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POINT DE VUE : Du socialisme périphérique
Publié dans La Gazette du Maroc le 31 - 07 - 2007

Le socialisme qui est « déjà une longue histoire» continue d'exprimer l'espoir des opprimés en des lendemains roses et enchanteurs. Son avènement fit la rupture avec l'imposture. Pour s'imposer, il dût lutter contre l'asservissement et l'exploitation, la déviation et la réaction. Il s'opposa à l'aliénation de l'Homme pour en faire la mesure de toutes choses. Défenseur des droits et libertés, le socialisme est, par essence, démocratie.
En forgeant et imprimant le concept «socialisme» en 1834, Pierre Leroux, penseur et typographe de son état, le définissait comme «la doctrine qui ne sacrifiera aucun des termes de la formule Liberté - Egalité - Fraternité.» Cet auteur ne s'attendait pas à ce que son néologisme connaisse de par le monde un grand destin jalonné de péripéties, d'heurts et de malheurs.
À titre hâtivement illustratif, les réformes historiques du Front populaire de 1936 en France furent précédées en 1914 de l'assassinat de Jean Jaurès.
Au Maroc, l'expérience originale du gouvernement d'alternance consensuelle dirigé par Abderrahmane Youssoufi et qui mit sur les rails en 1998 un long train de réformes, fût précédée par des violations flagrantes des Droits de l'Homme : l'assassinat de Omar Benjelloun en 1975, l'enlèvement en 1965 de Mehdi Benbarka, la tentative de liquidation de Mohamed El Yazghi en 1973, outre les souffrances de Abderrahim Bouabid, les grèves, les émeutes, les tentatives de soulèvements insurrectionnels et autres faits autrement dramatiques…
Les martyrs du socialisme démocratique marocain qui commémore ses quarante ans l'âge de la rose ! ont conquis une dimension quasi –mythologique.
Ces hommes d'une autre envergure que nous glorifions, n'eurent pas pour devise de perdurer à tout prix, l'essentiel est de bien vieillir.
Ils sacrifièrent leur vie et leur sang pur restera à jamais indélébile. C'étaient les hérauts et les protagonistes, les concepteurs et les bâtisseurs. Ils balisèrent la route aux successeurs qui se révélèrent novateurs .
Ces symboles, quoiqu'en disent les détracteurs, ne sauraient être déclassés. Ils ont fondé cette légitimité dont nous nous prévalons, que l'on nous envie et qu'il ne faudrait ni brader, ni liquider.
Ceux qui, pour justifier leur laxisme pérorent « qu'on ne fait pas de politique, ni de théorie critique avec les souvenirs de sa jeunesse « sèchent aux tests de Mémoire. Le moins amnésique, dans un sursaut de conscience dira : «Tu me fais souvenir que j'ai tout oublié.»
Oubliées en effet et livrées à leur sort les centaines de milliers de familles enlisées dans la misère, l'insécurité, la précarité et le chômage, cette autre fracture sociale.
Ce sinistre tableau ne nous empêche pourtant pas de gloser interminablement sur l'égalité et la solidarité loin, très loin des gourbis en dur ou en pisé.
Ceux qui naguère (le temps politique se mesurant en générations non en jours calendaires) payèrent leurs convictions de leur vie, n'étaient pas à court d'idées et exerçaient leur efficience sur la société. Ils n'étaient pas non plus utopiques comme certains le prétendaient, ils croyaient aussi en la logique des urnes.
à Yacoub El Mansour, auparavant grand bidonville de Rabat, à l'image de Sidi Moumen de Casablanca, Mehdi Benbarka avait su supprimer toute distanciation avec les électeurs. À raison de cette proximité, il était l'antidote aux fatalités et travaillait en synergie avec les militants déterminés à dégager de l'ornière du sous -développement le pays qui allait en s'empêtrant.
Si les jeunes militants d'aujourd'hui, fougueux et ambitieux, s'inspiraient des exploits passés et s'efforçaient de les réitérer, toute peine ne serait pas perdue et la vision pessimiste ne serait qu'une prédiction empruntée.
Ceci dit, beaucoup reste à faire, à redéfinir et à construire malgré le chemin parcouru et les réalisations reconnues. En transcendant les conflits subjectifs, en rouvrant le Parti à ses militants, en ne jetant pas au rebut les militants blanchis sous le harnais, en s'ouvrant sur d'autres potentialités, en rajeunissant et en modernisant les structures, en disciplinant les ambitions personnelles et en comptant principalement sur nous-mêmes, nous sauvegarderons au socialisme son prestige moral et traduirons ses principes dans notre action quotidienne. Aussi de grâce, cessons de spéculer prématurément à partir de fauteuils douillets sur les chances d'une majorité et sur une hypothétique primature avant de nous préoccuper instamment du danger qui nous guette: ce gouffre qui se creuse et s'élargit entre les électeurs et les candidats de la modernité. Fidèles à nos idéaux, nous devons réagir envers et contre tous pour préserver le citoyen mal loti de la manipulation et de l'imposture. Ferveur incantatoire ! Diriez-vous. Non, cela s'appellerait tout bonnement penser en militants socialistes de la base non pas en carriéristes isolés de la masse.
Marginalisés, laissés en friche et transformés en secteurs de relégation, ces espaces populaires que nous avons désertés sont l'offrande faite aux fanatiques. Les extraire de leurs griffes suppose que les socialistes s'y implantent de manière effective.
C'est une suffisance qu'un Parti de masses et de large audience, s'érigeant en rempart contre l'extrémisme et la violence, prône le socialisme et la démocratie à distance de centaines de milliers d'exclus qui ceinturent les grandes villes et encerclent les usines. Etiquetés de «basse -extraction», ces citoyens constituaient des décennies durant notre support et confortaient notre légitimité. Plus on s'en éloigne, plus on se décrédibilise et se rétrécit.
Il est alors grand temps de réactiver les clauses de conscience avec ces vastes franges, à commencer par la mise en œuvre d'une politique réaliste d'accompagnement. Démarche d'autant plus urgente que nous proposons la rénovation du pays sur les idéaux universels du socialisme et de la démocratie, que nous épiloguons sans fin sur l'égalité des citoyens, l'humanisme et la solidarité. Nous ambitionnons de «fabriquer l'avenir», nous qui «arrivons de l'avenir» ! Et paradoxalement, nous oublions qu'il est essentiel d'impliquer le capital humain concerné et de considérer à leur juste valeur les femmes et les hommes capables d'y contribuer.
Les sceptiques qui déprécient le degré de conscience politique et patriotique des concitoyens périphériques se trompent. Dans ces zones assoiffées de dignité et d'épanouissement, le rêve socialiste qui cristallise les espérances est «l'aquarium de leurs longues nuits»: se doter d'une identité commune, désenclaver l'espace, faire cesser la décomposition culturelle, subvenir à ses besoins par le travail, se loger décemment, élire et se faire élire librement, assurer un avenir à ses enfants sans l'angoisse des pateras… Bref, passer de l'état de «non marocains» à l'état de citoyens conscients de leurs droits et obligations, dégagés enfin de l'étreinte étouffante de toutes les formes d'oppression.
Dans un premier temps et étant donné l'irréversibilité de notre engagement, nous devons commencer par relayer sans tarder leurs revendications pour les accompagner dans la transition, de l'ère de la déshérence à l'étape de l'espérance. Eux, ont spontanément déjà franchi la barrière de «la dialectique des poings» qui les assiégeait et souhaiteraient adhérer résolument à la dialectique des idées. Soucieux de transparence, ils dédaignent les actes hypocrites de contrition et abhorrent ceux des élus, épites locales ou nationales, supplétives des autorités ou agents de corruption.
À l'écoute permanente des démunis
À l'imposture des arrivistes et au dévoiement des valeurs, seule la mobilisation par le bas est capable de contrer la dérive et remettre au goût du jour l'implication de l'Homme.
Être social-démocrate dans l'air du temps, ce n'est certainement pas se borner à luire et reluire auprès de la technostructure ou montrer patte blanche aux nantis inquiets, c'est aussi se recentrer dans les quartiers sensibles et défavorisés, surtout lorsque nous en sommes les élus. Un «karyaniste» socialiste à l'écoute permanente des démunis est plus avenant qu'un carriériste absentéiste. Du reste, à l'échéance, les voix des laissés pour compte auront droit au décompte.
Face à ce vide que la politique a naturellement en horreur, les autorités locales se démènent et procèdent au colmatage. Ce faisant, ils impulsent l'activité associative et propulsent ses acteurs. Sous leur tutelle, des associations s'essayent à l'encadrement de la population. Des résultats peu tangibles apparaissent par-ci, par-là mais une hirondelle ne fait pas le printemps. À elles seules et quelles que soient la volonté et la qualité des dirigeants, les associations n'édifieront pas la Démocratie. Cette tâche complexe et ardue incombe prioritairement aux Partis. Cependant à y aller franco, osons enfin reconnaître que nous avions failli à la mission d'encadrement en laissant ces îlots de pauvreté à l'abandon. À présent, réinvestir ces espaces nécessiterait une mobilisation de tout instant et une vigilance sans relâche. À cette fin, la conscience militante nous impose un préalable incontournable : attirer vivement l'attention sur les entraves susceptibles d'être rencontrées et les dérives qui en résulteraient, de telle sorte qu'à l'avenir nous pourrions nous en prémunir.
L'expérience récente de Sidi-Moumen (lieu-dit récipiendaire de Visites Royales régulières dont la symbolique ne devait pas échapper aux leaders politiques) est édifiante à cet égard et mériterait d'être méditée :
La dynamique organisationnelle de recrutement, de formation, d'animation et d'encadrement au coût fort élevé en efforts entrepris et en temps consacré, déclenchée tout au long des deux dernières années a perfidement été attaquée, traîtreusement combattue (pour le compte de qui ?) et iniquement pénalisée (dans quel but ?).
Ces pratiques délétères dont les preuves sont dûment établies ont tendance à se généraliser et à se systématiser à tel point qu'on finirait un jour par les théoriser. Les auteurs directs ne sont autres que la poignée de petits barons occultés (protégés par on ne sait qui), opportunistes déclarés, politiquement impotents et en organisation, incompétents. Dépourvus d'assise populaire, sans imagination ni initiative, trop exclusifs du droit de critique, anti-démocratiques, ils ont infiltré les organes du Parti et sont en mal d'ascension sociale aux dépens des intérêts supérieurs de celui-ci. Avec eux la rose se métamorphose !
Cette conspiration préméditée, fomentée au grand dam des valeurs socialistes et de l'éthique démocratique a eu pour conséquences la démobilisation de centaines d'adhérents et d'adhérentes, la déception des militants et militantes et la paralysie des structures. De blessures en amertumes, les innombrables roses rouges, fraîches écloses des «?karyanes?»?: Thomas, Rhamna, Zaraba, Squouila, Anassi, Tacharouk….injustement rabroués et flétris mettront du temps à se relever. Quel gâchis! En un mot, c'est la culture du complot.
Culture du complot
La soldatesque, conspuée et démocratiquement battue, n'en revenait elle-même pas de voir son chef de file défait et isolé, promu dans les instances du Parti par on ne sait quel tour de magie. C'est le comble !
«De braves citoyens étaient venus demander des roses: Il fallait leur en donner. Mais des apparatchiks détruisaient toutes choses…
Faut-il leur pardonner? C'est à croire que l'échelle des valeurs militantes s'est inversée : plus vous causez de préjudices au Parti, mieux vous êtes perçu. Laisser ainsi faire dans l'impunité, c'est couvrir la délation et vouer le navire à la perdition, plus spécialement dans les banlieues de pauvreté et d'exclusion.
C'est afin d'éviter cette désagrégation que les socialistes centraux, «d'en haut» devraient dans un ultime sursaut, tenter la descente… vers les socialistes périphériques «d'en bas» et ensemble dans un élan d'empathie, se déployer pour appréhender les dures réalités, catalyser les énergies, initier la démocratie, insuffler davantage l'espoir et préserver les acquis. Dans l'imagerie populaire de ces zones déshéritées, c'est le Parti USFP qui, de par sa vocation, est le plus interpellé, voire sollicité ; n'en déplaise aux saboteurs infiltrés et leurs homologues les apprentis- Brutus qui n'y croient plus. Malgré les déficiences organisationnelles conjoncturelles et les écueils intra-muros ponctuels, ce Parti politique sui generis demeure aux yeux des citoyens démunis le plus apte à s'impliquer fortement dans leur développement et le plus idoine à assurer leur encadrement. La réalisation de ce vœu «religieusement» exprimé plus d'une fois, n'est pas -non plus- impossible. Avec un revif d'imagination, de jeunesse d'esprit et d'abnégation. Avec un regain de mobilisation. Mobilisation ô?! combien impérieuse et qui suppose le bannissement des éliminations sommaires des militants et des militantes et la réhabilitation des compétences démobilisées pour avoir été sacrifiées aux calculs électoralistes raccourcis et aux parachutages irréfléchis.
Cette mise en ordre effectuée, s'ouvrira enfin dans la sérénité le débat d'élucidation de la stratégie du Parti et d'enrichissement de sa pensée .
En tout état de cause, il tarde aux larges bases du Parti de sortir de la torpeur pour s'éveiller à un avenir prometteur.


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