L'histoire de Frank Lucas, inspirée d'une histoire vraie d'un petit noir de Harlem qui devient l'un des parrains les plus énigmatiques de l'histoire des USA. Grandeur et chute d'un homme qui n'est ni bon, ni mauvais, dont les notions du bien et du mal sont très personnelles et qui est loin d'être un voleur, mais un simple humain qui lutte, comme dirait un ami ! Un film bien dosé, techniquement impeccable avec un Denzel Washington magistrale de sobriété. Une lecture d'une époque avec, en filigrane, un point de vue assez perspicace sur des notions comme l'honneur, le Bien, le Mal, la rédemption. À la guerre comme à la guerre. Un homme vaut pour le nombre d'erreurs qu'il n'évite pas. Il vaut aussi par la qualité de ce qu'il mène comme chemin, ce qu'il essaime en cours de route, mais certainement pas par ses amis, comme il est dit, à un moment, subrepticement, dans le film. Frank Lucas (Denzel Washington), chauffeur d'un parrain noir de Harlem, décide de prendre les affaires en main, de n'être le serviteur d'aucun patron, se met à son compte, va chercher l'héroïne à la source en éliminant au passage les intermédiaires, fait de la Thaïlande son terrain de jeu, lève le voile sur l'implication de l'armée américaine, alors en guerre perdue au Vietnam, dans l'acheminement des drogues aux USA. Il finit aussi par accepter de graisser la patte à la flicaille pourrie de New York, pour qui les années 70 ont été l'apogée du crime, du racket et des règlements de compte de territoires. En somme quand on regarde bien ce film, on est frappé par deux approches. Le film du genre que l'on déconstruit en offrant une vision nouvelle d'un univers aussi clos que celui du milieu du crime organisé. Et une chronique de la vie d'un homme et de son double. Noir et blanc, ni noir ni blanc. Mais deux êtres, deux entités, deux versions de la même volonté de vivre et de se dépasser. Etre quelqu'un, ne pas sombrer, ne pas devenir un modèle parmi une production en série. Au-delà du bien et du mal Cela peut paraître primaire, rudimentaire, manichéen à souhait, mais le flic non-corrompu est blanc (Russel Crowe, égal à lui-même) et le gangster est noir (Denzel Washington). Ridley Scott (comme dans Gladiator, Kingdom of Heaven ou même Black Hawk Down) force les traits du bon et du méchant. Une attitude bien commerciale, mais elle n'égratigne pas le film. En aucune façon, pas plus que son côté sainte Amérique qui se fait racheter par une morale douteuse, dans un final grandiose. Ridley Scott semble avoir appris que le noir et le blanc ne sont pas des couleurs, mais des attributs. En somme sans faire un film culte, ni toucher à la grâce des classiques comme The Godfather, Scarface, ni Goodfellas, Ridley Scott fait un film impeccable. Stricte mise en scène, montage d'époque, reconstitution efficace, musique allant jusqu'à reprendre un standard de la Blackexploitation, «meurtre à la 110ème rue» de Bobby Womack (déjà utilisé brillamment par Quentin Tarantino dans Jackie Brown). Ce qui touche, au-delà des faits, c'est le rapport de l'homme à lui-même. Les multiples face à face, les reflets dans les miroirs imaginaires qui nous fixent, nous servent de lanterne, d'indicateur, de sismographe. Frank Lucas est un gangster, une sangsue, un vampire, un tueur par procuration qui inonde le marché de Bleu Magic, sans états d'âme. Mais il est avant tout un homme qui fait bien son travail. Perspicace, intelligent, méticuleux, mais pas froid, pas métallique. Il a un cœur aussi luisant qu'un diamant. Son double, c'est le blanc, qui perd tout parce qu'il refuse de se salir les mains, mais qui finit par se les salir. De quel côté est l'honneur??? Chez les deux, mais le Black finit par démontrer qu'il est comme un sou neuf, même quand il donne tout le monde pour sauver sa peau. C'est humain. Trop humain. Et c'est là le point fort de cet opus, très à part dans la filmographie d'un Ridley Scott, très porté sur les dualités. Tout défile dans ce film, avec beaucoup de sobriété et sans trop en faire. Pour une fois, Ridley Scott, ne veut pas jeter de la poudre aux yeux. Et cela prend. Il lui manque une bonne structure narrative pour élever son film au rang de pièce d'art, mais il signe une bonne lecture d'un certain visage d'une certaine Amérique, à une certaine époque. Les rôles s'inversent Les années 70, Harlem, l'empire de la drogue, sur fond de guerre finissante, flics ripoux (avec un excellent Josh Brolin). À la fin, quand Frank Lucas tombe, à la sortie d'une église (Francis Ford Coppola avait déjà excellé dans une mise en scène parallèle d'anthologie), le méchant devient bon, et même policier puisqu'il aide son double à mettre les pièces du puzzle l'une à côté de l'autre. Cette inversion de rôles est capitale dans un final sublime. Les frontières du bien et du mal sont balayées ; Il y a des hommes qui luttent, qui sauvent leurs peaux, comme le flic qui met son costume bleu étriqué pour aller voir son fils qu'il a abandonné à sa femme dans une autre scène majeure de ce film où les époux sont les juges, les avocats, les jurés et la parodie de la justice. Au-delà de cette lecture primale, il y a le destin de deux hommes qui sont les mêmes au fond, le pile et le face de la même pièce qu'il nous reste à définir. Elle n'a pas de couleur, pas d'odeur, elle est juste la volonté de chacun de survivre, de se faire une place dans une réelle et implacable guerre de territoires. Et quand Denzel Washington sort de prison après 15 ans à l'ombre, il est presque lui-même. Il va découvrir un monde qui a changé, il peut être perdu dans une nouvelle jungle, mais il aura été parfait dans son ascension, sa quête du pouvoir, sa chute, ses ratages, sa détermination, sa folie, son arrogance, ses petitesses et sa grandeur d'âme. Bref pour le dire comme Henry Miller, on finit en soulignant que quand on est en règle avec soi-même, peu importe le drapeau qui flotte sur votre tête. American Gangster Réalisé par Ridley Scott, Avec Denzel Washington, Russel Crowe, Chiwetel Ejiofor, Josh Brolin, Lymari Nadal, Ted Levine, Roger Guenveur Smith, John Hawkes, RZA, Yul Vazquez, Malcolm Goodwin, ... Actuellement en salles au Maroc.