux unique et sans équivoque. D'après eux, la politique est partie intégrante de la religion. Et du coup, ces “imams politisés” s'estiment autorisés à s'écarter de la ligne de conduite tracée par le pouvoir central : la transmission d'un Islam officiel dépolitisé. Selon eux, les mosquées doivent être des “ forums politiques ” où se discutent les affaires qui ont trait aux intérêts de la communauté. Mieux, ils se considèrent comme les représentants symboliques de la communauté religieuse et les défenseurs des intérêts de la “Oumma” A cet égard, il n'est nul besoin de rappeler le rôle qu'avaient joué les mosquées dans la mobilisation des citoyens contre l'adoption du plan d'intégration de la femme au développement. Ainsi, certains “imams” avaient appelé, consciemment ou non, la communauté à tuer le projet dans l'œuf. Les manœuvres politiques de Cheikh Zemzami, chroniqueur patenté du journal du PJD (parti de la justice et du développement), à partir de la mosquée avaient porté leurs fruits. Les résultats politiques de cette action avaient contribué considérablement à endiguer le projet en question et, par conséquent, à hisser le parti du PJD au rang des “big partis”. Un fervent militant islamiste de ce parti nous a confié que : “sans la mosquée, les “ frères ” (Khoutes) n'auraient pas pu dynamiter le projet” Selon lui : “la mosquée représente un lieu stratégique pour l'encadrement et la structuration de la communauté” Le «sacré» bras de fer Les résultats d'une micro-enquête sur les prêches du vendredi à Casablanca, depuis les attentas du 11 septembre, relèvent d'une tendance protestataire dans les discours religieux véhiculés dans les mosquées. Par exemple, 20 % des imams de mosquées interviewés rejettent catégoriquement le prêche imposé par le ministère de tutelle. Près de 30% ne s'y opposent pas à condition qu'ils soient limités aux fêtes nationales. Seulement 50% y adhèrent totalement. De plus, c'est la catégorie protestataire qui jouit d'une notoriété incontestable parmi la communauté marocaine ; surtout dans les périphéries de la métropole. C'est donc normal que la cote de popularité des “imams remuants” soit en pleine ascension. En effet, face au contrôle rigoureux du ministère de tutelle, les “prédicateurs politisés” disposent d'armes redoutables pour se redéployer dans le champ religieux. En pratique, le prêche du vendredi représente une occasion en or pour les “kottabas rebelles”, afin qu'ils mettent à jour leurs positions politiques, en se basant sur les arguments inébranlables de la loi islamique «chariâa». Bien plus, ces “kottabas engagés” n'hésitent pas, à travers leurs sermons, à appeler les fidèles à une résurrection générale contre la léthargie des gouvernements arabes; jugés incapables de défendre l'Islam et les causes musulmanes contre l'alliance diabolique israélo-américaine. L'éloquence des propos et le recours aux versets coraniques rendent le discours de ces prédicateurs incontestable et, par conséquent, tellement convaincant. L'effet est immédiat sur la communauté en état de transe et de transcendance avec le Créateur. Poussant la contestation à son paroxysme, un de ces “imams politisés” n'a pas hésité, dernièrement, à dénoncer la politique religieuse du ministère de tutelle, en déclarant publiquement lors du prêche du vendredi : “ils nous avaient demandé (ndlr : le ministère de tutelle) de ne pas faire de la politique et de nous en tenir à un discours purement religieux, et voilà maintenant qu'ils nous demandent de prononcer un prêche sur la Marche Verte. Mais, même cela relève aussi de la politique. Il faut que les responsables s'en tiennent à un discours et à un seul(...)”. Mosquées sur table d'écoute Les autorités officielles ont de plus en plus de mal à canaliser les ardeurs des prédicateurs politisés, surtout après l'escalade sanglante du conflit israélo-palestinien. En effet, les efforts du ministère des Habous et des affaires islamiques à vouloir mettre les “khottabas politisés” hors d'état de nuire n'ont pas été couronnés de succès. Déjà en 1991, le ministère de tutelle avait resserré l'étau sur les “prédicateurs rebelles” en les accusant de vouloir remettre en question le rite malékite, considéré comme l'incarnation de l'unité du royaume chérifien. Par ailleurs, le ministère de tutelle avait recommandé aux prédicateurs d'éviter les sujets de discorde entre les Musulmans, notamment les sujets à connotation politique. Autrement dit, éviter de se prononcer sur des sujets politiques qui divisent l'opinion publique. Mais, après les attentats du 11 septembre contre les Etats-Unis, le contrôle des mosquées avait pris une nouvelle tournure. Désormais, les autorités officielles se montrent intraitables avec tous les “dérapages” des “imams” dans les mosquées, notamment lors du prêche du vendredi. L'année dernière, lors d'une rencontre avec les prédicateurs des mosquées, le discours de l'ex-ministre des Habous et des affaires islamiques était sans appel : “à bas les discours protestataires des imams, les prêches du vendredi sont suivis par les ambassades étrangères au Maroc, particulièrement celle des Etats-Unis” avait affirmé le ministre. Et pour aller plus loin, les autorités officielles avaient lancé des campagnes de “ratissage” pour neutraliser toutes les activités “obscures” qui se jouent autour des mosquées, notamment celles relatives au commerce religieux contestataire (livres, tracts, fatwas, cassettes audio, bandes vidéo... etc.). Sans compter le quadrillage strict des mosquées par l'implantation d'antennes de renseignements. Ainsi sont identifiées et répertoriées toutes les personnes qui fréquentent les mosquées régulièrement, en particulier les réguliers de la prière d'“Al-fajr” ainsi que les adeptes des cercles des causeries en off à l'intérieur comme à l'extérieur des mosquées. Manifestement, cette stratégie sécuritaire, qui s'est avérée jusque là plus ou moins efficiente, vise deux objectifs principaux : d'une part, contrôler les “imams” de mosquées et, d'autre part, neutraliser, voire anticiper, les activités des groupuscules religieux contestataires. Il n'empêche que sur le terrain, beaucoup de mosquées demeurent, pour certaines sensibilités religieuses protestataires, les lieux privilégiés pour véhiculer leurs opinions politiques. Les “imams engagés” ne sont pas en reste, puisqu'ils n'ont pas hésité à renforcer le camp des “Anti”, en se prononçant contre le plan de l'intégration de la femme dans le développement, contre les frappes militaires en Afghanistan et, récemment, contre celles envisagées contre l'Irak. Conséquences “divines” Les mosquées sont devenues les lieux préférés pour influer sur les affaires politiques de la communauté. D'une part, il faut souligner que c'est à partir du “minbar” de la mosquée que les chefs religieux politisés sont en train de remettre en question le contrôle hégémonique du pouvoir central du champ religieux. Selon eux, les “Imams” sont totalement libres de dire ce qu'ils pensent. Car, en Islam, il n'y a guère de frontières entre le religieux et le politique. Et d'autre part, il faut rappeler que c'est grâce aux prêches du vendredi et aux causeries religieuses, “en off” dans les mosquées, que certains “prédicateurs engagés” ont réussi à semer la panique parmi la communauté juive du Maroc. Résultat, cette communauté qui compte près de 1.600 juifs, était acculée à annuler la célébration des fêtes, communions et mariages. Et on se demande s'il n'y a pas un lien de cause à effet entre les activités de ces “prédicateurs politisés” et la décision du gouvernement israélien de rapatrier près de 5.000 juifs résidant au Maroc et en Tunisie, dans les prochains mois. Du minbar au parlement En somme, la gestion des mosquées représente un enjeu stratégique majeur dans les politiques religieuses. Ainsi, si l'approche sécuritaire de la chose religieuse au Maroc tremble sous les coups de buttoir des partisans de l'Islam politique, les islamistes légalistes, quant à eux, semblent bel et bien partis pour faire des mosquées les lieux privilégiés pour influer sur les tendances politiques de la communauté. La mobilisation spectaculaire de la population par les militants du PJD (parti de la justice et du développement), lors des élections législatives du 27 septembre, en est une parfaite illustration. Et comme le hasard fait bien les choses, le jour J a coïncidé avec un vendredi ! Une raison de plus pour basculer en faveur de la mouvance islamique. Certains candidats progressistes ont observé amèrement les foules qui se dirigeaient vers l'isoloir, après avoir fait la prière du vendredi, avec un seul et unique objectif en tête : voter pour les “islamistes” ! Mieux, les islamistes modérés du PJD ne comptent pas en rester là, puisqu'ils ont déjà commencé leur campagne électorale pour les élections communales, prévues dans quelques mois. Encore une fois, les mosquées étaient appelées à la rescousse, surtout à l'occasion du mois de Ramadan. En fait, la fréquentation massive des mosquées, durant le mois sacré, représente une occasion en or pour influencer l'électorat. Un certain Merdass en sait quelque chose, puisqu'il en a déjà fait l'expérience. En effet, ce prédicateur, très écouté dans les banlieues de Casablanca, avait réussi à décrocher un siège au parlement, en basant sa campagne électorale sur la mosquée dont il était l'imam. Ce voyageur solitaire, actuellement Istiqlalien, s'est appuyé sur un corps de fidèles dévoués et non pas sur un clan de politiciens avisés pour monter son “deal politique” . Autant dire que le fait de passer du minbar de la mosquée à la tribune du parlement ne tient vraisemblablement pas au miracle, mais plutôt à un exercice de calculs politiques auquel les chefs religieux semblent se prêter habilement.