Le démocrate et le blanquiste Un livre extrêmement documenté retrace l'histoire du mouvement ittihadi à travers le parcours des deux hommes. Moussaoui El Ajlaoui est un universitaire. Après des années de labeur, il vient de publier un livre qui fera date. De l'UNFP à l'USFP (1959-1983). C'est un travail d'académicien pas celui d'un polémiste. L'auteur a eu accès à toutes les archives disponibles, et en particulier, à celles de feu Abderrahim Bouabid. Le récit en devient une quasi-monographie. Le livre retrace toutes les étapes du mouvement ittihadi, en faisant à chaque fois étalage des positions de deux hommes clés, Abderrahim Bouabid et le Fkih Basri. Le choix n'est pas fortuit, les deux hommes symbolisent deux courants de pensée bien distincts, qui ne vont rompre définitivement qu'en 1972. Rupture dont le régime ne tiendra pas compte en 1973 après les événements de mars, mais qui sera publiquement consommée par le congrès extraordinaire de 1975. Moussaoui El Ajlaoui revient longuement sur les tiraillements de 1963 et la participation ou non aux élections législatives. Dès cette date, les choix de Bouabid sont clairs : un changement par et pour la démocratie, sans faiblir ni avoir la moindre illusion sur le régime de Hassan II. Le Fkih qui a gardé des réseaux en parallèle avec les structures de l'UNFP prépare son complot. Après avoir choisi l'exil, Basri, Youssoufi et bien d'autres continuent à entretenir le mélange. Au sein du parti, une organisation parallèle existe et de tous temps. C'est ce mélange des genres qui servira d'alibi à la répression sauvage des militants ittihadis jusqu'au procès de 1969, où plusieurs cadres et non des moindres, seront traînés dans les geôles de Hassan II. A leur sortie de prison, sous la férule de deux “dynamos”, Mohamed Elyazghi et Omar Benjelloun, une profonde réflexion est entamée. Elle vise à libérer le parti du poids des syndicalistes de l'UMT, l'union de 1967 ayant été un pur facteur de blocage. Mais surtout cette réflexion veut en finir avec la duplicité organisationnelle et opter pour un choix clair. C'est en janvier 1971 que cette stratégie est déclinée dans un bulletin intérieur de la section de Rabat. A partir de cette date, Bouabid, Elyazghi et Benjelloun restructurent le parti avec deux lignes de démarcation : contre Benseddik et ses blocages et le Fkih et ses complots. Ce travail de titan, dans des conditions de répression, de lassitude, sur le plan interne et de turbulences mondiales, aboutit à la scission du 30 juillet 1972. Quelques mois après, à Fès, et sans doute pour éviter tout amalgame, les prémices d'un nouveau coup du Fkih étant en l'air, le comité central à Fès rejette toute direction à l'extérieur. Les événements de Dar Bouazza seront utilisés par le régime pour tenter de redétruire le parti. Lors du procès, Bouabid en tant qu'avocat, explique que “si des militants ou des dirigeants du parti ont comploté, et je n'en sais rien, c'est à titre individuel et cela n'engage en rien le parti qui est attaché à la démocratie”. Mais il refuse de dénoncer ceux qui ont opté pour la violence parce qu'il n'y a pas de démocratie. Omar Benjelloun, lui, traite Fkih Basri d'usurpateur. D'accusé, il se transforme en accusateur et plaide devant la cour la complicité objective entre la répression et le blanquisme. C'est un moment clé dans l'histoire du parti. Sortis de prison, les dirigeants préparent le congrès de janvier 1975 et la naissance officielle de l'USFP. Mais la capacité de nuisance du Fkih demeure et Moussaoui El Ajlaoui raconte, documents à l'appui, le combat d'arrière-garde des réseaux de Basri. Un livre passionnant, utile, nécessaire pour la compréhension d'événements qui n'ont pas fini de livrer leurs secrets.