La Jamaâ de Abdesslam Yassine vient de rendre publique une lettre, encore une, pour unir les forces vives du pays et sauver les meubles. On y trouve certes un peu de la vulgate islamo-mystique de la Jamaâ, il n'en opte pas moins pour une approche beaucoup plus politique que précédemment. Un réveil, après des visions farfelues ? À voir… Le dernier Conseil de la Jamaâ Al Adl Walihsan vient de marquer un tournant historique. En dépit de l'allocution inaugurale du gourou de la Jamaâ, Cheikh Abdeslam Yassine, au ton belliciste à peine voilé, les termes de la lettre adressée par le Conseil national, tenu les 8 et 9 décembre dernier a opté pour une approche plutôt politique. Trempés dans le lexique mystique, les propos des annales adlis sont d'habitude aussi sibyllins qu'irrévérencieux. Première remarque concernant la lettre, est qu'elle parle un langage courant, proprement politique, sans se référer, du moins pas trop à ce registre qui a toujours marqué ses interventions publiques. Micro-analyse «Tous pour sauver le pays» est d'abord un manifeste politique. Il est notable effectivement de remarquer que cet appel, dans la pure tradition du prosélytisme de la Jamaâ, commence par une analyse, qui ne manque pas d'acuité soit dit en passant, des élections du 7 septembre dernier. Sans concessions certes, mais la lettre est aussi une analyse qui se tient sur un socle politique. Elle fait état du taux d'abstention, dont il fait à l'instar de toutes les composantes politiques le point d'achoppement de son analyse, en tirant les conclusions qui s'imposent. La lettre en profite ensuite pour adresser quelques messages à l'exemple de ce qui suit : «ce qui nourrit l'espoir en des lendemains meilleurs, l'acte de révision fait par de nombreux acteurs politiques, pourtant adeptes de la participation et membres du paysage politique». On croit déceler un clin d'œil à l'égard de l'USFP et du PJD qui ont été très critiques vis-à-vis des résultats des élections et les développements d'après. Autre registre, autre terminologie. Pour révision, il faut dire que la Jamaâ en fait une de taille. Fini le jargon guerrier à l'égard de la monarchie. Place est donc faite pour une critique qui puise ses termes dans l'usuel : le makhzen. Optimisme Une notion, comme chacun le sait qui fait référence aux liens bio- administratifs et aux réseaux tissés aux alentours de l'Etat et, parfois à son cœur. Une différence de taille qui n'a pas échappé à un chroniqueur du journal Attajjdid, l'organe officieux du PJD. Ce dernier en fera sûrement miel auprès de ses bases qui commençaient à lui reprocher un participationnisme jugé très douteux. Aussi, en positivant, l'organe du PJD laisse entrevoir une possibilité de rapprochement qui a fait défaut au parti ces derniers temps. Fait marquant : la lettre fait siennes les doléances et revendications des entreprises et des forces économiques qui se sentent lésées de par une concurrence déloyale et un état des lieux étouffant l'entreprise locale. C'est une première qui laisse entrevoir un flirt avec les entrepreneurs qui en dit long sur la nouvelle stratégie de la Jamaâ. Il n'est plus question, désormais de se mettre tout le monde de la modernité sur le dos, mais la nouvelle tactique cherche des alliances au sein du patronat. Sinon, devenir son porte-parole ! Le nihilisme et autre populisme offensifs, ne sont pas aussi hégémoniques qu'auparavant. On note surtout, une reconnaissance de certain acquis : «on est loin de se complaire dans l'esquisse de sombres tableaux. On reconnaît, au contraire, ces espaces blancs et ces chantiers très importants qui se font». Pour une association qui a toujours fait de la rhétorique révolutionnaire, un choix et une raison d'être, reconnaître à l'Etat des acquis et des chantiers ne relève pas que d'une certaine lucidité. C'est aussi une petite auto-critique que croit savoir ce spécialiste de l'islam politique a l'allure d'une concession faite pour faire aboutir l'appel à une charte «nationale pour la sauvegarde du pays». On ne peut dialoguer avec les autres, sans pour autant chercher à faire un petit pas envers les autres parties. D'autant plus que cette lettre survient, moins d'une année après les oracles catastrophiques de la Jamaâ, via les fameuses visions 2006. Le réveil a été dur, sans doute, et contrairement à l'adage, c'est plutôt le matin qui porte conseil au Cheikh!