En dépit des prévisions officielles qui placent l'année 2008 sous le signe de l'optimisme sur tous les plans, la baisse du pouvoir d'achat de la majorité des Algériens se confirme au fil des jours. Ce qui rendra la situation de plus en plus complexe. Lors des réunions restreintes qui remplacent désormais les Conseils de gouvernement, le président Abdel Aziz Bouteflika, demande aux ministres concernés de lui donner les statistiques émanant des institutions financières internationales et non des organismes officiels algériens. Ce, notamment, lorsqu'il s'agit des taux de l'inflation et du chômage, le prix des loyers pour la classe moyenne en régression, et, surtout du pouvoir d'achat des citoyens. «Le plus difficile pour un chef d'Etat, c'est d'être loin des réalités sociales». Bouteflika, qui est devenu moins coléreux depuis sa maladie, aurait demandé aux ministres qui s'occupent du social et des finances de ne plus monter sur leurs grands chevaux chaque fois qu'ils présentaient les bilans annuels. «C'est honteux de répéter que nos réserves ont atteint 110 milliards de $ en 2007 ou que notre dette interne a diminué de 730 milliards de dinars alors qu'ils n'arrivent pas à répondre aux besoins de leurs familles». Personne ne croit plus aux promesses dans un pays où l'économie demeure suspendue au cours du baril du pétrole ; d'autant que le budget de l'année en cours a été calculé sur la base de 19 $ le prix de baril. En tout état de cause, force est de reconnaître que les investissements dans le social ont plus que doublé dans l'intervalle de trois ans. Plus particulièrement, dans les domaines du logement et des infrastructures. Mais, malheureusement, on ne voit pas nettement les retombées sur le niveau de vie des Algériens qui stagne pour ne pas dire se dégrade, selon le point de vue de l'ancien Premier ministre, et ancien expert de la Banque mondiale, Ahmed Benbitour, qui, dans chaque colloque où il intervient, rappelle les incohérences de l'Economie algérienne et attire l'attention sur le fait que richesse ne rime pas avec croissance. En effet, malgré les revenus qui ont tendance à la hausse, la croissance économique, qui était de 3,4% en 2007, ne dépassera guère les 4% en 2008, même si le prix du baril se situera dans une fourchette de 90 à 100 $. Idem pour les prévisions concernant l'exercice 2009. Ce qui veut dire, d'après les économistes, que le taux de croissance reste faible. Ce, alors que les voisins, le Maroc et la Tunisie, fortement handicapés par les factures énergétiques réalisent des taux supérieurs, d'un peu moins de 3 points pour cette dernière. Néanmoins, ce qui inquiète le plus le président algérien et les autorités les plus concernées par le volet social, c'est l'érosion graduelle du pouvoir d'achat. Ce facteur qui accentuera la pauvreté, et poussera la population à la «rébellion civile» . Ce que les services de sécurité craignent le plus dans une conjoncture très délicate dans ce domaine. Les récentes manifestations estudiantines qui seront suivies par des grèves dans les secteurs les plus sensibles, ne font que déstabiliser encore plus le pouvoir. Ce dernier, qui n'arrive pas à expliquer le paradoxe frappant quand on sait que plus de 150 milliards de $ sont injectés dans l'économie algérienne, supportés entièrement par le Trésor public, sans pour autant voir les améliorations au niveau du pouvoir d'achat. Erosion du pouvoir d'achat Dans toutes les réunions où sont discutées les stratégies de développement, les experts locaux s'accordent à appeler à l'amélioration du climat de l'investissement, la création d'entreprises, et surtout «œuvrer pour l'émergence des champions nationaux dans tous les secteurs à l'instar du Maroc». Un défi qui est aujourd'hui en tête des ordres du jour des différentes institutions algériennes. Au point que certains de ces experts ont conseillé de placer ce point au cœur du Programme complémentaire de soutien à la croissance (PCSC). Les grands chantiers lancés, qui peuvent connaître des issues positives avant la fin de l'année 2008 doivent, en principe, participer à freiner l'érosion actuelle du pouvoir d'achat. Mais, ce n'est malheureusement pas le cas. A titre illustratif, les prix du blé ont connu une augmentation de 90%, 80% pour la soja et 20% pour le riz. Ces hausses des produits de première nécessité alors que les salaires ne suivent pas pourraient engendrer des tensions sociales qui peuvent mener à l'explosion. Dans ce contexte, les analystes politiques estiment que cette situation où le pouvoir d'achat régresse davantage ouvre l'échéance présidentielle de 2009 à toutes les éventualités. D'autant qu'elle se jouera en 2008. C'est pour cette raison que l'armée algérienne n'a pas réagi aux initiatives du FLN et des partis politiques, alliés à la présidence. Elle mise apparemment sur les mouvements sociaux qui déstabiliseront aussi bien le gouvernement et affaiblissent les positions de Bouteflika dans sa course pour le 3ème mandat. Ce dernier, est parfaitement conscient des faits et tente d'agir en conséquence. Ce qui explique ses craintes et ses inquiétudes soulevées lors des conseils restreints du gouvernement. La «froideur» avec laquelle réagit la grande muette face à toutes les menaces, sécuritaire et sociale, en premier, auxquelles est confronté actuellement le pouvoir, ne peuvent qu'intriguer le chef de l'Etat. Surtout lorsqu'on sait que les syndicats demeurent parmi les instruments efficaces qu'utilisent l'armée. Les prochaines grèves annoncées qui seront nécessairement accompagnées ou suivies par des manifestations de rue, ne pourraient qu'affaiblir le gouvernement et, par, là le président de la République. Ce qui diminuera sans doute ses chances d'être réélu pour un troisième mandat. Ce qui est surprenant, d'après les observateurs, c'est que l'armée ne semble pas craindre les tensions sociales au moment où le pouvoir politique a peur. L'année 2008 est cruciale. Chaque aile du pouvoir tentera de renforcer ses positions tout en prenant en compte le volet social. La bataille du pouvoir d'achat est désormais au cœur des préoccupations où chacun jouera selon ses intérêts. Dans cette foulée, l'armée attendra tout le monde au tournant. Elle profitera des moindres erreurs commises dans ce domaine pour les utiliser le moment venu. Une course contre la montre est déjà déclenchée sur fond du pouvoir d'achat. Si le gouvernement et le président de la République n'arrivent pas, dans les prochains mois, à marquer des points en faisant reculer l'érosion, leurs chances de gagner le 3ème mandat seront réduites.