C'est la rentrée des classes. Il n'y a d'intérêts que pour les fournitures scolaires, leur rareté et les dépenses à faire. Bourses et budgets obligent, ceci on le comprend. Mais qui se soucie de la violence dans les écoles marocaines. Violence entre élèves au primaire, au collège ou au lycée, violence de la part des enseignants qui ne rechignent pas à utiliser les méthodes les plus archaïques pour administrer leurs cours mâtinés de coups, de castagne, de passage à tabac et autres tortures morales et psychologiques. Qui défend les enfants ? Quelle est l'attitude des parents d'élèves ? Pourquoi tolère-t-on les châtiments corporelles à l'école ? Autant d'interrogations que nous avons soumises aux parents et aux élèves qui prennent ici la parole pour décrire leur calvaire et parfois l'horreur. Ce proverbe qui assimile l'enseignant au prophète peut s'avérer vrai dans quelques rares cas, si l'on prend en compte toutes les exactions, dont ces mêmes enseignants font preuve à longueur de carrière au sein de plusieurs établissements scolaires au Maroc. «Mets-toi debout pour l'instit…etc». Amen, mais s'il est partisan de la castagne et du châtiment corporel pour combler son manque de pédagogie, c'est l'instit qui doit se retrouver derrière les barreaux dans une prison pour coups et blessures sur un élève, mineur de surcroît. Mais comment se fait-il que rares, très rares sont les professeurs, les instituteurs qui finissent en prison pour tous les coups qu'ils administrent aux enfants ? Idriss B. a neuf ans. De ses premières années d'école, il ne garde que d'amers souvenirs. L'école fait office d'épouvantail pour lui. Quand pour d'autres écoliers, la rentrée symbolise les retrouvailles avec les autres mômes, les copains de l'année dernière à qui l'on a envie de raconter les trois mois d'été, de revivre de beaux instants d'insouciance et de joie dans l'enceinte de l'école, pour Idriss, revenir en classe est une torture annoncée : «Je n'aime pas l'école. Pourtant, au début, pour ma première année, je rêvais de ce moment, parce que j'avais vu mes frères, plus âgés que moi, raconter tellement de choses sur l'école. Mais en classe, on passe presque tout le temps à encaisser des coups et des gifles. Et même si j'ai des notes passables, je ne suis jamais à l'abri de la colère de l'instituteur, qui, quand on fait une faute, nous frappe avec un bâton et parfois nous gifle très fort». Idriss n'est pas le seul à dénoncer les excès de colère de son instit. Plusieurs de ses voisins qui sont avec lui en classe, racontent les mêmes dérives : «Je sais que cette année, je vais encore passer de très mauvais moments. L'instituteur nous frappe presque tous les jours. Mais il n'est pas le seul, dans d'autres classes, nos amis racontent la même chose. Même les femmes frappent». Et ce que nous avons recueilli comme témoignages sur les femmes, dépasse toute imagination. Mais on y reviendra plus loin. L'instit est maître dans sa classe Pour le moment, Idriss appréhende et les parents semblent s'accommoder d'une telle situation : «Mon fils est revenu en pleurs à plusieurs reprises de l'école. Il m'a raconté que l'instituteur l'avait frappé, mais je n'ai jamais rencontré cet homme. Mon mari, non plus. Mais je pense que c'est le cas partout. Les professeurs doivent corriger les élèves pour qu'ils apprennent.» Souad B. n'a jamais été à l'école. Et pour elle, il est normal que son fils se fasse tabasser par un instituteur en manque d'arguments. Quand on lui explique que ce même instituteur n'a aucun droit de lever la main sur son fils, elle semble surprise: «Mes frères ont été frappés à l'école, mon mari aussi et beaucoup de gens que je connais dans mon entourage ont été corrigés par leurs professeurs. Si c'était interdit, cela n'existerait pas». Là est toute la question, madame Souad B. La ligne rouge entre l'interdit et son existence. Et elle a raison la maman d'Idriss de dire que c'est là, peut-être le lot de presque tous ceux qui ont fait l'école publique. Moi-même, je n'ai pas pu éviter de remonter en arrière pour me rappeler le visage d'un professeur tortionnaire qui prenait un malin plaisir à surprendre les élèves avec des coups sur la nuque, et par derrière, en traître. Pour ma part, le jour où cet homme avait levé la main sur moi, il a eu à s'expliquer avec mon frère aîné (et l'explication était d'un seul côté, si vous voyez ce que je veux dire !). Mais pour tant d'autres de mes camarades, c'était le silence et l'acceptation, comme pour la mère d'Idriss qui dit ne pas «pouvoir aller l'affronter de peur qu'il ne fasse échouer son enfant». Prise d'otages : c'est le mot qui qualifie ce type de situation. La mère est prise en otage tout comme son enfant. Si elle parle, l'enfant est saqué. Comme le cas de Kaltoum et son fils Ayoub qui a fait les frais d'une institutrice zélée, qui distribuait des taloches à tour de bras. Elle s'est murée dans le silence, jusqu'au jour où elle a éclaté en menaçant l'institutrice de porter plainte devant les juges. Là, les choses ont pris une autre tournure : «On m'a conseillé de lui dire que j'allais porter plainte, et ce n'est que là qu'elle a accepté de m'écouter. Elle avait l'habitude de gifler mon fils, qui est très bon en classe, juste parce qu'il parlait avec son copain. Il y a une nette différence entre corriger gentiment un môme de six ans et le tabasser au point de lui laisser des traces de main sur sa joue». Sans y aller par quatre chemins : l'école publique au Maroc est malade. Entre les dérives des enseignants et le fatras de nullités qu'on y enseigne, les élèves sont tout bonnement paumés, largués, aux abois. D'aucuns se voilent la face et décident de faire comme si l'école était le sacro-saint sanctuaire du savoir et de l'éducation. Foutaises et mensonges éhontés. L'école est, de l'avis de plusieurs enseignants, un lieu de perdition pour beaucoup d'enfants. Abdelali K. enseigne toujours à Hay Essalama, et il est outré par les actes d'autres collègues qui «ne foutent rien et passent les élèves à tabac pour masquer leurs incompétences». Il faut faire un tour dans quelques classes ou prendre le temps de discuter avec quelques spécimens rares et inestimables de cette pépinière de l'enseignement national, où la nullité le dispute à l'agressivité et la violence. «J'en connais trois dans mon école. Ils se vantent des coups qu'ils distribuent en classe. Vous rendez-vous compte de la bêtise de ces hommes. Comment peut-on être fier d'avoir tabassé un gamin de sept ans, qui vient à l'école pour apprendre. C'est normal que l'école devienne un endroit que l'on rejette. Qui aimerait un lieu où on prend des coups ? Personne. Et les coups, c'est systématique. C'est le seul langage que ces trois individus connaissent. Nous en avons parlé entre nous, et nous ont littéralement envoyé balader. Il faut dire aussi, que la direction ferme les yeux et dans un sens, encourage ce type de comportements. Et comme les parents sont aux abonnés absents, les enfants encaissent et se taisent». Pour cet enseignant, rien n'y fait. Les adeptes de la violence à l'école comme unique moyen de communication sont légion, et il faut «une enquête diligentée par le ministère de l'Education Nationale dans plusieurs établissements publics du Maroc, pour voir de près les dégâts que cela occasionne. Les résultats scolaires s'en ressentent, l'équilibre psychologique des enfants, leurs rapports entre eux, tout ceci est dangereux. Mon Dieu, les parents envoient leurs enfants à l'école pour apprendre et se nourrir l'esprit, et pas pour prendre des coups et vivre dans la panique» ! Et Abdelali peut raconter d'interminables histoires sur l'horreur, dans l'école. Tel gamin qui a perdu une dent, tel autre qui a eu un œil au beurre noir à répétition, tel autre qui a frôlé le coma parce qu'il a reçu un coup à la tête et tant d'autres témoignages sur la criminalité de certains enseignants qui «doivent être rayés des listes des enseignants, parce qu'au fond, ce sont des criminels». De l'autre côté du miroir, il y a ces enseignants qui tabassent et qui en font un credo. Pourtant la loi est claire et limpide à ce sujet. Tout acte de violence de la part d'un enseignant à l'école sur un élève, passe sous le coup de la loi. Mais comment arrive-t-on à passer entre les mailles des filets, et tout le temps ? Il doit bien y avoir une raison ? Nous avons posé quelques questions à des enseignants qui pratiquent le bâton comme un sacerdoce à l'école. Les réponses sont éloquentes. Abdelkrim H. travaille et vit à Sidi Bernoussi. Pour lui, un élève qui n'est pas battu, est un mauvais élève. Equation radicale, mais Abdelkrim n'en démord pas : «Moi-même j'ai étudié avec des coups à l'école et à la maison. Et aujourd'hui je suis là où je suis grâce à ce type de méthodes que vous dites archaïques. Non, monsieur, les élèves doivent passer par là pour se familiariser avec la discipline et l'autorité. Moi, je n'imagine pas des résultats sans le bâton. Et croyez-moi, beaucoup de mes élèves me remercient de les corriger, parce que grâce à mon travail sur eux, ils ont de très bons résultats». Le traiter de tortionnaire le met en rogne. Il tremble littéralement et voit dans mes mots une insulte à sa mission de grand éducateur: «Le crime est de laisser les élèves se perdre. Moi, avec le bâton, je les remets sur le droit chemin. Et même les parents me remercient de les corriger. Parce que le plus important, c'est le résultat en fin d'année. Et les enfants finissent toujours par oublier.» Des cas comme Abdelkrim, qui soutiennent tous le même raisonnement, sont nombreux : «châtier pour mieux éduquer». Et les ravages psychologiques? «De quel impact parlez-vous ? Moi-même j'ai été frappé durant des années à l'école. Jamais je ne m'en suis plaint. Mes parents le savaient et l'acceptaient, parce que c'était pour mon bien. Aujourd'hui, ce sont des thèses qui se disent modernes qui veulent ce type de licence à l'école. Quand on lâche la corde, on ne peut plus rien retenir. Là, c'est mon expérience de quinze ans de métier qui parle, monsieur. Alors, les conseils de ce type, moi je n'en veux pas. Psychologie, drame et traumatisme. Vous utilisez des mots qui vous dépassent, monsieur, c'est moi qui vous le dis.» Amen, monsieur l'instituteur. Colères féminines Aziza est une enseignante qui fait peur. Ses élèves la craignent comme la peste, parce qu'elle n'hésite pas à en venir aux mains, pour un oui ou un non. Elle donne souvent comme prétexte qu'elle est «nerveuse». Mais que fait une femme «nerveuse» dans une classe ? À moins de passer ses nerfs fatigués sur les gosses, elle n'a aucune raison valable d'officier dans une école. Pourtant, cette femme qui fait figure d'épouvantail sévit. «C'est ma collègue et je ne veux pas dire du mal d'elle, mais la pauvre, elle est malade, et doit se soigner. L'école, ce n'est pas bon pour elle». Comme le souligne cette autre enseignante à Hay Mohamadi, qui connaît bien Aziza, la classe est un lieu où la maîtrise des nerfs est requise comme qualité principale. De là découle la pédagogie, le contact avec les enfants, la transmission du savoir. Mais une femme qui pète un câble à chaque fois qu'un élève déconne, peut s'avérer un cas clinique à soigner. Pourtant, Aziza se fiche de ce que ses collègues peuvent bien penser : «Un jour, elle nous a dit que ce qui se passait en classe devait rester secret et que, de toutes les façons, les autres enseignants étaient jaloux de ses méthodes, surtout qu'elle était plus ancienne que tout le monde», raconte Lamia, une élève qui a fait les frais des frasques d'Aziza. Mais Aziza n'est pas la seule. D'autres femmes sont connues pour leur caractère houleux et la dextérité à distribuer les coups. Aïcha travaille à Deb El Kabir. Un jour de 2006, elle en vient aux mains avec la sœur aînée d'une fillette qui a été malmenée par l'enseignante «nerveuse». Motif ? quelques gifles, les cheveux arrachés et une dent qui vacille. Pourquoi ? «Ma sœur avait mal récité un long verset du coran. Et pour la corriger, elle lui a arraché les cheveux et l'a traîné par terre. Et quand je suis allée la trouver, l'enseignante m'a dit qu'elle l'avait frappé, comme elle aurait frappé ses propres enfants. Je lui ai rétorqué de tabasser ses rejetons comme elle le voulait, mais pas ma sœur. On en est venu aux insultes, puis aux mains». D'ailleurs, au sein du corps enseignant, il est presque acquis, malgré tant de préjugés et de machisme ridicule, que les femmes sont plus violentes à l'égard des élèves. «Comme nous, les hommes, elles ont des problèmes. Mais j'en ai vues qui ont pété un câble en classe. On a souvent évité des drames», renchérit Abdelali K. qui enseigne à Hay Essalama. Pour d'autres enseignants, qui ont compris que la violence à l'école est ravageuse, les dégâts sont innombrables: «D'abord, les élèves ne vont plus à l'école par amour, mais par obligation. Il y a la peur des parents et aussi la peur des professeurs. Ensuite, les élèves sont violents entre eux. On a de plus en plus de cas de bagarres qui finissent devant la police. Et la violence subie, engendre d'autres formes d'agressivité chez les jeunes. Je n'ai pas besoin d'être psychologue pour vous dire que la pire des choses est de frapper un enfant. Frapper un être humain est un crime et une honte. Mais un élève à qui l'on doit donner le meilleur de soi, c'est plus que criminel». Et devant les écoles, les collèges et les lycées, les coups entre élèves sont monnaie courante. C'est à qui a le dessus sur l'autre. À qui frappe plus fort et qui encaisse le plus. Toute une culture de la violence, qui, enseignée à l'école par ces hommes et femmes qui ont une mission noble, dit-on, d'inculquer des valeurs sûres aux enfants. Respect, compréhension, amitié, échanges et partage. Mais au lieu de ces valeurs morales qui font l'assise d'une société, on tabasse les enfants, et on les pousse à reproduire les mêmes schémas dans la rue. Et plus tard, s'ils deviennent enseignants à leur tour, ils vont tabasser leurs élèves et la boucle ne finira pas d'écraser des générations entières, comme un parfait rouleau compresseur de la bêtise et de l'ignorance. Serghini Saâdia, présidente de l'Association nationale de l'aide à l'élève en difficulté «Il faut éradiquer la violence dans nos écoles» La Gazette du Maroc : Quel est le rôle de votre association ? Saâdia Serghini : D'abord il y a eu un projet pilote du lycée Ibn Al Haytam à Hay Hassani à Casablanca qui est éloquent à ce titre. Un centre où l'on écoute les enfants sujets, entre autres, à la violence. Et grâce à cette première pierre, une association a vu le jour. Un organisme social qui crée des centres d'écoute dans le cadre de «l'Association nationale de l'aide à l'élève en difficulté» qui, depuis trois ans, aide les élèves au Maroc et surtout à Casablanca. Notre association fait de l'écoute. Nous écoutons les élèves grâce à l'expérience d'écoutants spécialisés, ce qui nous permet de faire un suivi psychologique de tous les cas que nous rencontrons. Dans ce processus d'écoute, nous essayons de faire le diagnostic le plus fidèle possible sur les besoins de l'élève, la nature de ses difficultés pour pouvoir l'orienter vers un psychologue adapté ou une assistante sociale. Et là, j'insiste sur le travail admirable de tout ce groupe de personnes, psychologues et assistants sociaux qui travaillent avec nous pour aider ces élèves à trouver des solutions appropriées à leurs problèmes. Nous savons aussi que certains des élèves suivis bénéficient d'aide scolaire ? Tout à fait, et c'est là un plus et un acquis supplémentaire pour nous. Plusieurs étudiants donnent des cours tous les samedis après-midi dans différents établissements pour aider les élèves qui ont besoin d'améliorer leur rendement en classe. La disponibilité de ces étudiants force le respect et ils sont d'ailleurs conscients que leur travail permet de sauver tant d'élèves. Et la violence dans les écoles ? La violence a toujours droit de cité. Et nous, dans le cadre de notre association, nous avons des témoignages qui font peur et presque au quotidien. Il ne faut pas croire que nous sommes face à des cas isolés. Loin de là. Le primaire reste une étape où la violence est presque omniprésente. Les élèves en souffrent, mais souvent les parents qui sont analphabètes se murent dans le silence ou alors ils encouragent les exactions de certains enseignants, qui, du fait même qu'ils violentent un élève, se positionnent comme des criminels. Ce type de violence est monnaie courante et beaucoup d'élèves ont des difficultés scolaires à cause de cela. Frapper un enfant ne l'aide pas à appendre mieux. Au contraire, cela l'éloigne de l'école, car la peur s'installe en lui et elle le bloque. Et ce type de blocage est dangereux pour la suite de la vie de cet élève victime de violence à l'école. Mais il n'y a pas que les coups. D'autres types de violence existent. Comme manger en classe, attitude qu'ont plusieurs enseignants. Ce qui est une violation et une violence à l'égard d'enfants qui, eux, ont souvent faim. D'autres professeurs n'hésitent pas à envoyer les élèves leur chercher à manger, des croissants, des sandwichs. C'est dégradant pour l'élève et pour le professeur. Au collège, les choses prennent un autre tournant ? En effet, jusqu'à la première année secondaire, les élèves subissent, mais à partir de la deuxième année, ce sont d'autres types de violences, puisque les élèves entrent en conflit ouvert avec les professeurs. La violence accumulée ressort sous une autre forme. Au lycée, ce sont souvent les élèves qui sont violents et cela remonte à ce qu'ils ont vécu durant les années du primaire. Des coups à l'école, dans la rue, de la part des parents. Il y a de quoi former des élèves très agressifs et enclins à donner des coups. Ce qu'il ne faut pas oublier, ce sont les répercussions de cette violence à l'école : des élèves tombent dans la drogue, d'autres dans la délinquance, sans oublier qu'eux-mêmes vont reproduire les mêmes schémas plus tard: ils vont frapper leurs femmes, leurs enfants et aussi leurs élèves. D'où l'urgence d'éradiquer ce fléau de nos écoles. Et pour cela, il faut la volonté et les efforts de tous.