Les élections législatives du 7 septembre dernier ont mis à jour un dur constat. Les partis de la gauche marocaine avaient négocié l'échéance du 7 septembre en rang dispersé. La balkanisation au sein de la même famille est elle la seule cause de la régression ? Une question qui demeure toujours sans réponse. L'idée de créer un grand pôle de gauche, avait germé depuis le début du processus d'unification de la gauche radicale à la fin des années 90. Ce voeu pieux tarde toujours à se concrétiser. Présente au début chez les composantes radicales de la gauche, comme le Mouvement pour la Démocratie, les Démocrates indépendants, les sensibilités de gauche et l'OADP (Organisation de l'action démocratique et populaire), l'unification de la gauche a touché actuellement tous les partis, USFP, PPS et FFD. De plus en plus de voix s'élèvent à l'intérieur de l'USFP pour relancer cette idée. La création du GSU (Gauche Socialiste Unifiée) a été une étape importante pour la concrétisation de ce rêve. En 2005, l'association fidélité à la démocratie, qui regroupait une partie des contestataires du 6ème congres de l'USFP, fusionne avec le GSU et devient le PSU (Parti Socialiste Unifié). Une fusion qui a commencé avec des divergences internes au sein du GSU. Deux composantes à l'époque, Action démocratique dirigée par Ahmed Hezenni et Liberté de l'initiative, dirigée par Ahmed Zaidi, chef de file de l'ex Mouvement pour la Démocratie, avaient contesté cette opération de fusion avec les camarades de Mohamed Sassi. Les deux courants du GSU, étaient contre le changement d'appellation du parti du GSU au PSU. Ils avançaient à l'époque que le PSU n'avait rien à voir avec la GSU. Depuis 2005, les choses ont beaucoup changé. La malédiction qui frappe la gauche, touche encore une fois le CNI (Conseil National Ittihadi), issu d'une scission de l'USFP en 2001, dirigé à l'époque par Abdelmjid Bouzoubaâ et qui avait comme bras armé la CDT et Noubir Amaoui. Le 6ème congrès du CNI à Bouznika en 2006, se solde par un conflit entre le courant syndical, dirigé par la CDT et Amaoui et le courant politique de Rabat dirigé par Abdelmjid Bouzoubaa et Ali Lotfi, ex-secrétaire général du syndicat national de la santé. Après quelques mois de tergiversation, les amis de Bouzoubaâ créent à Rabat le Parti socialiste. En même temps Abdelkrim Benatiq, crée la même année le Parti Travailliste. Ex-secrétaire d'Etat au PME-PMI, sous le gouvernement Youssoufi, ce dernier veut redonner une nouvelle image de l'action partisane en ciblant les jeunes, les femmes et les cadres. Il aspirait à leur offrir une organisation qui instaure une coupure avec l'image figée des partis traditionnels où le zaim est le père de tous les militants. Un voeu pieux qui ne tarde pas à se briser sur la dure réalité marocaine. Lors des élections du 7 septembre 2007, le parti réussit à avoir 5 sièges au Parlement, mais Benatiq ne réussit pas à avoir un siège de député à Rabat-Youssoufia. Il y a quelques semaines, plusieurs membres du Bureau politique et du Conseil national avaient démissionné du parti. Ils avancent leur désaccord sur le mode de gestion du parti. Selon une source bien informée, l'origine du litige tourne autour de l'argent de l'Etat octroyé au parti. Le fait nouveau, après la constitution du gouvernement El Fassi, est que des voix à l'intérieur de l'USFP, commençaient à appeler ouvertement à l'unification de la gauche. L'idée du grand parti socialiste refait surface encore une fois. Mais cette fois-ci à l'intérieur d'un parti qui a longtemps ignoré cet appel. L'USFP considérait toujours qu'il ne peut être que le noyau dure d'un pôle de gauche. Une chose que refusait le PSU, qui préconisait l'option de l'institutionnalisation des courants politiques. Durant le deuxième congrès du PSU en 2007, 5 plates formes et un courant légal avaient défendu leur idée. Finalement, c'est le courant majoritaire qui a eu gain de cause par les urnes. Les plates formes qui avaient recueilli plus de 5 % des voix avaient eu droit de s'organiser comme courant légal au sein du PSU. Union non sacrée Quelques mois avant la campagne électorale de septembre 2007, trois partis de la gauche radicale, le Parti socialiste Unifié (PSU), le Parti de l'avant-garde Socialiste et Démocratique (PADS) et le Conseil National Ittihadi (CNI), avaient annoncé à Casablanca, la création d'une union, conformément à la loi des partis politiques. Ils avaient annoncé leur intention de soumettre des listes communes pour les élections du 7 septembre. L'idée a émergé lors de la bataille menée dans le cadre de la coalition contre l'exclusion électorale la même année. Mais l'union n'est pas la fusion. Chaque parti conserve ses structures et ses instances dirigeantes. Au contraire de la fusion où les partis disparaissent automatiquement après l'opération de fusion. Ce fût le cas du Mouvement National Populaire et de l'Union Démocratique qui avaient fusionné lors du 10ème congrès, le 30 mars 2006. Dans l'union des partis, la loi autorise chaque parti membre de l'union à présenter des candidats individuels dans 25% des circonscriptions électorales. A l'époque, l'initiative aspirait à construire un grand parti de gauche, qui pourra être dans le futur le grand pôle socialiste. L'ouverture sur d'autres composantes de la gauche n'était pas exclue dans le futur, mais pour les élections de 2007, le PSU, le CNI et le PADS avaient déjà pris la décision de la candidature commune. Le Parti Socialiste d'Abdelmjid Bouzoubaâ a été exclu de l'union, tout comme le Parti Travailliste de Benatiq. Une drôle de décision car ces partis allaient grignoter quelques voix au pôle de gauche. Pour le Parti Socialiste, c'est un veto de Noubir Amaoui qui avait exclu le PS de l'union. Quant à Benatiq, il n'avait pas formulé le souhait de rejoindre celle-ci. L'individualisme est aussi une maladie de la gauche. La suite on la connaît, les résultats de toutes ces composantes de la gauche ont été décevants. 5 siéges pour l'union du PSU, PADS et CNI, 2 sièges pour le PS et 5 sièges pour le Parti Travailliste. Pendant la campagne électorale, Mohamed Sassi et Ahmed Benjelloun s'étaient affrontés dans la même circonscription de Rabat Océan. Finalement, ni l'un ni l'autre n'avaient réussi à gagner. Abdelfatah Zahrache vient d'être remercié du PADS, le parti de Benjelloun. Il l'accuse d'avoir poussé ce dernier à être candidat. Juste après l'ouverture de la législature, un député du PSU, Hicham Atlassi, avait rejoint le Parti de l'Istiqlal. Les deux députés du PS avaient rejoint l'USFP. Selon une source proche du PS, les deux députés n'ont pas été expulsés du parti comme c'était le cas, avant, dans une situation pareille. Le PS considère qu'ils avaient rejoint un parti de la même famille, même si le courant ne passe pas encore entre l'USFP et le PS. Les deux députés PS pourraient devenir une tête de pont pour un dialogue futur. Mais la grande famille de la gauche au Maroc, n'est pas prête pour l'entente cordiale. Un dossier brûlant risque de tout faire capoter. Le président de la Mutuelle générale des fonctionnaires, Mohamed Faragh, est accusé par les administrateurs et les délégués du personnel, de malversation et de détournement de fonds. Pire encore, des militants du PSU avaient appelé ouvertement le parti à prendre une position à ce sujet après que Mohamed Faragh ait pris la parole au Parlement au nom de la coalition du PSU, CNI et PADS. Plusieurs pétitions et sit-in avaient été organisés contre le président de la mutuelle qui est cadre dirigeant de la CDT et du CNI. Les contestataires ont réussi à porter le litige concernant les élections des délégués du personnel à la Mutuelle devant un tribunal de Rabat, le mois de février courant. Concernant le dossier des malversations, le feuilleton continue toujours. Généalogie du PSU Des courants et un seul parti Le PSU est le seul parti à avoir institutionnalisé les courants. Né le 23 décembre 2005 d'une fusion entre «Fidélité à la Démocratie », elle-même issue d'une scission avec l'USFP, et de l'ex-GSU (Gauche Socialiste Unifiée). Il existait, avant le deuxième congrès, deux courants au sein du PSU : Action démocratique de Kamal Lahbib et Liberté de l'Initiative de Omar Zaïdi, chef de file d'une tendance dans l'ex-GSU, le mouvement pour la Démocratie en l'occurrence. L'ex-Gauche Socialiste Unifiée, était elle-même issue de la fusion entre l'OADP (Organisation de l'Action Démocratique et Populaire, formation fondée par Mohamed Bensaïd Aït Idder) avec trois autres groupuscules de la gauche radicale : les Démocrates Indépendants, le Mouvement pour la Démocratie et les sensibilités de gauche. Six plate-formes ont été présentées lors du deuxième congrès de février 2007 : Action démocratique; Point de vue pour la Redressement et la Démocratie ; la Construction de la Transition Démocratique ; la Révolution Silencieuse la ligne pour l'Action Démocratique Radicale. Chaque plate-forme devait avoir plus de 3% des voix du congrès pour être représentée au Conseil national qui comprend 171 membres. Celle qui obtient plus de 5% des voix peut être considérée comme un courant légal. Lors du vote, au cours du dernier congrès, c'est la plate-forme de l'actuelle majorité du bureau politique qui a eu la première place 71,86%, suivie de l'Action démocratique qui a eu 13,1%, suivie de la ligne pour l'Action démocratique radicale avec 8,41%. La Révolution silencieuse a eu 4,65% et enfin, Point de vue pour le redressement et la démocratie a eu 1,93% des voix. 3questions à Abdelkader Azria, Président du Mouvement des initiatives démocratiques «Toute initiative de rassemblement sans un projet de société ne serait qu'une opération de regroupement» La Gazette du Maroc : Après les élections du 7 septembre 2007, l'idée de rassemblement au sein d'un grand Pole de gauche a encore une fois refait surface. Quelles sont les vraies motivations de cette initiative ? Abdelkader Azria : Je pense que l'idée de rassembler la gauche est stratégique, mais le mouvement qui appelle à la création d'un grand pôle de gauche reste toujours à un stade embryonnaire. Cette initiative nécessite d'abord de poser les bases d'une évaluation objective de la situation actuelle pour dépasser les rancœurs entre les composantes et arriver à renouveler le projet de la gauche dans toutes ces dimensions : sociales, culturelles et économiques. Ce genre de conscience qui va vers le but et dépasse les contradictions du passé pourra en adoptant une autocritique de l'expérience du passé proposer une vision pour la réunification de la gauche. La gauche gouvernementale est appelée pour sa part à faire une évaluation de sa participation au gouvernement. Pour la gauche qui était dans l'opposition, elle est appelée à revoir ses positions qui sont restées figées sur la question constitutionnelle. Elle même n'a pas pu maintenir le lien qui reliait la gauche et les masses populaires. Vous ne voyez pas que la négociation des élections en rang dispersé au sein de la gauche est une perte d'énergie et de potentialité. Cela ne favorise t-il pas la balkanisation de la gauche ? Il est certain que la balkanisation nous mène vers la perte. Cela est très visible lors des élections et des mouvements sociaux sur le front syndical. Toutes les composantes de la gauche sont appelées à réunir leur effort pour pouvoir jouer un rôle dans l'échiquier politique. La force de négociation de la gauche en matière de poids social et politique est fragilisée par cette fragmentation des composantes, qui aura tout à gagner en se rassemblant. Toute initiative de rassemblement sans un projet de société, ne serait qu'une opération de regroupement. Ce qui est primordiale, c'est le projet de société. Quels sont les handicaps qui bloquent la création du grand pôle de gauche. L'USFP avait toujours annoncé qu'il est le noyau du grand parti de gauche. Ce n'est pas un handicap aussi ? L'idée du grand Parti Socialiste n'est pas la chasse gardée de l'USFP. L'idée est présente chez les autres composantes. C'est la motivation qui a créé la gauche socialiste unifiée et le PSU. Je pense que le grand Parti Socialiste sera grand par son projet, son assise populaire et non pas par le nombre de ses composantes. On a actuellement une expérience, la fusion du PSD (Parti Socialiste Démocratique) avec l'USFP, la fusion des mouvements de la gauche radicale au sein du PSU. Toutes ces opérations n'ont pas donné les résultats tant attendus, car ces fusions ont été des opérations qui ne répondaient pas aux défis qu'impose la réalité politique du pays. La question sociale avec toutes ces complications était absente dans ces projets, sans parler des mutations qui ont touché la structure sociale, surtout la classe moyenne qui était celle qui adoptait l'idéal de la gauche au Maroc. Le projet de l'UNFP s'est basé sur une vision sociale, l'USFP sur le rapport idéologique, le projet de l'OADP s'est basé sur le document de la légalité. Toutes les fusions qui ont été faites ces dernières années étaient quantitatives et non qualitatives. Elles n'avaient proposé aucune vision nouvelle au sujet de la relation de l'Etat avec les partis politiques et les partis avec la société...