Contrairement aux idées reçues, la médina de Casablanca et son port, ne sont pas sortis de l'ombre grâce à la présence française au Maroc. Le port de Casablanca était déjà le plus grand port du pays au XIX siècle, ce qui est un indice important de la vie économique de la petite ville, bien avant le débarquement des Français. Retour sur l'histoire. Pour parler de la genèse de ce qui sera plus tard, le port de Casablanca, une petite remontée de l'histoire nous situera dans les circonstances réelles et historiques du projet. Pour illustrer ce propos, on reprend ici des extraits d'un article paru dans la Revue Générale des Sciences en 1912, sous la signature du Directeur du Service Hydrographique de la Marine : «On peut affirmer, contrairement à ce qui a été dit parfois, qu'il est impossible de créer sur le littoral occidental du Maroc, un port qui soit accessible aux navires par tous les temps. Il faudrait pour dépasser la ligne des brisants qui se forment dans les tempêtes, prévoir des jetées par des profondeurs et à des distances telles, que ces ouvrages seraient irréalisables. Aussi puissant que soit l'effort que l'on fasse, les raz-de-marée rendent impossible en certains cas, toute entrée ou sortie des navires. Lorsqu'on a observé la violence des brisants de la côte, il paraît bien hardi de tracer un port aussi vaste que celui dont le plan a été adopté pour Casablanca et dont la jetée extérieure serait établie par des profondeurs de 20 m à haute mer». Le document est clair, Casablanca et son port ont été un défi de taille qui a abouti au résultat que l'on sait. Et le port s'est positionné, de par sa stratégie de travail, de par les techniques scientifiques mises en œuvre, comme un modèle du genre, pour contourner les difficultés naturelles et aussi assujettir la topographie. Le XVIII siècle était décisif En 1785, le Sultan Sidi Mohamed Ben Abdallah autorisa l'exportation des céréales à partir de Casablanca. C'est un acte politique de grande symbolique et qui aura, plus tard un impact majeur sur l'essor de la ville de Casablanca. On peut donc, sans risque d'erreur, parler, des premières fondations de la vocation économique de la ville de Casablanca. Quatre années plus tard, en 1789, c'est une société espagnole qui tire le gros lot, puisqu'elle va décrocher le monopole de ce commerce très lucratif et d'ailleurs presque le seul. La société espagnole tiendra le choc dû en partie au faible taux démographique de la ville, qui ne comptait à l'époque, que 700 habitants et la concession lui est retirée en 1830. C'est là, la date de l'ouverture du port de Casablanca, à ce que l'on appelle dans le jargon maritime : les échanges internationaux. Presque trente ans plus tard, et après une mise en place parfois hasardeuse de plusieurs techniques de travail, c'est en 1862 que la Compagnie Paquet organisa un premier service de navires entre Marseille et Casablanca. C'est une date historique qui inaugure l'avenir prospère de cette place marine. Et c'est à partir de ce premier service de navigation, qu'à la fin du XIXème siècle, Casablanca a pris sa place sur l'échiquier économique et politique du Maroc. La ville est devenue, suivie de près par Tanger et Essaouira, la place portuaire la plus importante du pays. Pari modernisateur D'abord une précision à la fois historique et technique : Les spécialistes de l'histoire marine et commerciale du Maroc, affirment que le port de Casablanca a toujours été et ce, jusqu'en 1932, année de la mise en service du môle de commerce, un port à barcasses. Qu'est-ce que cela veut-il dire en clair ? C'est simple : «les marchandises étaient d'abord descendues dans les barcasses par les seuls moyens du bord, puis ces barcasses, menées à la rame, gagnaient le rivage où les cargaisons étaient alors débarquées manuellement.» Autrement dit, un travail rudimentaire qui s'appuyait sur des techniques archaïques et désuètes. Le début du XX ème siècle a aussi toute son importance dans l'évolution du port de la ville. On le sait par les livres d'histoire qu'en 1904 et grâce à une initiative du Sultan Moulay Abdelaziz, les autorités ont conclu un contrat avec la société française qui portait le nom de «Compagnie Marocaine». Cet accord visait la construction et l'aménagement d'un petit port destiné à «abriter les barcasses qui servaient au chargement et au déchargement des navires et qui étaient fréquemment endommagées par le gros temps.» On le voit bien, les ambitions n'étaient pas grandes et les voies de la modernisation sont encore bien loin. Et la Compagnie Marocaine choisit comme entrepreneur les Maisons Schneider et Cie et J. Vignes, déjà bien connues et avec une certaine réputation derrière elles. Les Maisons Schneider vont choisir comme sous-traitant, l'entreprise Gendre et Donnadieu de Marseille. À cette époque, les manoeuvres au sein du port, étaient des plus basiques : les cargos devaient respecter une certaine distance dans leurs approches. Ils se maintenaient à 1000 ou 1200 mètres de la côte, pour des raisons à la fois de sécurité et de structure. Il y avait aussi deux petites jetées qui devaient être construites pour protéger un bassin de dix hectares. Ce dernier permettrait aux barcasses «d'accoster plus facilement et de faire les manutentions en eau calme. En outre elles seraient ainsi abritées de la grosse houle et des tempêtes d'hiver.» Les premiers travaux ont débuté en 1906 de façon non-satifaisante, ce qui va conduire à des modifications en 1907. Ce remaniement prévoyait d'ailleurs pour le bassin, une surface d'eau de 20 hectares au lieu de 10. Nous sommes là de plain-pied dans les défis futurs. Navires et tempêtes L'histoire du port de Casablanca a toujours été liée à celles du climat, de la géographie et de la topographie. Les travaux de 1907 vont vivre une série de retards, toujours causés par le mauvais temps. Les archives météorologiques de cette période nous apprennent de façon claire sur les dérives du grand chantier de la ville au début du siècle dernier : Hiver 1909/10 : La mer emportait 50 mètres de la jetée qui venait d'être construite. Premier grand revers pour la compagnie en charge des travaux. En 1910-11, c'est une forte houle qui a ravagé les terre-pleins. En décembre 1912, c'est au tour d'un ouragan d'achever la série noire des catastrophes qui s'abattent sur le port de la ville. L'ouragan va détruire pas moins de 9 barcasses et un remorqueur. Ce qui paralyse presque toutes les activités au port. En janvier 1913, c'est une série de tempêtes qui vont jeter à la côte cinq voiliers avec leur cargaison : «le voilier Los Emilios» échoué sur les rochers de Fédala. Le dundee français «Providence», sur les rochers d'Oukacha. Le voilier grec «Nedjma», sur les rochers d'Oukacha. Le voilier danois «Castor», sur les Poches-Noires. Le voilier suédois «Olga» sur les Roches-Noires. Une autre date à retenir, celle du 29 octobre 1913, lors de laquelle ce sont trois navires qui n'avaient pas eu le temps d'appareiller et qui ont été détruits à l'entrée du port, entraînant la mort de huit personnes. Le «Nana-Martini» allemand, le «Livia» espagnol, le «Misolongion» grec. A la suite de ces catastrophes, les autorités décidèrent en 1914, d'édifier un nouveau phare à Oukacha et d'améliorer la visibilité du phare d'El Hank déjà construit en 1905. A cette même époque, l'aconage fut concédé à la société «L'Entreprise maritime et commerciale» (EMC). C'est là une nouvelle vie qui se profile devant le port de Casablanca et que nous traiterons dans un prochain numéro. Une vision d'Histoire Les livres d'Histoire qui ont planché sur l'histoire du port de la ville de Casablanca sont formels. Le port a été élaboré avant la première guerre mondiale comme point d'ancrage d'une nouvelle cité à naître dans des dimensions plus importantes. Et déjà, le projet portuaire de Casablanca, de l'avis de tous les urbanistes, était très spécifique : «Il offrait l'exemple d'un port modulable, c'est-à-dire ouvert à tout aménagement, qui serait rendu nécessaire par l'accroissement des trafics ou par des innovations techniques.» Et là, c'est le site géographique qui a joué son rôle de catalyseur. À cette époque de grands bouleversements, les concepteurs avaient pressenti que les potentiels des échanges commerciaux seraient considérables et que la ville serait un appui pour le port, comme ce dernier serait son levier économique et politique. «Les concepteurs ont aussi compris que les progrès navals allaient conduire au gigantisme des unités. Et parce qu'il a été imaginé selon une vision future d'un réalisme inégalé, le port de Casablanca n'a jamais eu à subir les contraintes de l'avenir.» lit-on dans une étude intéressante sur la genèse du port de Casablanca. D'ailleurs, dans ce sens, l'aspect évolutif de son mode de conception lui a permis de s'adapter, avec une extraordinaire flexibilité, aux mutations majeures qui ont marqué le monde des transports maritimes. D'ailleurs, durant plus d'un siècle, et tout au long du vingtième siècle, jusqu'à aujourd'hui, ce port étonne par ses mutations multiples et sa perpétuelle extension comme un chantier permanent. Aussi, et contrairement à d'autres sites portuaires, il n'a jamais été question d'un nouveau port à Casablanca, mais plutôt de nouveaux quais, môles ou terminaux. Les spécialistes des travaux de mer soulignent cette spécificité géographique du site et la nature du travail qui a présidé à la construction du port que l'on connaît aujourd'hui : «L'ensemble est abrité par la grande digue Moulay Youssef qui est, en tant qu'ouvrage de protection, une pure merveille, unique dans les annales des travaux à la mer. Elle constitue l'exemple type de jetée maritime parfaite, et le mot n'est pas assez fort, au moins sur les deux milles premiers mètres.»