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Abdeljebbar Louzir : “Avec la troupe Al Ouafae al Mourrakouchia, j'ai passé les moments les plus délicieux de ma vie”
Publié dans La Gazette du Maroc le 31 - 07 - 2007

Abdeljebbar Louzir, un homme de théâtre qui, depuis plusieurs décennies, parcourt les planches sans jamais se fatiguer ou se décourager. À chaque fois, avec une jeunesse renouvelée. Aujourd'hui encore, quoique très avancé dans l'âge et parfois touché par des problèmes de santé chroniques, il continue de lutter contre vents et marées, afin de rester présent sur scène et garder ce précieux contact avec son public.
Ayant été résistant et militant de valeur au sein de la cellule de Marrakech, du temps du Protectorat, et malgré sa longue et brillante carrière, il vit aujourd'hui dans un certain dénuement, faute d'attention, de soutien et de reconnaissance de son talent et de ses sacrifices.
Dans l'entretien qui suit, ce comédien de la première heure nous parle de tout, de thèmes plus ou moins liés à sa vie artistique :
La Gazette du Maroc : Depuis combien d'années vous produisez-vous sur scène?
Abdeljebbar Louzir : Depuis plus de soixante ans, si mes souvenirs sont exacts.
Une question d'usage, ne ressentez-vous pas de fatigue après tout ce temps passé sur les planches ?
Pas du tout ! Je me sens fatigué seulement si je ne fais rien, si je ne participe pas à des activités artistiques. Et tant que je me sens en forme, je n'abandonnerai jamais.
Quel est le plus beau souvenir (artistique ou autre) que vous gardez toujours en mémoire ?
Il y en a plusieurs. Ces beaux souvenirs, je les partage avec la troupe “Al ouafae al mourrakouchia”. Avec cette troupe, j'ai passé les moments les plus agréables et les plus délicieux de ma vie.
...Et le plus mauvais souvenir ? Excusez-moi, mais je ne tiens pas à l'évoquer. Un mauvais souvenir doit être enterré une fois pour toutes. Sinon, il va continuer à vous hanter, vous faire souffrir et vous empoisonner la vie.
Loin des mauvais souvenirs, vous avez tant et tout donné au théâtre durant presque six décennies. Que vous a-t-il donné, lui, en contrepartie ?
Le repos de l'âme et de la conscience à chaque fois que ma mission - c'est-à-dire, le rôle qu'on me confiait - était accomplie.
J'insinue le côté matériel...
De ce côté-là, il y a beaucoup à dire, mais je préfère ne pas ouvrir ce chapitre. C'est comme pour le mauvais souvenir, il ne faut pas l'évoquer à chaque fois. Cela fait mal. Pire, cela trouble et dévie la personne de l'essentiel : la mission qu'il doit accomplir afin de satisfaire son public et rester à son service. Le public, lui, veut votre apport artistique. Le côté matériel est une affaire personnelle de chacun.
Pas très loin du domaine de l'argent, l'on sait que vous campez parfois dans les pièces de théâtre ou les feuilletons télévisés, des rôles de bonhomme plus ou moins aisé. Etant donné votre réponse à la question précédente, qu'est-ce que cela vous fait intérieurement, vous qui êtes de condition assez modeste ?
La destinée de chacun de nous est tracée par notre Dieu. Il faut accepter sa condition et surtout ne jamais envier ou jalouser ceux qui en ont. C'est le Seigneur qui trace la vie des hommes et tout le monde doit accepter le verdict divin avec un grand coeur.
Parlons télévision maintenant : vous est-il arrivé un jour de refuser un rôle important qui ne vous a pas plu, pour une question de principes ?
Pas un jour seulement, mais plusieurs fois ! Et pour parler encore argent, moi je cherche beaucoup plus la satisfaction morale de mon public que ma propre satisfaction matérielle. N'oublions surtout pas que l'argent passe et que le public reste.
Avez-vous peu, beaucoup ou pas d'ennemis dans le domaine théâtrale ?
À ma connaissance, Je n'ai que des amis “l'hamdou lillah”.
Dans la vie, si quelqu'un cherche à vous faire du mal, est-ce que vous vous empressez de l'affronter de face pour vous défendre ou bien vous cherchez à l'éviter, en laissant au temps le soin de prendre la revanche à votre place ?
Chercher à l'éviter me semble la solution la plus convenable. Si vous affrontez ce genre de personnes, vous risquez de perdre la partie et de vous retrouver blessé encore davantage. Croyez-en ma longue expérience, avec les gens méchants, il vaut mieux faire semblant de ne pas entendre, ne pas voir et ne pas comprendre. C'est mieux.
Un mot sur ces trois hommes des planches qui ne sont plus parmi nous et qui sont presque oubliés maintenant: Mohamed Abou Saouab, Larbi Doghmi et Abdessamed El Kenfaoui ?
Tous les trois étaient des artistes de valeur que le théâtre marocain a, hélas, perdus très tôt. Dans leur rayon, ils sont inimitables, irremplacables. Ce qui est désolant, c'est qu'on ne s'est pas occupé des familles de ces artistes après leur disparition. Il fallait leur témoigner au moins cette reconnaissance-là.
Si vous n'êtiez pas comédien, pour quelle autre discipline artistique votre coeur aurait-il balancé ?
Pour rien du tout ! Je suis né comédien et je le resterai jusqu'à la fin de mes jours.
Dites-nous, Abdeljebbar, entre la Première et la Deuxième chaîne, avez-vous une quelconque préférence ?
Aucune. Les deux me comblent. Elles cherchent toutes les deux à répondre aux voeux de leurs téléspectateurs. Des fois elles y arrivent, des fois non, et c'est normal. Les goûts sont tellement différents et le public tellement exigeant.
Vous vient-il à l'esprit d'arrêter de vous produire sur scène et prendre votre retraite artistique ? Si oui, à quel âge?
Une retraite artistique ? Jamais ! Tant que la vue et la santé d'une manière générale, ne me trahissent pas, je continuerai à me produire. L'âge d'un artiste compte trop peu dans son rendement. L'art n'a pas d'âge. Voyez Mohamed Abdelouahab, il a chanté “mine ghire lih” à presque 88 ans. Il y a d'autres exemples : Oum Kelthoum, Amina Rizq,
El Hajja Hamdaouya, Fatna bent l'houcine, Sabah, Fayrouz, Abderraouf, etc.
Avez-vous un conseil à donner aux jeunes comédiens qui commencent à se frayer leur chemin ?
Qu'ils abordent le domaine en ayant d'abord certaines connaissances sur le théâtre et sur l'art d'une manière générale. Surtout qu'ils ne cherchent à imiter personne.
Un artiste qui ne tient pas ses promesses, ça vous inspire quel sentiment ?
De la méfiance. Un artiste de ce genre n'ira pas loin, c'est sûr. On ne doit pas mentir au public.
Etes-vous du genre que les critiques négatives ou les mauvaises langues démoralisent facilement ?
Absolument pas ! Un artiste confiant en ce qu'il fait, ne doit se laisser décourager par rien en cours de route, sinon il n'arrivera jamais à la destination qu'il s'est fixé.
En tant que comédien depuis une très longue date, n'avez-vous pas remarqué que les productions théâtrales se font de plus en plus rares ces dernières années ?
En effet. D'ailleurs, j'ignore la raison de cette régression. Les mêmes artistes sont toujours là, aussi disposés à produire. Alors, cherchez la cause et informez-moi, au cas où vous la trouveriez !


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